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Le « hara-kiri » de l’Union : l’abolition de l’Union par une révision

PARTIE II – L’ACQUIS COMMUNAUTAIRE COMME LIMITATION

Chapitre 2 – Les effets potentiels de la limitation matérielle implicite du pouvoir

A. Le « hara-kiri » de l’Union : l’abolition de l’Union par une révision

outre, la nature de « Fédération d’Etats » que revêt l’Union européenne nous oblige à envisager, l’hypothèse du retrait de ses Etats membres. L’œuvre communaut aire cesserait alors d’exister faute d’Etats-membres sur lesquels son incarnation s’appuie nécessairement (B).

A. Le « hara-kiri » de l’Union : l’abolition de l’Union par une

révision matériellement illégale

Traditionnellement, le « hara-kiri » désigne le suicide auquel le guerrier japonais procédait en dernier recours lorsqu’il estimait immoral un ordre de son maitre et refusait de l’exécuter. L’analogie peut être faite avec l’hypothèse où l’Union se verrait ordonner par le pouvoir de révision de procéder à une modification de ses traités qui serait contraire à l’idée d’œuvre qui l’habite, aux valeurs – « morales » – que lui ont été inculquées par le pouvoir fondateur lors de l’adoption des traités originaires. « Plutôt mourir que faillir » à l’idée d’œuvre qu’elle incarne pour reprendre la devise des Ducs de Bretagne.

Une approche plus juridique permet de saisir cette idée en distinguant le régime juridique de l’acte fondateur et de celui de l’acte de révision. Le caractère intangible de l’acquis communautaire qui vise à préserver l’idée d’œuvre fondatrice de l’édifice communautaire n’équivaut pas à soutenir l’éternité de facto de cet édifice constitutionnel.

Il permet seulement d’énoncer l’illégalité ratione materiae d’une révision des traités constitutifs portant atteinte à leurs éléments essentiels169. L’effet de cette illégalité est à analyser en termes de continuité institutionnelle, voir constitutionnelle. L’illégalité du traité de révision signifie qu’il n’est pas apte à « abroger » l’acte fondateur de l’édifice communautaire (1). En revanche, il faut voir dans un tel traité de révision illégal un nouvel acte fondateur procédant à « l’abolition » du précédent acte fondateur instaurant l’ordre communautaire : il y a dès lors rupture constitutionnelle, sans que soit exclue l’idée d’une succession (2).

1. L’impossibilité pour le traité de révision d’abroger l’acte fondateur de l’ordre juridique communautaire

La théorie de la limitation matérielle de la révision des traités se fonde sur une distinction au sein du droit primaire entre des éléments intangibles et des éléments révisables. Ces éléments intangibles relèvent de l’acte fondateur de l’ordre juridique communautaire, de l’opération de fondation à fonction « constituante » réalisée par l’accord de volontés des Etats fondateurs. Il s’agit donc d’un acte constituant intangible qui prime matériellement sur l’acte de révision. Il convient dès lors de transposer la question que se pose Olivier Beaud, c'est-à-dire savoir « si le pouvoir de révision peut se

défaire de l’œuvre du pouvoir constituant [ici fondateur], si l’acte de révision peut abroger l’acte constituant »170.

Il faut pour cela reprendre la distinction qualitative opérée par Carl Schmitt entre ce qu’il appelle la « constitution », c’est-à-dire l’acte de volonté politique globale du pouvoir constituant171, et les « lois constitutionnelles » qui en sont une déclinaison écrite particulière n’ayant de validité que sur son fondement172. Il en déduit qu’un « pouvoir de

réviser la constitution attribué par une normation des lois constitutionnelles signifie qu’une ou plusieurs dispositions légiconstitutionnelles peuvent être remplacées par d’autres, mais seulement sous condition que l’identité et la continuité de la constitution

169

Par analogie la distinction opérée entre acte constituant et acte de révision, BEAUD Olivier,

La puissance de l’Etat, PUF, 1994, pp. 354-355.

170

Par analogie la distinction opérée entre acte constituant et acte de révision, BEAUD Olivier,

La puissance de l’Etat, PUF, 1994, p. 350.

171

SCHMITT Carl, Théorie de la constitution (1928), traduit de l’allemand par Lilya nne Deroche, PUF, 2e édition, 2013, p. 157.

dans son ensemble soient préservées »173. Ainsi la révision des traités constitutifs de l’Union européenne ne vaut juridiquement que parce qu’elle est matériellement fondée sur l’acte fondateur de l’entreprise communautaire. Il y a donc une « hiérarchie des

volontés »174 entre la volonté fondatrice des traités et la volonté de révision des traités, la seconde ne pouvant remettre en cause la première.

En conséquence, l’acte fondateur ne peut pas être abrogé, c'est-à-dire supprimé légalement, par un acte de révision. Dès lors, une remise en cause de l’idée d’œuvre fondatrice doit être analysée en termes d’abolition de l’ordre communautaire, c'est-à-dire, de disparition illégale.

2. L’abolition de l’acte fondateur originel par un nouvel acte fondateur : révolution et succession dans la construction européenne

L’atteinte portée par un traité de révision à l’acquis communautaire conduit nécessairement à devoir requalifier le pouvoir qui a été exercé. Les Etats membres n’agissent plus en tant que titulaires d’un pouvoir de révision soumis à l’idée d’œuvre du pouvoir fondateur, mais exercent un nouveau pouvoir fondateur. Si cet exercice du pouvoir fondateur peut prendre l’apparence légale d’un traité de révision, il ne s’agit pas moins matériellement de l’adoption d’un nouvel acte fondateur, d’une opération de fondation d’une nouvelle institution pour reprendre les termes de la théorie de Hauriou. Il y a dès lors une rupture de continuité entre l’institution précédente et la nouvelle, ce nouvel exercice du pouvoir fondateur par les Etats membres entrainant nécessairement l l’abolition de l’ordre juridique établi par l’acte fondateur précédent. Il y a donc une révolution, un changement de la norme suprême au fondement de l’ordre juridique, qui ne peut être fondé sur le droit puisqu’elle crée le droit.

Une décision unanime des Etats membres pourrait donc réunir de facto les conditions pour modifier radicalement la nature de l’Union européenne. Cependant elle ne pourrait se voir conférer aucune validité juridique, quand bien même l’ordre juridique de l’Union serait incapable d’y faire échec. Elle demeurerait dès lors de l’ordre du constat politique. Les traités constitutifs, comme des constitutions, ne peuvent empêcher leur

173

Ibid, p. 241.

propre disparition, ils peuvent seulement refuser l’apparence de la légalité à cette violation175.

Il faut cependant préciser que la rupture de licéité qu’entrainerait une telle abolition de l’ordre juridique de l’Union n’empêche pas l’institution nouvellement fondée de succéder à la précédente. Cette succession peut prendre la forme substantielle d’une reprise intégrale de l’acquis de l’Union européenne dans ses aspects législatifs par le nouvel ordre juridique fondé, ce dernier pouvant lui conférer une nouvelle validité et opposabilité.

Si la disparition de l’œuvre communautaire ne peut se faire que dans l’illégalité, quand est-t-il d’un retrait d’un Etat membres de l’Union européenne ?

B. L’Union cesse « faute de combattants » : le droit de retrait des