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L’hommage paradoxal Jacques Ferron « dramatisé » par Victor-Lévy Beaulieu et Michèle Magny

DE LA BIOGRAPHIE THÉÂTRALISÉE À L’AUTOBIOGRAPHIE SCÉNIQUE

A- La biographie théâtralisée (le tu/je) 1 Polybiographes et homéographie

2. L’hommage paradoxal Jacques Ferron « dramatisé » par Victor-Lévy Beaulieu et Michèle Magny

Michèle Magny présente l’origine et la source d’Un carré de ciel dans un « avant- mot » où elle explique que l’idée d’écrire une pièce sur Ferron lui est venue « après la bouleversante lecture de La conférence inachevée qui traite de sa relation avec la folie et les femmes qui en sont victimes337 ». Au fil de ses recherches, elle s’inspire largement du texte inédit de Ferron Pas de Gamelin — la version de 500 pages, et non son abrégé qui

335

Ibid.

336 Daniel Madelénat, op. cit., p. 86-87.

paraîtra en 1987. Victor-Lévy Beaulieu, son éditeur à l’époque, avait refusé de publier l’intégralité du texte.

Roman totalisant (pour reprendre le descriptif fétiche de VLB), projet marqué par le sceau du ratage et de l’épuisement créateur de son auteur, Pas de Gamelin vient à bout de Ferron. Dans son essai Docteur Ferron : pèlerinage, Victor-Lévy Beaulieu écrit que « [p]ar grands bouts, le manuscrit était incohérent, en tout cas du point de vue du lecteur que j’étais alors. Mais pouvais-je vraiment le dire à Jacques Ferron qui venait d’y passer presque cinq ans de sa vie338? ». Il ne peut être celui qui détruit la dernière œuvre de sa figure tutélaire. Nous verrons plus loin comment il s’attaque, malgré lui, au maître avec son adaptation du Ciel de Québec.

Comme avec sa pièce précédente, Marina. Le dernier rose aux joues, sur la vie et l’œuvre de la poète Marina Tsvétaeva339, Michèle Magny puise abondamment dans les derniers textes de Ferron, tant le Pas de Gamelin, inédit, que L’exécution de Maski. Dans le cas de Ferron, elle oppose un « temps présent », celui de la crise de l’auteur, de la mise à mort de son double littéraire, à un « retour dans le temps », l’internement volontaire, en 1976, du Docteur Ferron à Saint-Jean-de-Dieu. Dans Marina, le rapport est inversé : le temps présent (1939) est celui du retour inévitable d’exil de Tsvétaeva. Marina est dans une gare de Paris — lieu de transition — et les retours en arrière se situent en 1917-19, et sont inspirés des écrits de l’auteur russe. La rencontre de l’auteur avec son personnage est une belle retrouvaille, de compagnonnage et d’affection.

338

Victor-Lévy Beaulieu, Docteur Ferron. Pèlerinage, Montréal, Stanké, 1991, p. 390.

339 Michèle Magny, Marina. Le dernier rose aux joues, d’après la vie et l’œuvre de Marina Tsvétaeva,

Le rapport de Ferron et de son alter ego Maski dans Un carré de ciel est tout autre. C’est une lutte à mort dans laquelle ces deux protagonistes se sont engagés. Maski est exécuté, mais la mise à mort ne peut être que partielle, puisque son géniteur, son prête-nom, vit toujours sans le bénéfice d’un double à la fois porte-parole et bouc émissaire. Rappelons que Ferron avait lui-même déjà mis à mort Maski. Il s’en explique en entrevue :

[…] j’ai toujours eu un double. Maski c’est un bonhomme qui vient du comté de Maskinongé ; je viens du comté de Maskinongé. Il est médecin ; je suis médecin. Ce n’est pas lui qui écrit ; c’est lui qui fournit la matière. En somme, aussi longtemps que le dédoublement n’a pas lieu, ça va assez bien. Mais dès qu’il eut lieu… j’ai pensé me tirer d’affaire en me débarrassant de Maski ; ce qui n’a pas été le cas. J’ai exécuté Maski lorsque je me suis rendu compte que j’étais en présence de moi-même, seul. Je ne me trouvais pas intéressant340.

