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2.1 Le Rhin supérieur

2.1.2 Histoire des aménagements

Sur un linéaire de 125 km, le Rhin entre Bâle et Strasbourg s’abaisse de 107 m. Cet abaissement important explique, entre autres, les complications rencontrées autrefois pour la navigation et la violence des inondations (Lefoulon, 1959).

La littérature ancienne montre que face à la menace des inondations, les sociétés riveraines ont mené des aménagements dès la fin du XVIIIième siècle, sur les berges ou dans les lits majeurs, au moyen de levées de terre, de fascines et de tunages (Champion, 1863 ; Fischbach, 1878). Mais ces ouvrages ont été sporadiques le long du fleuve et n’ont pas permis d’enrayer les dégâts causés par les inondations.

La fin du XVIIIième siècle marque un tournant dans la planification de la domestication du fleuve. Dans le but de lutter efficacement contre les inondations, les premiers projets d’ensemble ont vu le jour : celui d’Abraham de Clinchamp en 1765, puis celui de Hell en 1787, et enfin celui du Général d’Arçon en 1789. Si le projet de Hell propose une adaptation des aménagements d’Abraham de Clinchamp en faveur de la navigabilité du fleuve, celui du Général d’Arçon vise à stabiliser le lit mineur notamment pour fixer la frontière franco-allemande, mais également pour favoriser l’agriculture et diminuer le risque d’épidémie lié à l’importance des zones humides (Maire, 1996). Initialement cantonné à la rive française du fleuve, le projet a pris une dimension internationale et s’élargit de la Suisse à la Hollande. Le projet du Colonel Johann-Gottfried Tulla est finalement adopté en 1840 (Tulla, 1825). À cette première phase d’aménagements (1842-1876 : correction) va succéder une période d’amélioration du projet initial (1930-1936 : régularisation), suivie d’une dernière phase de travaux (1928-1977 : canalisation) dont résulte le paysage fluvial actuel. Depuis les années 1980 a débuté une 4ième phase d’aménagement qui consiste à la fois à restaurer le fonctionnement hydro-morphologique et écologique du fleuve et à écrêter les crues, pour corriger les impacts de la canalisation.

2.1.2.1 La correction

Les travaux de Tulla ont consisté en une profonde restructuration de l’hydrosystème, dont les espaces compartimentés furent destinés à des fonctions déterminées (Bernhardt, 2000 ; Herget

et al., 2005). Entre Bâle et Mannheim, le Rhin est corrigé de la manière suivante (Fig. 1.7) :

· le réseau des chenaux multiples est remplacé par un chenal principal unique d’une largeur de 200 m. Les chenaux latéraux sont déconnectés en partie et les méandres (en aval de Seltz) sont recoupés ;

· le chenal principal est ceinturé entre des digues dites « submersibles » pour permettre les débordements dans le lit majeur ;

· des digues dites de « hautes eaux » ou d’« inondations », situées à ~ 1-2 km de part et d’autre du lit mineur, délimitent un nouveau lit majeur également rétréci (Fig. 1.8).

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Figure 1. 7 - Exemple de simplification du tracé du Rhin par les travaux de correction de Tulla et Honsell (Honsell, 1885; Repris dans Herget et al., 2005)

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Figure 1. 8 - Profil en travers entre Gross-Kembs et Klein-Kembs présentant les digues submersibles au niveau des berges du lit mineur et les digues des hautes eaux (vert). Carte de 1889 fournie par Dillmann.

La simplification du tracé a diminué la longueur du fleuve de 32 km (soit 14 % entre Bâle et Lauterbourg), entraînant une augmentation de la pente, des forces tractrices et de la puissance fluviale et, corrélativement, l’incision du cours d’eau (Marchal et Delmas, 1959). Ce phénomène est volontaire et recherché par l’ingénieur, mais il a été renforcé par le rétrécissement du lit mineur et l’arrêt de la fourniture sédimentaire par érosion des berges. En cela, l’ingénieur poursuit deux objectifs :

· augmenter le débit à pleins bords pour atténuer les submersions ;

· favoriser la sédimentation fine dans les annexes hydrauliques lors des inondations. L’ensemble de ces objectifs a été atteint sur la majeure partie du linéaire. Néanmoins, l’incision dans la partie amont a atteint localement 7 m (comme à Chalampé, situé à 10 km au sud de Bâle ; Fig. 1.9) et a fait apparaître la barre rocheuse d’Istein, qui stoppa l’incision et empêcha la navigation jusqu’au port de Bâle dès la fin du XIXième siècle (Marchal et Delmas, 1959). En outre, la circulation sur le Rhin, bien qu’améliorée par les travaux de correction, resta compliquée notamment en période d’étiage. Pour pallier cette contrainte, le projet de « régularisation » fut adopté en 1905.

