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PARTIE 3 : CONSERVATION DU DIABLE DE TASMANIE, UNE ACTION COORDONNEE

II. Constitution d’une population indemne de DFTD : la Population d’Assurance

6. Hausse de la plombémie chez les diables captifs

Depuis quelques années, diverses communautés scientifiques étudiant des oiseaux sauvages (charognards en particulier) s’inquiètent de l’accumulation de preuves suggérant une intoxication au plomb, clinique ou subclinique, dans de nombreuses populations aviaires à travers le monde : en France (Pain, Amiardtriquet 1993), en Espagne (Rodríguez et al. 2010), en Europe du Nord (Ecke et al. 2017), en Amérique du Nord (Behmke et al. 2015) et en Amérique du Sud (Pattee et al. 2006; Wiemeyer et al. 2017). En effet, les oiseaux charognards seraient exposés au plomb par voie orale, notamment en ingérant des carcasses d’animaux abattus par des munitions au plomb ou en ingérant le couloir de pénétration de la balle, souvent découpé et laissé par les chasseurs. Si les études concernant les mammifères terrestres sont beaucoup plus rares, des preuves d’intoxication existent néanmoins. Ainsi, North et al. (2015) décrivent deux cas d’intoxication suspectée au plomb chez des guépards (Acinonyx jubatus jubatus). Les deux animaux, détenus en captivité pour une période de temps déterminée dans le cadre d’un programme de conservation, auraient ingéré une balle plombée contenu dans leur alimentation, causant une intoxication aiguë engendrant leur mort.

102 La toxicité du plomb est complexe, et dépend de plusieurs facteurs comme la voie d’exposition, la dose reçue, la fréquence et la durée d’exposition. Chez les humains, les analyses cinétiques de plombémie montre qu’il peut exister dans trois compartiments, ayant des demi-vies croissantes : d’abord le sang où la plombémie peut persister quelques semaines, puis les tissus mous où elle est détectée pendant 2 mois et enfin les os où le plomb peut être stocké pendant plusieurs années (Rabinowitz, Wetherill, Kopple 1976). Ces compartiments sont en communication : le plomb contenu dans les tissus mous ou dans les os est progressivement relargué dans le sang. Par conséquent, même une fois la source d’exposition apparente supprimée, la plombémie peut rester élevée (Wiemeyer et al. 2017).

Par ce métabolisme complexe, la présentation clinique peut être très variée. Ainsi, une exposition unique mais à haute dose peut entrainer des signes cliniques d’apparition aiguë à suraiguë allant jusqu’à la mort de l’animal, alors qu’une exposition longue et/ou fréquente à faible dose peut entrainer une toxicité chronique, allant de signes subtiles peu spécifiques à l’absence de symptômes. La toxicité aiguë peut être confirmée si la plombémie est supérieure à 0,200 μg/g (Rodríguez et al. 2010). Cependant, le plomb n’étant ni nécessaire, ni bénéfique aux organisme vivant, il peut être considéré que sa simple présence est anormale (Eisler 1988).

Les signes cliniques d’une intoxication aiguë au plomb concernent de nombreux appareils, notamment le système nerveux, le système hématopoïétique, le système urinaire (syndrome de Fanconi avec corps d’inclusion nucléaires dans les cellules tubulaires), les os et le système reproducteur (Flora, Gupta, Tiwari 2012). Dans la forme chronique, des symptômes peu spécifiques et très subtiles peuvent être constatés, comme la baisse du succès reproductif liée baisse de la qualité du sperme (Benoff, Jacob, Hurley 2000).

Considérant cette inquiétude de la communauté scientifique internationale, une étude a été menée au sein d’une partie de la population captive de diables de Tasmanie, et de la plupart des sites de suivi des populations sauvages. En effet, dans le cadre d’un programme de conservation d’une espèce menacée, comme c’est le cas pour le diable de Tasmanie, il n’est pas acceptable de perdre des individus captifs suite à une intoxication aiguë au plomb, ou d’avoir une atteinte de leur potentiel de reproduction, l’un des objectifs de la population d’assurance étant de produire de nouveaux individus indemnes de DFTD.

103 Cette étude, incluant 26 diables détenus en captivité intensive à Cressy et au FRE de Bridport et 131 diables sauvages issus de sept sites de suivi annuel et de sites de réintroduction (Stony Head, péninsule de Forestier, wukalina), a montré que les niveaux de plombémie étaient significativement supérieurs chez les diables captifs, et que 65% d’entre eux avaient une plombémie supérieure au seuil normalement accepté pour les mammifères de 0,2μmol/L (Australian Standard 4090-1993). De plus, le plomb étant capable d’être accumulé au sein de l’organisme, les individus plus âgés présentent des taux plus élevés que les plus jeunes, de façon plus marquée chez les populations captives (communication personnelle, en cours de soumission).

Cette présence de plomb pourrait être expliquée par le mode d’alimentation des diables en captivité. En effet, les carcasses sont fournies par des chasseurs locaux chassant avec des balles en plomb. En revanche les infrastructures utilisées ne contiennent pas de plomb et l’analyse de l’eau ne révèle pas la présence notable de plomb. Ainsi, l’explication la plus probable est l’ingestion de fragments de plomb présents dans le couloir de pénétration de la balle. L’ingestion d’une balle entière est peu vraisemblable, car en général la balle ressort de l’autre côté de la carcasse c(le wallaby de Bennett et l’opossum d’Australie étant des animaux de petit gabarit), et la présence d’une balle dans l’estomac serait plus susceptible de provoquer une intoxication aiguë (Rodríguez et al. 2010; North et al. 2015). Or, aucun diable n’a présenté de signes cliniques.

A la suite des premiers résultats obtenus à Bridport, il a été décidé de couper les têtes des cadavres, les animaux étant abattus dans la tête. Une autre mesure de la plombémie a été prise 2 mois plus tard, montrant une baisse significative, ce qui conforte l’hypothèse d’un rôle de la nourriture.

La mise en évidence de ce phénomène est importante dans le cadre de la gestion de la population captive. En effet, une intoxication chronique à bas-bruit pourrait porter atteinte à la capacité reproductive de la population d’assurance, ce qui l’empêcherait d’atteindre certains de ses objectifs. La formalisation de ces résultats sous forme de publication pourrait permettre de mettre en place des recommandations officielles à l’égard de toute institution possédant des diables captifs à travers le monde, visant à une harmonisation et une optimisation de la détention de diables de Tasmanie en captivité.

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