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HECTOR DE SAINT-DENYS GARNEAU L’ASYMPTOTE DU POÈME

Garneau et le romantisme

Saint-Denys Garneau n’a pas la réputation d’être un poète romantique. C’est plutôt le contraire qui fait sa renommée. Il semble en effet que la littérature québécoise a franchi avec lui un pas sinon définitif, du moins décisif quant à la manière de concevoir le rôle et la pratique de la littérature, tout particulièrement de la poésie ; manière qui heurte la sensibilité romantique fondée sur le modèle de Lamartine. Alors qu’elle adopte une perspective philosophique et artistique moderne (néo-thomisme, personnalisme, symbolisme et certaines avant-gardes — Baudelaire, Claudel, Reverdy, Bernanos, etc.), la génération de Garneau admet volontairement que le poème n’a pas à être signé au nom de la patrie, désaffublant ainsi le poète d’un mandat idéologique qui, dans l’optique propre aux jeunes écrivains de La Relève, contrevenait au but premier de l’art qui est de permettre à l’individu de se connaître en reformant l’unité de sa personne. Ce changement de cap force l’abandon d’une part de l’héritage romantique, puisqu’au Canada français le romantisme s’est exercé à la faveur de la nation avant de répondre aux aspirations de l’individu. Par conséquent, le principe d’originalité a été prioritairement compris dans son rapport

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avec la communauté, si bien que le chant de la poésie, attaché à l’histoire et aux paysages canadiens-français, devait exprimer et magnifier l’identité collective. Sous la férule d’une succession de penseurs qui s’étend de l’abbé Casgrain jusqu’à Lionel Groulx, l’esprit militant des lettres se présente ainsi comme une nécessité collective. Il n’est pas étonnant que l’orientation de la littérature canadienne-française ait pu cadrer, et ce durant plusieurs décennies, avec ce que Paul Bénichou énonce au sujet du premier romantisme en France : « On a fait résider aussi la vertu restauratrice de la poésie dans le pouvoir qu’elle a de faire revivre et aimer le passé national […]. Le sacerdoce du passé accompagne bien celui de l’éternité : cette formule combinée devait être celle du premier romantisme français1. » Cette conception de la poésie

conduit l’écrivain à endosser un rôle qui coïncide avec un certain héroïsme romantique, à savoir celui de l’individu guidant le peuple vers la lumière ou portant à lui le feu, à l’exemple immémorial de Prométhée. Traversant la littérature patriotique et le régionalisme, et reliant du même coup le XIXe et le XXe siècle, le romantisme

engagé et civique creuse un sillon qui témoigne de l’opiniâtreté avec laquelle le projet de la littérature nationale a été dirigé.

De ce romantisme que nous plaçons ici sous le signe du paysan penché sur la charrue, Saint-Denys Garneau est résolument détaché, même si sa correspondance le montre sensible à la spécificité canadienne de la poésie. À cet égard, il suffit de rappeler l’enthousiasme dont il fait preuve devant les poèmes d’Alfred DesRochers et son empressement à partager cette découverte avec ses amis, notamment avec Claude Hurtubise à qui il écrit en juillet 1931 : « As-tu acheté À l’ombre de l’Orford par Alfred Desrochers ? Sinon, vois à te le procurer. Tu y trouveras la vraie poésie 

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canadienne, celle qui dit la sève du peuple et de la terre et qui sort d’elle en effet. C’est le premier vrai poète canadien que je lise. » (LA, 20) L’emploi des mots « peuple », « terre » et de l’épithète « canadienne » montre en quoi un tel jugement sur une œuvre ne peut être complètement dissocié du discours nationaliste des lettres qui fait pression sur tout amateur de littérature à l’époque. Cependant, compte tenu de la voie sur laquelle seront lancées l’œuvre et la pensée garnéliennes, on doit insister davantage sur la double occurrence du qualificatif « vrai », car c’est le sentiment d’accéder à un espace de vérité qui aura sans doute le plus impressionné le jeune Garneau en lisant DesRochers. Du reste, la coloration nationaliste qui teinte ici son discours peut être affiliée à la démarche spirituelle qu’il entreprend à travers la poésie et la peinture. En effet, comme auprès de ses compagnons de la revue La Relève, la pensée esthétique de Jacques Maritain aura chez lui une forte influence. Il aura lu, entre autres, Art et scolastique où le philosophe écrit :

les œuvres les plus universelles et les plus humaines sont celles qui portent le plus franchement la marque de leur patrie […].