Figure 1. 9 - Profil en long diachronique et sectorisation longitudinale des deux tiers méridionaux du Rhin Supérieur d’après Schmitt (2001), adapté de Carbiener et Dillmann (1992).

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2.1.2.2 La régularisation

L’objectif des travaux de régularisation était de garantir un tirant d’eau minimum pour permettre la navigation sur l’ensemble du Rhin corrigé, même en basses eaux. Le projet de

l’ingénieur badois Honsell a été retenu. Il a consisté à construire des champs d’épis latéraux alternés pour favoriser « l’auto-curage » des hauts-fonds (Fig. 1.10). Des rampes de fond ont

aussi été mises en place pour limiter l’incision, ce qui fût un échec (Marchal et Delmas, 1959). Les premiers travaux menés à l’aval de Strasbourg furent concluants et ont donc été étendus dès 1930 en amont (Schneider, 1966). Mais le problème de la barre d’Istein n’était pas résolu. La seule solution envisageable était la construction d’un bief de contournement. Les décideurs et les ingénieurs voient dans ce nouveau projet une réelle opportunité de combiner au contournement de la barre d’Istein la production hydro-électrique, dont les avancées techniques dans le domaine étaient en plein essor (Maire, 1996). Bientôt, un nouveau projet d’ensemble a été retenu avec un double objectif : reconnecter Bâle au trafic fluvial et produire de l’hydro-électrique sur l’ensemble du linéaire de Bâle à Strasbourg.

Figure 1. 10 - Plan du lit corrigé du Rhin montrant le projet de régularisation (Marchal et Delmas, 1959).

2.1.2.3 La canalisation

L’anthropisation du Rhin Supérieur est maximale au début du XXième siècle. Avec le traité de

Versailles en 1919 qui donne à la France la possibilité d’exploiter l’énergie hydraulique du

fleuve (Herget et al., 2005), la dernière phase d’aménagement a été lancée en 1928. Le Grand

Canal d’Alsace (GCA) est construit sur la rive gauche du fleuve. Quatre centrales

hydro-électriques ont été construites sur le tronçon Kembs – Breisach entre 1952 et 1959 (Fig. 1.11-1). À l’aval de Bâle, un barrage de dérivation permet de court-circuiter le fleuve et dériver la quasi-totalité des débits dans le GCA. Seule une vingtaine de m3.s-1 sont injectées dans le Vieux-Rhin. Cette situation hydrologique particulière impacte la nappe phréatique dont le niveau s’abaisse considérablement, provoquant des préjudices aux agriculteurs de la plaine rhénane. Pour pallier cette conséquence inattendue, deux solutions sont retenues : 1. à partir de 1963, quatre nouvelles centrales hydro-électriques sont construites « en feston » jusqu’à Strasbourg (Fig. 2), puis « en ligne » pour celles de Gambsheim et d’Iffezheim (Fig. 1.11-3), et 2. des seuils et des barrages agricoles sont construits dans les tronçons de Vieux-Rhin afin de rehausser artificiellement le toit de la nappe. Au total, le tronçon entre Bâle et Mannheim compte dix centrales hydro-électriques (Dister et al., 1990).

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Figure 1. 11 - Localisation et types d'aménagements sur le Rhin Supérieur, entre Kembs et Iffezheim (adapté de edf-alsace).

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2.1.2.4 Conséquences actuelles des aménagements

Ces trois aménagements successifs ont profondément marqué le paysage du Rhin Supérieur. Les fonctionnements hydrologiques et géomorphologiques ont été radicalement modifiés, et de façon irréversible. Les aménagements n’ont

finalement pas permis d’écarter le risque d’inondation. Le problème a été déplacé à l’aval d’Iffezheim (Dister et al., 1990). Le temps de

transit des crues s’est accéléré et le pic de crue

peut coïncider avec ceux des affluents du Rhin Supérieur (Neckar, Main, Moselle), augmentant considérablement le risque d’inondation entre Maxau et Worms (Dister, 1986 ; Lammersen et al., 2002). Dès 1982, de nouveaux travaux sont engagés entre Bâle et Worms pour aménager des

zones de rétention de crues dans les espaces de

l’ancien lit majeur du Rhin. L’objectif est ambitieux : plus de 288 Moi de m3 doivent être stockés dans une plaine d’inondation dont la surface a été divisée par 6 (1 800 km² en 1828 contre 300 km² actuellement ; Lammersen et al., 2002). En outre, l’érosion progressive en aval d’Iffezheim, liée au déficit sédimentaire, est contrecarrée par des recharges sédimentaires régulières réalisées par l’Allemagne (Fig. 1.12). Les volumes moyens injectés atteignent annuellement ~ 170 000 m3, ce qui pose la question de la durabilité de la gestion du fleuve (Kondolf, 1997 ; Kuhn, 1992).

2.2 L’île artificielle du Rohrschollen

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