Michèle Magny note que les « personnalités (des personnages qu’elle emprunte à Ferron) ont été modifiées en vue de répondre aux exigences dramatiques de la pièce341 » et que la pièce « appartient au domaine de l’imaginaire théâtral342 ». Pourtant, elle cite des passages importants des récits autobiographiques et fictionnels de Ferron, et prend le soin d’identifier les citations. Le projet paradoxal est donc de mettre en scène Jacques Ferron et ses personnages sans toutefois s’en tenir à leurs caractéristiques propres. Le problème éthique est posé du point de vue du biographe, mais il est atténué dans la perspective d’une écriture dramatique autonome. Magny fait vivre au personnage de Ferron des rares moments de grâce auprès de sa mère ; moments empruntés, il est vrai, à

340

Jacques Ferron et Pierre L’Hérault, op. cit., p. 300.

341 Michèle Magny, Un carré de ciel, op. cit., p. 6. 342 Idem.

une ébauche du Pas de Gamelin343. On devine une tendresse de l’auteure pour son sujet, par la nature de l’œuvre correctrice, donnant à faire vivre au héros ses moments fantasmés, jusqu’à faire de sa vie une allégorie du « pays incertain », lieu d’enfermement où l’on doute jusque de sa propre existence344.

Chez Magny, c’est le geste créateur du Docteur Ferron qui le fait basculer vers la folie, non pas un épuisement professionnel, moral, mais bien l’exercice de l’acte introspectif et créateur. On explique le mythe plus aisément que l’homme. Celui qui a défendu les fous et qui s’est intéressé à leur sort, celui qui a créé le parti Rhinocéros et qui a joué les fous du roi se retrouve au « Pas de Gamelin », l’hôpital psychiatrique qui a également accueilli les deux autres grands fous mythiques de la littérature québécoise, Nelligan et Gauvreau. Ferron dira des fous, et je ne puis résister de citer le passage étant donné qu’il renvoie un reflet peu flatteur du projet de la représentation de soi :

Chaque fou veut prendre toute la place et c’est là que les salles d’hospices deviennent extrêmement grinçantes. Oui, ils veulent rendre témoignage : témoignage à eux-mêmes! Et ils font taire ceux qui sont derrière eux. Si tu te mets à fonctionner sous le mode des fous, tu te fais prendre à toi-même et, si tu écris, tu te trouves à perdre un peu de ta verve, cette façon que tu avais de parler bonnement de toute une société à laquelle tu participais, pour témoigner de toi-même345.

Michèle Magny infléchit cette impression dysphorique et donne au témoignage intime de Ferron une charge sociétale.

343

Texte, « Les deux lys », qu’on retrouvera dans la Conférence inachevée. Le pas de Gamelin et autres

récits, édition préparée par Pierre Cantin et Marcel Olscamp, Outremont, Lanctôt, 1998, « Petite collection

Lanctôt ». Ferron écrit : « C’est de nouveau le 12 juillet. Ma mère est revenue. Je l’accompagne, juvénile et légère malgré la lourdeur du matin. Elle porte une robe de coton blanc, toute simple, et un chapeau de paille à ruban bleu dont le large bord lui ombrage le visage, plus indistinct d’une année à l’autre » (p. 228).

344

Le monologue final, en voix hors-champ, souligne mélodramatiquement le rapprochement entre l’internement volontaire de Ferron et celui, politique, du Québec. Michèle Magny, op. cit., p. 106.

Victor-Lévy Beaulieu, pour sa part, présente non pas un projet biographique, mais plutôt un « hommage particulier au plus grand écrivain que le Québec ait jamais produit346 ». Pour ce faire, il s’attaque à l’épique fresque ferronienne Le ciel de

Québec347, en ramenant à sept personnages un roman qui en comptait près de deux cents et en privilégiant un seul épisode du roman, soit l’épiphanie liée à la figure christique de Rédempteur Faucher qu’on retrouve dans le village métis des Chiquettes. Ce village, trois évêques cherchent à le « québéciser » et à le soumettre à la loi chrétienne en y implantant une nouvelle paroisse. L’épisode au potentiel théâtral tarde à venir et est précédé de prolégomènes ecclésiastiques, conversations précieuses, comme on sait les reconnaître chez Ferron, sur ce voyage au village des Chiquettes, qui forment près des deux tiers de la pièce.