Il apparaît ainsi que l’attachement au milieu naturel, politique et

territorial, d’une nation est une des conditions de la vie propre et donc de

l’universalité même de l’intelligence et de l’art ; tandis qu’un culte

métaphysique et religieux de la nation, qui essaierait d’asservir l’intelligence à

la physiologie d’une race ou aux intérêts d’un État, met en péril de mort l’art et toute vertu de l’esprit2.

Il paraît plus cohérent d’inscrire toute considération nationale chez Garneau, ou ce qui s’y apparente, dans le prolongement de tels propos, car la première préoccupation du poète concernera très certainement la découverte de cette « vie propre » dont il est question et qui trouve dans l’art et l’intelligence universels ses lieux d’apparition.



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On sait que Saint-Denys Garneau s’est initié au néo-thomisme de Maritain autour de 19343, si bien qu’il est impossible de lire le commentaire sur la poésie de

DesRochers comme le résultat de cette rencontre. Toutefois, aux yeux du lecteur qui envisage Saint-Denys Garneau depuis le XXIe siècle, ce commentaire prend

rétroactivement un sens plus profond, car il laisse entrevoir l’unité artistique d’une œuvre se démarquant d’emblée des vestiges du romantisme missionnaire qui, pour paraphraser Maritain, menaçaient de mort l’art et les vertus de l’esprit en les mettant au service d’intérêts qui leur étaient étrangers. D’une poésie contrainte de se légitimer par la collaboration qu’elle offre à une idéologie qui la subordonne, Saint-Denys Garneau passe à une poésie conditionnée par une exigence intérieure radicale où s’affirme l’idée que le poème doit, par le mouvement de sa pensée, comprendre les réalités du monde pour en faire sentir l’unité et les harmonies — Garneau évoque l’ « étonnante réalité » (Œ, 186), ce à quoi il n’aura accès qu’en de brefs éclairs, si l’on en juge par le poème « Le diable, pour ma damnation » : « Il a, en se jouant de moi, / Soulevé le bord du voile / Qui cache la vie. / Oh ! pas longtemps ! / Juste à peine ce qu’il faut / Pour me laisser appréhender / Ce qui est de l’autre côté / Et aiguiser, et mettre en branle / La curiosité » (Œ, 186). En ce sens, Garneau demeure bel et bien dans le sillon du romantisme, mais un romantisme qui perçoit l’art dans un rapport conditionnel et réciproque avec la vérité, ainsi que le rappelle Robert Melançon : « [Le poème] est signé, dans l’acception la plus forte. Sa vérité naît d’une relation transparente avec l’être du poète : son “aspect” doit être identique à sa substance, il ne peut mentir, flatter, tromper, se parer des plumes du paon, donner le change4. »



3 Voir Roland Bourneuf, Saint-Denys Garneau et ses lectures européennes, Québec, Presses de l’Université

Laval (Vie des lettres canadiennes), 1969, p. 146.

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Garneau se situe ainsi dans le sillage du romantisme tel que le considérait Baudelaire, c’est-à-dire une pratique de l’art où émerge une force critique nécessaire à la justesse du chant :

Le goût immodéré de la forme pousse à des désordres monstrueux et inconnus. Absorbés par la passion féroce du beau, du drôle, du joli, du pittoresque, car il y a des degrés, les notions du juste et du vrai disparaissent. La passion frénétique de l’art est un chancre qui dévore le reste ; et, comme l’absence nette du juste et du vrai dans l’art équivaut à l’absence d’art, l’homme entier s’évanouit ; la spécialisation excessive d’une faculté aboutit au néant5.

