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Chapitre II : La zone d’étude

2. La forêt de Saint Gobain

2.2 Histoire générale du massif

Concernant la forêt de Saint Gobain, les recherches palynologiques et historiques nous permettent de reconstituer trois grandes périodes concernant l’évolution paysagère du Laonnois : de l’Atlantique au Subatlantique, au Moyen-Âge et du XVème au XIXème siècles. L’Antiquité n’est pas prise en considération car nous ne disposons pas de données archéologiques sur le secteur, tout comme la période d’après 1815 en raison de la destruction des archives forestières.

De l’Atlantique au Subatlantique (-8000 à -1500 ans BP)

Les recherches biogéographiques de Barthélémy (1970) ont décelé différentes associations végétales fondées sur les analyses palynologiques13. Les premières formations apparaissent à la période atlantique avec deux types de milieux :

(i) Les zones ouvertes avec céréales, pins et bouleaux reflétant le début d’une anthropisation du paysage de par les défrichements et l’agriculture.

(ii) Une occupation forestière avec la présence de chênes, de noisetiers et de frênes. Dans la phase intermédiaire du Subboréal, apparaissent les mêmes distinctions avec des zones cultivées et une occupation forestière majoritairement par des tilleuls avec la continuité des chênes et du noisetier.

L’époque Subatlantique se définit par la disparition des formations ouvertes au profit de deux types de forêts : la chênaie et la chênaie-hêtraie. L’absence d’indices de culture ou de pâturage témoigne en faveur d’une dominance de forêt dans le paysage en raison de l’abandon des terres par l’homme.

Le Moyen-Âge : les implantations religieuses.14

Les grands territoires forestiers du Laonnois existaient déjà au Moyen-Âge où ils étaient des propriétés royales d’héritage mérovingien ou ecclésiastiques. Saint Gobain,

avant de devenir royale au XVème siècle, comme la plupart des domaines des monarques du

nord de Paris, a été cédée par le royaume franc à Saint Amant, un ermite irlandais, au VIIIème

siècle, donfateur d’un ermitage en pleine forêt qui perdura jusqu’au début du XXème siècle. Plus tard, au Xème et XIème siècles, l’essor de l’ordre bénédictin et la nécessité pour les moines de vivre à l’écart des cités, dans des lieux propices à une retraite spirituelle où une ressource énergétique et alimentaire était disponible, conduisirent à l’implantation de grandes abbayes dans le Laonnois et notamment celle de St Nicolas-aux-Bois, située au nord de la forêt de St Gobain. Ces intrusions humaines en forêt attestent de la continuité temporelle du couvert boisé mais également des fortes perturbations et des aménagements que St Gobain connut durant cette période. La gestion forestière exercée à cette époque par les religieux et les communes était sérieusement décriée car souvent abusive et non durable. S’ajoutent à cela les droits d’usages, qui consistent en des prélèvements de bois mort, mort bois ou encore du pâturage, de la récolte de graines (faines, glands) par les paroissiens (habitants vivant sur les terres d’une paroisse). Ces droits, bien que précaires dans leurs attributions car soumis à la bonne volonté du pouvoir en place, ont également impacté de manière considérable la ressource forestière.

13 Un rappel des différentes phases climatiques est fourni en appendice 2.

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Du XVème au XIXème siècle : l’industrie verrière.15

Le massif de Saint Gobain est connu pour être la première forêt gérée par Jean-Baptiste Colbert16 et pour sa tradition verrière qui remonte au XVème siècle. Les régions voisines étaient, à cette époque, en plein essor industriel sidérurgique. Les forges s’installaient en forêt et les ouvrages miniers se multipliaient. Cette occupation de l’homme au sein des peuplements est d’ailleurs la cause première des incendies. Le territoire forestier picard étant par nature peu enclin à s’enflammer, les rares accidents pouvaient survenir lors d’années exceptionnellement sèches ou en raison de l’emploi du feu par les nombreux usagers de la forêt : sabotiers, charbonniers, verriers, forgerons, bergers pour l’entretien des pâtures et bûcherons par le brûlage des rémanents de l’exploitation forestière.

Deux épisodes de feux datant du XVIIème siècle sont connus sur la forêt de Saint Gobain, à l’est du massif, et ne concernent pas directement notre zone d’étude (Figure 7). Des incendies antérieurs ou postérieurs à la période couverte par les archives ont pu se produire. Des sécheresses importantes sont d’ailleurs notées au XIXème siècle et en 1920.

Figure 7 : Carte des unités d'étude du massif. Les symboles rouges indiquant les feux connus, le cercle rouge

la zone d'étude (Buridant 1999).