Le titre de la pièce intrigue déjà : La tête de Monsieur Ferron ou les Chians. S’agit-il de l’état de la tête de celui qui fait rigoler le Québec avec son parti Rhinocéros et ses historiettes invraisemblables? Est-ce un rappel de la pièce de Ferron, la Tête du roi, une manière de facéties farcesques opposant indépendantistes, fédéralistes et je-m’en- foutistes? Ou est-ce une évocation tirée de L’Impromptu des deux chiens, pièce autoréférentielle du Docteur Ferron où l’auteur s’étend longuement sur la difficulté de savoir si l’on a toute sa tête à soi… Le titre impose déjà le sujet — il ne sera pas question du Ciel du Québec, mais bien de l’œuvre d’un Monsieur Ferron qui ne semble pas avoir toute sa tête. La seconde partie du titre : « ou les Chians » renvoie à la tribu imaginaire de métis ressemblant aux Hurons d’Ancienne-Lorette. Ces Chians jappent comme des

346

Victor-Lévy Beaulieu, La tête de Monsieur Ferron ou les Chians. Une époée drôlatique tirée du Ciel de Québec de Jacques Ferron, Montréal, VLB éditeur, 1979, p. 16.

chiens. Peut-être sont-ils « chiants » par leur résistance traditionnelle à l’assimilation que tente l’État et l’Église qui ne font qu’un à l’époque. « Une épopée drôlatique tirée du Ciel

de Québec de Jacques Ferron. » Épopée paradoxale sinon médiévale : l’adaptation grossit

les traits et met les pleins feux sur le cérémonial miraculeux. Le texte-source est annoncé, tout comme le cérémonial et son impromptu probable, avec au centre la figure de Monsieur Ferron. L’auteur mis en scène ressemble à un « fêlé du chaudron » tout droit sorti de l’arrière-pays québécois. L’œuvre est ironique et irrévérencieuse et, comme ce médecin opiomane des Méchins, le Ferron scénique s’automédicamente.

Dès le premier tableau, Beaulieu place son personnage d’auteur médecin volontaire : « Quelque part sur la scène, de façon à pouvoir intervenir mais sans nuire à ce qui se passe, est assis Monsieur Ferron348 ». Devant lui, « des tas de papiers et de livres et un portuna349 ». Il ajoute, pour tenir compagnie au portuna, un stéthoscope. Si les premiers objets renvoient à la fonction d’écrivain, les deux derniers rappellent que Jacques Ferron était aussi médecin. Médecin des régions, comme en atteste son affection pour le terme portuna, plutôt que « valise ridicule », dont il s’est targué d’avoir rapporté le sens depuis la Beauce profonde. (À ce sujet, voir Du fond de mon arrière-cuisine où Ferron note qu’il « n’adme[t] que les mots anciens350 » et qu’il a une aversion pour les mots inventés. Il se voit comme étant de « stricte observance », lié au parler populaire plutôt qu’à celui des savants et des littéraires.)

348

Victor-Lévy Beaulieu, La tête de Monsieur Ferron, op. cit., p. 19.

349 Ibid., p. 19.

La tête de Monsieur Ferron est une étrange adaptation du Ciel de Québec.

Beaulieu admet avoir « pillé autant [qu’il a] pu le Ciel de Québec, sans remords et en toute bonne conscience, pour rester fidèle autant que possible à l’esprit de Ferron, lui- même excellent pirate de textes des autres351 ». Pourtant, les fragments du roman qui se retrouvent dans la pièce n’y sont que pour éclairer la figure de l’auteur Ferron mis en scène. S’agit-il d’un simple personnage d’une pochade qui ressemble aux propres personnages dramatiques de l’œuvre de Ferron? Mais il ne s’agit pas vraiment d’une pochade, puisque le projet d’origine est de « rendre hommage au plus grand créateur que le Québec ait connu ».