Le sentiment qu’il faille au poète maintenir l’art à son plus haut niveau d’authenticité implique que cet art puisse sombrer dans le mensonge, chute qui se produit à l’instant où le style et les mots se donnent pour une finalité suffisante et, plus encore, satisfaisante. Saint-Denys Garneau écrit dans la crainte légitime, et sans aucun doute profitable à la rigueur de son travail, que sa poésie ne produise pas la note juste, de sorte qu’il s’est confié aux mots tout en refusant de s’y abandonner. Sa pratique poétique coïncide ainsi avec la définition de la poésie romantique formulée dans le fragment 116 de l’Athenaeum, à savoir une poésie qui « veut et doit tantôt mêler et tantôt fondre ensemble poésie et prose, génialité et critique6 ». Impartie d’une forte

dimension autoréflexive, cette poésie, par sa manière et son ambition, peut être comparée à un Narcisse qui ne se laisserait pas duper par son image, mais se vouerait à la tâche impossible d’y voir son véritable visage, comme s’il transposait sa conscience du côté du reflet : dans un jeu de miroir abyssal, le poète se regarde se 

5 Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques. L’art romantique et autres œuvres critiques, Paris, Éditions Garnier

Frères, 1962, p. 580. Il est intéressant de noter que Maritain, dans Art et scolastique, cite en exemple ces propos de Baudelaire, propos qu’il cite plus longuement que nous, afin de rappeler l’exigence morale de l’art. Maritain soutient qu’une œuvre ne doit pas faire d’elle-même son but, mais qu’elle doit au contraire faire valoir sa nécessité par le sens du monde qu’elle dévoile, démentant ainsi la légitimité de « l’art pour l’art » qui paraît devoir aboutir, selon le mot de Baudelaire, au « néant ».

6 Cité dans Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy, L’absolu littéraire. Théorie de la littérature du

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regarder. Tel serait l’effort ironique de la poésie romantique que reproduit Garneau à l’exemple de poètes modernes comme Baudelaire.

Être en le niant

Cette ironie, dont la mise en abyme de soi constitue l’un des signes, est concomitante à l’intransigeance de Garneau face à ses poèmes. La résistance critique procède du sentiment que la parole, une fois émise, devient une insidieuse « ennemie ». Ceci place le poète et son langage sous le signe d’une dualité antagonique. « Parole sur ma lèvre » rend sensible ce conflit et laisse deviner son aboutissement, lequel est préfiguré par le titre d’un autre poème, « Silence », consigné lui aussi en novembre 1935 dans le Journal :

Parole sur ma lèvre déjà prends ton vol, tu n’es plus à moi Va-t-en extérieure, puisque tu l’es déjà

ennemie, Parmi toutes ces portes fermées.

Impuissant sur toi maintenant dès ta naissance Je me heurterai à toi maintenant

Comme à toute chose étrangère

Et ne trouverai pas en toi de frisson fraternel (Œ, 156-157)

Porteuse d’une hostilité qui semble répondre à la rébellion du signe, l’ironie fait peser le risque d’une césure, non pas rythmique, mais introspective. La continuité du fil poétique se brise pour laisser place au bilan, à l’observation et plus sévèrement aux reproches et au dénigrement. Ces réflexes critiques rappellent la défiance qui préside

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à la « terreur7 » décrite par Jean Paulhan. Celle-ci marque l’extrême suspicion de la

littérature face à elle-même, accentuant sa méfiance jusqu’à renier ses formes les mieux établies et les plus populaires : les lieux communs.