Le territoire de Saint Gobain ne bénéficie pas de filons de fer dans son sous-sol, mais dispose en revanche d’abondantes ressources forestières et sableuses, c’est pourquoi la verrerie s’y est naturellement développée. Les premiers établissements de la forêt datent du XVème siècle et étaient des verreries de menu-verre, c'est-à-dire des manufactures de bouteilles et gobelets. Elles s’implantent après la Guerre de Cent ans grâce à la migration des verriers lorrains en Picardie et en Normandie. Du XVIème au XVIIIème siècle, cette industrie va connaître sa pleine croissance avec l’apparition de la haute verrerie et notamment la Manufacture royale des grandes glaces, fusion entre une entreprise locale et la compagnie des glaces du faubourg Saint Antoine, qui s’installe à Saint Gobain en 1695. L’objectif est ici de concurrencer les produits des artisans de Venise. Cette manufacture va devenir, avec les hauts-fourneaux de Rotheau en Lorraine, l’une des entreprises les plus consommatrices de bois en France avec, pour Saint Gobain, autour des années 1770, 30 000 stères de bois de feu consommés à l’année. La Manufacture exigeant dans sa globalité (3 verreries) des

15 Buridant 1999

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apports en bois encore plus importants avec près de 80 643 stères par an (Tableau 1). Elle va donc absorber l’ensemble du marché du bois et conduire à l’élimination des autres verreries artisanales.

Tableau 1 : Approvisionnement de bois pour la Manufacture Royale au XVIIIème siècle (Buridant 1999).

Surface (ha) Révolution Surface en coupe (ha/an) Récolte annuelle (stère)

8236.2 25-30 267.4 80 643

La gestion forestière a donc été optimisée pour répondre à cette forte demande qui se traduisait par une intensification des prélèvements et une exigence dans la qualité des produits (essence, diamètre). Pour ce faire, des modifications sylvicoles considérables ont été apportées sur l’aménagement du massif et sur les droits d’usages qui ont été contrôlés, administrés et progressivement diminués. Vigilance et répression accrues étaient de mises afin de réduire au maximum les exploitations illégales. En témoignent l’augmentation du nombre des délits forestiers consignés au XVIIème siècle et sa diminution à la fin du XVIIIème

due à l’impact de cette politique (Figure 8). Le principal de ces délits était la coupe de branches ou d’arbres vivants.

Figure 8 : Nombre de délits forestiers recensés pour la maîtrise de La Fère (Buridant 1999).

Avant le XVIIème siècle, cette propriété royale était gérée à part égale selon un régime de futaie irrégulière et de mélange futaie-taillis. L’exploitation des bois était maniée selon les besoins, sans programmation des coupes. Philippe de Longueval, maître gruier des eaux et forêts, décrit Saint Gobain en situant des zones de futaie au sud-est, donc de peuplement âgé, alors que le nord et l’est étaient composés de jeunes forêts, traitées en mélange futaie-taillis.

A partir du XVIIème siècle, l’ensemble du domaine est converti en taillis-sous-futaie (Figure 9) et cela pour deux raisons :

(i) Obtenir du bois de chauffage pour la capitale.

(ii) Répondre aux besoins spécifiques de l’industrie verrière. 0 50 100 150 200 250 300 350 1618-1621 1636-1644 1654-1659 1685-1696 1730-1755 1777-1786 N o m b re d e d élits Période

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Figure 9 : Changement dans le traitement de la forêt de St Gobain du XVIème au XVIIIème siècle (Buridant 1999).

Les prélèvements sont donc organisés, programmés dans le temps, et les révolutions du taillis sont fixées sur une fourchette de 15-25 ans pour le bois de feu et de 25-35 ans pour le bois de verreries. En effet, la Manufacture des glaces nécessitait des produits au plus grand pouvoir calorifique et donc de plus gros diamètre. Au XVIIIème siècle, la demande de l’industrie verrière dépasse celle du bois de chauffe et les révolutions sont donc globalement allongées ainsi que les effectifs de baliveaux par hectare pour pérenniser la futaie.

Les archives précisent que l’exploitation des souches était prohibée, sauf si la capacité à rejeter se révélait nulle ou s’il s’agissait d’essences précieuses. Ce paramètre est important car l’impact sur les sols est considérable dans le cas d’une exploitation totale de la biomasse ligneuse. Précisons également que les forêts laonnoises sont peu enclines à la production de charbon de bois en raison d’une demande insuffisante. Les rares production de charbon servent à la fabrication de la poudre explosive et à alimenter quelques verreries locales de menu-verre.

Concernant la taille du domaine, la stabilité de sa surface depuis le XIXème siècle témoigne d’une pratique durable de la sylviculture par rapport à ce contexte industriel (Figure 10). La gestion intensive de la forêt prendra fin au XIXème siècle avec l’apparition du charbon fossile qui viendra remplacer le bois dans l’industrie verrière et dans le chauffage domestique. Progressivement l’intérêt des mélanges futaie-taillis va perdre du terrain face à celui de la futaie régulière dont l’école forestière de Nancy fera la promotion dès sa fondation en 1824.

Le domaine forestier de Saint Gobain est le reflet d’un façonnage humain lié aux usages et aux implantations religieuses durant le Moyen-Âge mais surtout à la grande industrie verrière pendant au moins trois siècles consécutifs. Les archives anthracologiques doivent probablement témoigner de cette histoire marquante et afficher une abondance ou des taxons reflétant une gestion forestière intensive.

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 1571 1611 1634 1654 1655-1771 1794 Su rf ace re lat iv e (% ) Années

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