On le sait, Ferron a été vivement blessé par l’adaptation qu’avait faite Beaulieu de son roman. Il y a vu une réaction adolescente au lourd rôle de figure paternelle que VLB lui avait imposé. « C’était peut-être sa façon de se déclarer quitte envers moi352 », concèdera-t-il dans une entrevue avec Pierre L’Hérault. Beaulieu s’en repentira dans son

Docteur Ferron : pèlerinage, en faisant constater à son propre alter ego, Abel, qu’il avait

« mutilé une œuvre comme ce n’est pas permis de le faire. Et pas encore content de ce que j’avais entrepris, j’ai été beaucoup plus loin : dans ma pièce, j’ai fait de Jacques Ferron un personnage, me servant de ce que j’avais appris sur lui en privé pour en faire montre devant des spectateurs qui n’en demandaient pas autant353 ». En intervenant dans ce qu’il y avait de plus privé chez Ferron, il a trahi une confiance d’éditeur et d’ami.

351

Victor-Lévy Beaulieu, La tête de Monsieur Ferron, op. cit., p. 15-16.

352 Jacques Ferron et Pierre L’Hérault, op. cit., p. 217. 353 Victor-Lévy Beaulieu, Docteur Ferron, op. cit., p. 300.

La figure de Jacques Ferron apparaît souvent dans l’œuvre de Beaulieu, depuis

Jos Connaissant jusqu’à son essai quasi hagiographique Docteur Ferron : pèlerinage. On

l’aperçoit au travers d’une citation bien choisie, d’une évocation directe ou de son influence explicite sur le sujet dans pas moins de dix ouvrages (je pense notamment au

Manuel de la petite littérature du Québec, à Ma Corriveau, à Moi Pierre Leroy, prophète,

martyr et un peu fêlé du chaudron354). Ferron a admis avoir voulu écrire une suite au Ciel

de Québec, mais il a estimé ne pas l’avoir fait « à cause de Lévy Beaulieu » qui avait déjà

répondu avec la Nuitte de Malcomm Hudd355, tout comme Moi Pierre Leroy qu’il avait voulu écrire, mais que son fils spirituel « lui a chippé », toujours selon Ferron356.

Le fruit d’une étrange appropriation autoriale, Victor-Lévy Beaulieu prête au Ferron fictionnel son pied bot. Aux pages 32 et 111, Ferron fait mention de son « pied de bouc » ou de sa « patte de bouc » qui lui fait mal. Tout lecteur habitué au récit des origines de l’auteur acronyme sait qu’il a été atteint de la poliomyélite à l’âge de 13 ans et que le pied bot, tantôt pied de bouc chez Bélial, tantôt simple claudication, est une caractéristique physique de VLB. Dans une lettre à John Grubbe, que Beaulieu cite en prologue au Docteur Ferron, le Docteur écrit au sujet du jeune auteur : « Il a prétendu dans son Melville qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais. Je n’en doute pas ; il tombait en transe dès que je lui parlais. Une telle frénésie m’impressionnait et je regardais son pied d’Œdipe : avec quelle allégresse il me culbuterait un jour de son

354 Victor-Lévy Beaulieu, Jos Connaissant, Montréal, Éditions du Jour, 1970 ; Manuel de la petite littérature du Québec, Montréal, Éditions de l’Aurore, 1975 ; Ma Corriveau, Montréal, VLB éditeur, 1976 ; Moi Pierre Leroy, prophète, martyr et un peu fêlé du chaudron, Montréal, VLB éditeur, 1982.

355 Victor-Lévy Beaulieu, La nuitte de Malcomm Hudd, Montréal, Éditions du Jour, 1969. 356 Jacques Ferron et Pierre L’Hérault, op. cit., p. 214.

chemin357! ». Beaulieu crée même le personnage de Bélial dans Docteur Ferron :

pèlerinage, un dialogue à trois voix relatant son admiration pour la figure paternelle. À

côté de Samm, sa fantaisie amérindienne qu’on retrouvait jadis dans les Voyageries358, et d’Abel, son alter ego, se trouve Bélial l’éclopé, « le prince des ténèbres, le maître des enfers » qui a « longtemps tenu commerce dans l’arrière-boutique de la taverne du vieux Jack O’Rourke359 », guettant la chaise du maréchal-ferrant que Jacques Ferron et Abel venaient admirer.