Contrairement à celles des surréalistes, l’œuvre et la pensée garnéliennes ne définissent pas aussi nettement la poésie par ses interdictions. Il n’en demeure pas moins que les généralités du langage et les poncifs poétiques font l’objet d’une récupération ironique et humoristique. Outre l’effet de renversement qui en découle, créant un mélange de surprise et de perplexité, ce travail des lieux communs possède une efficacité artisanale : la main du poète régénère l’étrangeté de l’image. Il n’est qu’à penser aux nombreuses figures dont la valeur usuelle est détournée, laissant ainsi les symboles éclairer le champ intime d’un désaccord, d’un trouble permanent qui oblige le poète à prendre le contre-pied de la conformité. L’oiseau, la maison, l’enfant, le fauteuil, la fissure, le trou, autant de tropes qui chez Garneau rompent l’équilibre confortable des idées reçues, forçant une nouvelle appréciation de la communication qui paraît toujours en voie de s’établir ailleurs, dans les parages désertés de l’archétype et du modèle. Ces vers nous reviennent à l’esprit : « Mais je machine en secret

des échanges / Par toutes sortes d’opérations, des alchimies, / Par des transfusions de sang / Des déménagements d’atomes / par des jeux d’équilibre » (Œ, 34). C’est l’une des particularités de

la poésie de Saint-Denys Garneau que de pouvoir interpréter à tout moment le poème comme un art poétique. Dans ces vers se devine, grâce aux substantifs 

7 Jean Paulhan définit son idée de « terreur » dans Les fleurs de Tarbes, ouvrage publié pour la première

fois en 1936. À partir de la « terreur », Paulhan déplore que la littérature ne puisse plus être exercée de plein droit et dans l’estime de ce qu’elle est : « Il semble enfin que l’on ne puisse plus être honnête littérateur, si l’on éprouve pour les Lettres du dégoût. Comme il n’était pas de révélation que l’on n’attendît d’elles, il n’est pas de mépris qu’elles ne nous paraissent mériter. Et chaque jeune écrivain s’étonne que l’on puisse tolérer d’être écrivain. Nous ne parvenons guère à parler de roman, de style, de littérature ou d’art qu’à la faveur de ruses, et de mots nouveaux, qui n’aient pas encore l’air d’injures. » (Les fleurs de Tarbes ou la Terreur dans les Lettres, Paris, Gallimard, 1941, p. 17)

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« échanges », « alchimies », « transfusions » et « déménagements », l’envergure du besoin de transformation de Garneau ; la nécessité du passage d’un état vers un autre qu’on observe dans la récupération des lieux communs. Et l’art garnélien réside dans le développement d’un symbole qui, malgré sa métamorphose sémantique, garde active sa mémoire, de sorte que le balancement de l’ironie entre le commun et le singulier, le banal et l’inédit, demeure un élément dynamique du poème.

Outre le renversement des signes, ce fauteuil où l’on meurt au lieu de se reposer ; cet oiseau qui symbolise la mort plutôt que la liberté ; ce trou qui n’est pas « rien », mais « quelque chose » ; cette maison qui étouffe et non qui protège ; outre ces inversions donc, Garneau s’approprie également des expressions communes, souvent en refoulant leur portée métaphorique, c’est-à-dire en les interprétant de manière littérale, comme dans cet extrait de « L’avenir nous met en retard », titre qui annonce d’emblée l’ironie du poème :

Les pas perdus tombent sous soi dans le vide et l’on croit qu’on ne va plus les rencontrer On croit que le pas perdu c’est donné une fois

pour toutes perdu une fois pour toutes Mais c’est une bien drôle de semence Et qui a sa loi

Ils se placent en cercle et vous regardent avec ironie Prisonnier des pas perdus. (Œ, 34)

Les « pas perdus » ne renvoient pas à l’errance et à l’attente temporaires dans un lieu de transit. Ce sont des pas doués d’une âme propre qui se détachent et « tombent » sous le poète. Prolongeant son explication, Garneau dévoile une bizarrerie paradoxale, car les « pas perdus » finissent par rejoindre et encercler le poète : ironie des pas perdus retrouvés. D’autres exemples pourraient être mentionnés, comme le duo de l’ « âme sœur » et de l’ « âme en peine » dans « Ma solitude n’a pas été

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bonne », mais où la dimension narrative de l’allégorie atténue l’immédiateté expressive des deux locutions. On notera donc que Garneau s’amuse à subvertir certaines idées reçues en remodelant le langage de la tribu, « [c]omme si c’était un plaisir de berner les gens » (Œ, 11). C’est entre autres ce jeu avec les lieux communs qui semble faire écho à la notion de « terreur ». Or ce concept ne résonne pas au seul niveau du ludisme langagier, mais aussi aux étages plus profonds de la crise poétique garnélienne, comme en témoignent les sentiments d’impuissance et d’adversité du poète face à ses paroles.

