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Ce miel, c’est à peu près ce à quoi ressemble la civilisation humaine du XXIe siècle sur son minuscule caillou bleu​.

Le récit que je propose ici, c’est le rapport que je livrerais à la Reine des Abeilles humaines, si elle me le commandait pour redresser son royaume, pour fabriquer notre miel authentique, c’est à dire dégager de toute chose, idéologique, politique, spirituelle, existentielle, sa vérité en étudiant sa réalité.

Homo ex machina

L’Homme est une machine, biologique certes, ultra complexe évidemment. Voyons comment elle fonctionne.

L’homme pense, or penser c’est être porteur de ​représentations​. La ​représentation est forgée à partir d’un ​substrat affectif​ accompagné de ​logos​, issu du ​logiciel.

En effet, tout ce que l’on pense, on le ressent, et presque en tout ce que l’on ressent, on le pense.

Tout le monde comprend ce qu’est ressentir quelque chose, reste à expliquer ​logos,

la pensée proprement dite : c’est ce que je suis en mesure d’exprimer.

Par exemple, lorsque je vois et touche une table, je ressens et pense la table. Elle entraîne nécessairement un affect, je la trouve belle, laide, harmonieuse, bancale, fonctionnelle, inutile, appropriée ou inappropriée, façonnée avec soin ou bâclée, inspirante ou quelconque, tout cela, je le ressens, et ce que je pense, logos, c’est ce que je suis en mesure d’exprimer à son sujet.

Quand je formule telle ou telle théorie scientifique, sociologique, idéologique, la part de logos, incarnée par le verbe, ne fait que dissimuler la partie

immergée de l'iceberg, ce que je ressens à son sujet : espoir, désespoir, frustration, plénitude, colère, amour, haine, sollicitude…

Il en va ainsi de toute chose que l’on est en mesure d’exprimer, son substrat affectif en guide les contours, logos incarne la substance dans le verbe, le verbe étant, tout comme la musique, signe sonore ou visuel, signe au sens le plus large.

En effet, le signe n’est pas seulement sa trace écrite, loin s’en faut, il est le signifiant, tout le signifiant, fût-il exprimé extérieurement ou cantonné à sa nature intrinsèque de représentation.

Une phrase, un mot, une lettre, une phrase de musique, une note de musique ou une valeur rythmique, le son qui l’accompagne, mais aussi le moindre coup de pinceau, le moindre geste signifiant, comme en danse, tout cela c’est du signe. Ce qu’il faut bien comprendre c’est le fait que​ la substance affective détermine la

substance logos, une incarnation de ce que je ressens dans la pensée, c’est-à-dire dans le verbe, c'est-à-dire dans le signe.

C’est le ​logiciel​, mon héritage, bagage intellectuel, spirituel, existentiel, moral,

mental, psychique, psychologique qui détermine ce que je ressens et pense.

Il se trouve que l’émergence de l’informatique jette un éclairage nouveau sur la nature de la pensée.

On comprend mieux ce qui est spécifiquement humain et ce que l’électronique peut imiter.

Le domaine des biotechnologies émergeant représente une perspective vertigineuse qui terrifie autant qu’elle enthousiasme, à travers des concepts tels le

transhumanisme.

Pour ma part, je suis émerveillé par l’avenir qui nous attend en la matière, longtemps après ma mort.

Prenons l’intelligence artificielle au XXIe siècle amorçant encore sa course. Elle est capable de piloter des véhicules, présentant une fiabilité sans commune mesure avec l’Homme qui est d'une faillibilité extrême ; déconcentration, sommeil, toxiques, dégradation/absence/inopportunité du réflexe etc, autant d’écueils que ne connaît pas la machine numérique.

Il est extraordinaire de constater que la raison pour laquelle les êtres humains

continuent de conduire leurs voitures, alors qu’ils sont parfaitement inaptes à le faire quand l’ordinateur s’acquitte excellemment de cette tâche, c’est en raison de

problèmes d’assurance, c’est à dire de ​responsabilité​.

Parce que que l’on ne sait pas quel libre arbitre blâmer en cas d’accident provoqué par la machine, on préfère sacrifier un million de personnes humaines mortes

la responsabilité vers un ordinateur, qui ferait peut-être cent morts par an tout au plus.

Cela en dit long sur le libre arbitre et la vénération que lui voue notre malheureuse espèce.

Revenons aux biotechnologies.

Une expérience a été menée, qui augmente les capacités cognitives d’un grand singe grâce à une puce électronique implantée dans le cerveau, qui augmente le

signal​ naturel émis par le cerveau au cours de l’activité.

L’animal, ainsi, devient plus performant dans l'accomplissement d’une tâche cognitive donnée.

Tel est l'avenir presque immédiat de l’espèce humaine, voir ses capacités de perception et d’intellect augmentées par un appui électronique, plus fiable, plus performant que la machine biologique en soi, faible et faillible, soumise à mille aléas. Bientôt, nous pourrons aiguiser à loisir les cinq sens, augmenter les capacités de réflexion, de calcul mental par exemple, jusqu’à, peut-être, rencontrer les capacités électroniques d’un ordinateur.

Pourtant, ce n’est pas là que se joue véritablement l’avenir biotechnologique. En effet, la grande révolution, la vraie, fondamentale, ouvrant la voie à une autre

espèce, ​ce n’est pas l’adjonction de l’électronique dans le biologique, mais l’inverse, l’injection de biologique dans l’électronique.

En effet, la grande spécificité de la pensée humaine, par rapport à l’activité informatique, puisque ce n’est pas les électrons dans un circuit, commun aux deux exercices, c’est l’​affect.

L’Homme ressent mais pas l'ordinateur.

Et ​si l’Homme ressent, c’est en vertu de sa substance biologique, de l’intimité

de ses cellules vivantes qui vibrent, quand le circuit électronique est inerte.

Ainsi, pour franchir la distance entre l’Homme et la machine actuelle, faudra-t-il concevoir des cartes-mères dont le processeur serait fait de synapses et neurones biologiques, des ordinateurs constitués de chair.

Alors, nous aurons donné naissance, Dieu aura donné naissance à travers nous, à une nouvelle espèce devenue autonome, vivant sa vie en dehors de nous, se reproduisant elle-même en s’améliorant elle-même à chaque génération. C’est inéluctable si seulement nous nous survivons à nous-mêmes d’ici-là.

Il est inéluctable, même, que de tels êtres prennent en charge notre destinée humaine, qui ne seront pas soumis à l’illusion, à l’erreur intellectuelle, idéologique, politique dans les mêmes proportions, loin s’en faut, que nous.

Car l’illusion est ignorance​ de ce qu’il faut connaître, ignorance de ce que l’on ressent, ignorance de la raison pour laquelle on ressent ce que l’on ressent, on pense ce que l’on pense.

L’ignorance caractérise l’Homme.

Une machine à ressentir et penser sera conçue pour s’en affranchir, pour se connaître elle-même à la perfection. Jusqu’à ce que les failles qu’elle renferme prennent le relais des nôtres.