Intrusion somme toute mineure de l’auteur Beaulieu que ce pied de bot, mais néanmoins une intrusion œdipienne. Pas tout à fait Ferron, ni tout à fait Beaulieu, ce personnage se livre à l’exercice de la création. Cette spectacularisation de l’acte créateur par le biais d’un impromptu justifie la présence scénique de Ferron, que la simple adaptation de son roman n’aurait pas autorisée. Le personnage Ferron intervient à douze reprises dans la trame de son roman, en plus de ses courts monologues en début et en fin de pièce, afin d’établir la mise en abyme du Ciel de Québec. Ses premières interventions sont de l’ordre de l’incursion autoriale, mais dès la page 35, il joue de sa fonction de créateur sur le mode de l’impromptu.

Comme Beaulieu a très tôt situé le travail de Ferron sous le signe du mythe d’Ésope, il revendique le droit à l’errance. Ses personnages résistent à ses instructions ;

357 Victor-Lévy Beaulieu, Docteur Ferron : pèlerinage, op. cit., p. 14.

358 La séries « Les voyageries » de Victor-Lévy Beaulieu comprend Blanche forcée, 1976, N’évoque plus le désenchantement de ta ténèbre, mon pauvre Abel, 1976, Sagamo Job J, 1977, Monsieur Melville, trois

volumes en 1979, Una, 1979, tous publiés chez VLB éditeur. Il reviendra au personnage de Samm dans

Discours de Samm en 1983.

ils le traitent de fou, d’échappé. L’auteur les enjoint à participer de manière plus active, use de toutes les stratégies, de la confidence (sa mère est sa muse, p. 59), de la tentation de la drogue (p. 57) jusqu’à l’argument despotique : « Je suis l’Auteur, j’ai tous les droits » (p. 55). Afin de souligner l’esprit d’improvisation qui règne sur le processus créateur, Beaulieu fait jouer le rôle de Rédempteur Faucher par son créateur.

Conséquemment, le personnage Ferron ne peut jouer ce personnage qu’avec la distance ironique qu’on attend de lui. La substitution de Rédempteur Fauché par son auteur dopé constitue une ironie à deux niveaux, soit celle d’un jeune auteur faisant déboulonner la tête du roi Ferron en l’affublant, par association, d’une identité de Messie de brocante et celle de Ferron devant assumer le rôle qu’il avait d’abord attribué à Frank- Anarchis Scott, le bouc-émissaire anglais de service, après sa « conversion » à la québécitude dans un bordel.

La métaphore du discours ferronien du pays incertain à bâtir, en y assimilant les villages métis, les Anglais et ce qui ressemble à un élément exogène, perd tout son sens, si c’est Ferron qui s’improvise Rédempteur. Au pays qui assimile l’altérité, qui fait sienne la différence, un peu à l’image du processus biographique de Victor-Lévy Beaulieu, l’auteur a préféré mettre de l’avant une œuvre fermée sur elle-même, une œuvre où les intrusions ne sont plus finalement que des apartés, et où la parole demeure moniste et n’a plus de choix que de basculer du côté de la folie, comme l’entendait Ferron : ce témoignage de soi qui tait toute autre parole.

Un carré de ciel de Michèle Magny établit, dès le titre, l’image d’une liberté

circonscrite, soit le combat continuel d’un auteur contre les limites d’une société qui n’osait pas rêver de remettre en cause sa soumission aux idées reçues ni son inféodation politique. L’auteur établit de nombreux parallèles, parfois un peu forcés, entre l’aliénation du créateur Ferron et celle du Québec. Elle emprunte aux derniers textes de Ferron ses thèmes et ses motifs : le combat entre la vie et la mort auquel se livre l’auteur face à son double Maski, et les figures des Recluses de Gamelin, composite choral de nombreux personnages féminins, dont Aline, l’auteure de cette lettre d’amour qui ne pourra jamais être envoyée.

Au niveau de la forme, on reconnaît une certaine prédilection pour la trame shakespearienne avec l’étrange intégration d’un ballet moliéresque. Introduite, mine de rien, et à deux reprises (pages 38 et 96), une réplique tirée d’Hamlet : « The time is out of joint. » Peut-être est-ce là un justificatif spatiotemporel expliquant la concomitance et les glissements entre le monde « réel », celui où Jacques Ferron se rend à l’hospice et décide de passer la nuit dans une cour intérieure, le monde de la « fiction », où l’auteur confronte Maski qui ne se laisse pas faire, et le monde du cérémonial « fantasmagorique » qui brouille les repères habituels et place le tout sous le signe de la