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J’ai rencontré M. Henri pour la première fois alors qu’il était alors âgé de 95 ans. Comme à cette époque, M. Henri vit aujourd’hui seul dans une maison d’un petit village des Cévennes. Son état de santé est à peu près le même bien que son acuité visuelle ait encore diminué à cause d’une dégénérescence de la macula. De ce fait, M. Henri heurte les meubles qui l’entourent et chute fréquemment. Néanmoins, il réalise seul ses activités quotidiennes. Pour les repas, M. Henri se les faisait autrefois porter mais il préfère maintenant qu’une auxiliaire de vie vienne chez lui matin et soir pour lui faire la cuisine. Une autre auxiliaire de vie vient plusieurs fois par semaine pour s’occuper de maintenir sa maison propre, et effectue de courtes promenades avec M. Henri.

La fille de M. Henri est célibataire et toujours en activité mais elle se rend néanmoins chez son père plusieurs fois par semaine. C’est elle qui s’occupe de faire les courses et de gérer les revenus et les « papiers » de son père. Le fils de M. Henri semble beaucoup moins proche de son père. Cependant, il devrait prochainement faire construire une maison à moins de 50 mètres de celle de son père qui semble attendre beaucoup de ce rapprochement. En effet, mon informateur souffre beaucoup de la solitude depuis le décès de sa femme survenu en 1997. Le discours de M. Henri est évocateur de la manière dont s’organise le quotidien au grand âge et de l’importance que revêtent le passé et les souvenirs pour « les plus âgés ». Les propos de mon informateur sont également très évocateurs de la manière dont peut être vécu le veuvage lorsqu’il intervient au grand âge.

Mme Berthe, 90 ans

Je connais personnellement Mme Berthe depuis de nombreuses années et c’est en partie pour cette raison que j’ai choisi d’en faire une de mes informatrices essentielles. Cela me permet une analyse de son histoire de vie qui ne passe pas uniquement par ses mots mais aussi par mes observations antérieures. Mme Berthe vivait autrefois dans un petit village de l’Aveyron avec son mari. Tous deux étaient maraîchers. A la suite du décès de son mari, il y a plus de 10 ans, Mme Berthe est restée vivre seule. Cependant, celle-ci a dû subir, au niveau de la hanche

et du fémur, deux opérations qui ont fortement réduit sa mobilité. Après plusieurs mois de discussions, les filles de Mme Berthe l’ont convaincue, il y a environ 7 ans, de prendre un appartement dans un foyer-logement. Au départ, Mme Berthe vivait en foyer-logement durant les mois d’hiver et retournait vivre chez elle pendant l’été. Au fur et à mesure, ses « séjours » chez elle ont été de plus en plus courts et espacés jusqu’à ce qu’elle vive en permanence dans son foyer-logement. Ses filles et le personnel du foyer-logement ont longtemps œuvré pour que Mme Berthe accepte de quitter son « appartement » pour entrer en maison de retraite. C’est ce qui c’est produit en juin 2007. Suite à l’une de ses multiples chutes, Mme Berthe s’est fracturé le poignet. Cela a eu pour effet de l’obliger à rester en fauteuil roulant car elle ne peut plus s’appuyer sur ses cannes. Ne pouvant se déplacer seule, s’habiller et se préparer à manger, mon informatrice a pris la décision d’entrer en maison de retraite. Cette décision a profondément modifié l’attitude de mon informatrice. Elle qui avait toujours lutté pour continuer à marcher et pour ne pas se laisser imposer des décisions par un tiers apparaît aujourd’hui résignée et docile vis-à-vis de l’institution et du personnel soignant.

Bien qu’aucun entretien réalisé avec Mme Berthe n’ait été enregistré, elle est la personne que je rencontre le plus souvent. Cela m’a permis de suivre de très près son affaiblissement et les différentes étapes qui l’ont conduite jusqu’à la vie en maison de retraite. L’histoire de vie de Mme Berthe permet d’analyser le lien entre les évènements concrets de sa vie au grand âge et les transformations de son mode de pensée.

Mme Anna, 95 ans

N’ayant ni frère ni sœur, Mme Anna fut très déçue de ne pas pouvoir participer au projet GEHA et affirmait qu’elle aurait souhaité me rencontrer pour me faire part de ses réflexions sur le sujet. C’est ainsi que j’ai été amené à me rendre à son domicile situé dans un petit village de montagne en Haute Savoie. Mme Anna est la dernière personne incluse dans mon échantillon d’informateurs d’un point de vue chronologique. Je l’ai rencontrée en début d’année 2006 et nous avons effectué ensemble deux entretiens. Elle était alors âgée de 95 ans. Mme Anna est en très bonne santé mentale, sensorielle et physique et est autonome pour ses activités quotidiennes. Elle prépare seule ses repas et fait elle-même sa lessive. Parmi tous mes informateurs, elle est la personne qui bénéficie de la meilleure santé et du plus d’autonomie, bien qu’elle dise qu’elle pourrait très bien « ne plus être là l’année prochaine ». Mme Anna est néanmoins une personne très positive qui explique avoir trouvé un sens à son vieillissement à travers la réalisation de cahiers relatant toutes sortes de choses allant de son

histoire de vie à la définition de termes en patois… Elle explique qu’elle aimerait que cela puisse servir aux jeunes. Plus qu’un passe-temps, elle s’astreint à cette activité comme s’il s’agissait d’un travail. Le cas de mon informatrice illustre la manière dont certaines personnes très âgées parviennent à donner du sens à leur grand âge. La réalisation de ses cahiers permet à mon informatrice de faire un lien entre le passé qu’elle dit revivre en permanence, le présent et l’avenir par l’intermédiaire de ce « témoignage » qu’elle souhaite laisser à ses proches. Les entretiens menés avec Mme Anna évoquent l’importance de la prise en considération du temps dans l’étude du mode de vie des « plus âgés ».

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