À la suite de Paulhan, Laurent Jenny explique que la terreur ne se limite pas à un conflit entre deux types de rhétorique — l’une autoritaire, l’autre contestataire —, mais s’enracine très profondément dans le commerce avec les mots de l’expression poétique. Outre la « terreur relative », Jenny postule la « terreur absolue » :

En effet, c’est parce que les mots sont ceux de tout le monde, et que la mémoire de leur usage garantit leur sens collectif, que je peux espérer donner forme à mon expression. Mais la même généralité du langage contrarie en chacun de ses moments mon intuition profonde de délivrer un sens rigoureusement unique8.

Au sujet de l’inévitable compromission du sens (intuition, sentiment, pensée) une fois qu’il est articulé dans les mots, Jankélévitch parle à son tour de « tragédie de l’expression9 » pour qualifier le double statut du langage, simultanément « obstacle »

et « organe ». La connexion entre la terreur et l’ironie renforce cette idée que le langage poétique est un expédient10 qui permet de négocier entre le mutisme et la



8 Laurent Jenny, La terreur et les signes. Poétiques de rupture, Paris, Gallimard (Les essais), 1982, p. 25-26. 9 Vladimir Jankélévitch, L’ironie, Paris, Flammarion (Champs), 1964, p. 47.

10 Jankélévitch note avec une nuance humoristique : « Sans doute, les âmes, dans la république des

anges, communiqueraient-elles immédiatement, sans que les mots filtrent l’intention ; mais en attendant cette pentecôte métaphysique, convenons que le langage représente ici-bas un pis-aller, ce qu’on pouvait faire de mieux dans un monde où le silence, hélas ! est muet et non point éloquent. » (Ibid., p. 48-49)

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communication, cependant qu’il faut s’assurer de ne pas s’y laisser prendre. Comme le prouve Baudelaire lorsqu’il dénigre la « spécialisation excessive », un large pan de la poésie moderne découle donc de cette haine de la rhétorique littéraire, ce que Paul Valéry incarne peut-être le plus strictement dans la mesure où il en vient à considérer toute écriture comme une manière de faire poser la pensée ou la sensation. Dans un essai sur Pascal intitulé « Variation sur une Pensée », Valéry déclare :

Quand je vois l’écrivain reprendre et empirer la véritable sensation de l’homme, y ajouter des forces recherchées, et vouloir toutefois que l’on prenne son industrie pour son émotion, je trouve que cela est impur et ambigu. […] Si tu veux me séduire ou me surprendre, prends garde que je ne voie ta main plus distinctement que ce qu’elle trace11.

Roland Bourneuf a déjà relevé, à partir de la lettre du 8 août 1937 adressée à Robert Élie, ce que Saint-Denys Garneau puise dans l’esthétique du symbole qui a cours depuis Platon jusqu’à Valéry12, à savoir la capacité « de comprendre l’univers non

seulement réduit à son essence, dans son architecture idéale dépouillée, mais complètement dans son jeu et toutes ses floraisons » (LA, 284). C’est concurremment à ce « rêve poétique », pour reprendre l’expression de Garneau, ou plutôt dans la poursuite même de cet idéal, qu’a persisté, de Platon à Valéry, cette méfiance à l’endroit des effets rhétoriques de la poésie sur la vérité que cette dernière entend mettre au jour. Cette méfiance, plutôt que d’être combattue ou réfutée, induit depuis les romantiques allemands une forme d’hostilité dans la pratique de la poésie, de sorte qu’elle ne semble jamais en paix, mais toujours en procès, c’est-à-dire tout autant mise en doute qu’en voie de se faire.

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