• Aucun résultat trouvé

Mais quel est donc le secret de ces espèces que l’on dit « radiorésistantes » par opposition aux « radiosensibles », celles qui supportent mieux les rayonnements ionisants ? Cette question interpelle les scientifiques et attise leur curiosité. La découverte d’un mécanisme ubiquitaire serait un événement majeur mais ce n’est pas encore le cas, même si des pistes communes ont été identifiées. C’est pourquoi cette question focalise les réflexions des chercheurs intéressés par les mécanismes mis en œuvre après une irradiation ou une contamination. Outre la différence de sensibilité entre espèces, une variabilité de la sensibilité entre individus d’une même espèce est connue. Dès 1906, les médecins avaient observé des différences dans la sensibilité aux rayons X chez leurs patients (Foray et al., 2016)).

Effectivement, à l’échelle d’une espèce et a fortiori entre

espèces, tous les individus ne sont pas égaux face à la radioactivité tout comme ils ne le sont pas sur de nombreux autres aspects.

Les inégalités entre individus sont tout particulièrement mises en lumière lors d’une irradiation de faible intensité. La nature partiellement stochastique des rayonnements ionisants est un élément essentiel de l’incertitude concernant les réponses des organismes. Cette notion traduit le fait que leur action et leurs conséquences sont, en partie, le produit du hasard. Pour les autres espèces que l’Homme, les effets stochastiques ne sont pas bien connus et ils pourraient être peu importants (IAEA, 2000). Toutefois, il n’y a jamais eu d’études sur des espèces ayant une vie longue (Copplestone et al., 2018). La communauté scientifique est donc très loin d’avoir les données pour affirmer ou infirmer cette hypothèse de manière indéniable. Pour comprendre les effets stochastiques, il faut conserver en mémoire que, à chaque impact, les radiations ne touchent pas nécessairement les mêmes cellules et les mêmes zones dans une cellule. C’est pourquoi, pour une espèce, dans la zone qui correspond aux faibles doses de rayonnements, la probabilité d’avoir un effet augmente avec la dose mais pas la sévérité des dommages (Copplestone et al., 2002). De plus, si c’est l’ADN qui est la cible, l’efficacité de la réparation peut varier même si certaines parties de la molécule sont systématiquement plus fragiles que d’autres. Les mutations

peuvent donc être variables et, suivant les séquences génomiques concernées, entraîner des pathologies différentes. A cela, s’ajoutent des problématiques d’instabilité génomique ainsi que la capacité individuelle à résister au stress.

Les faibles doses produisent donc une diversité de conséquences sans corrélation avec l’intensité du stress. C’est le cas, par exemple, pour les anomalies morphologiques décrites après les accidents nucléaires. Un arbre n’aura aucun symptôme, un autre arbre aura sa survie compromise et un troisième survivra en produisant une nouvelle branche qui prendra la place de la tige principale. Pour cette raison, il est particulièrement difficile d’obtenir des relations dose/effet probantes lorsque les doses de rayonnements sont faibles. La démonstration statistique d’une relation est souvent impossible, l’amplitude des données étant importante, même si des tendances se dégagent. Par contre, à forte dose, les impacts sont tels qu’il y a nécessairement une réponse majeure. De ce fait, une relation mathématique entre la dose et les effets est généralement établie. La preuve est plus facile à fournir. Les effets sont dits déterministes (non-stochastiques), c’est-à-dire que les conséquences observées, globalement similaires pour chaque individu, sont directement en lien avec la cause, la dose de radiations. Il est maintenant largement accepté que dans ce que l’on appelle les faibles doses pour une espèce, les réponses induites ne peuvent être prédites par la dose. Plusieurs phénomènes entrent en jeu parmi lesquelles la réponse adaptative et l’instabilité génomique en lien avec l’épigénétique sur lesquelles nous allons nous attarder dans ce chapitre qui s’intéresse aux mécanismes d’adaptation et de résistance aux rayonnements ionisants.

Toutes les espèces ne réagissant pas de la même manière, les mécanismes leur conférant une aptitude à résister à un stress sont au cœur des préoccupations des chercheurs. Au cours de l’évolution, depuis des millions d’années, les espèces ont développé des adaptations leur permettant de combattre le stress. La réponse adaptative ainsi que l’existence de mécanismes de résistance sont deux dispositifs majeurs. La première, la réponse adaptative, se développe à l’échelle d’une espèce ou d’un individu soumis de manière répétée à un stress. La répétition lui permet de « s’endurcir » lors de la première confrontation à la contrainte pour mieux résister par la suite. Le second mécanisme, la radiorésistance, est une caractéristique de l’espèce. Il s’est mis en place au cours de l’évolution et se traduit dans l’aptitude de certaines espèces à supporter de fortes intensités de stress. Dans le domaine des rayonnements ionisants, les espèces sont donc classées en fonction de leur degré de radiosensibilité/radiorésistance. La radiorésistance peut être naturelle c’est-à-dire présente chez tous les individus d’une espèce. Elle peut apparaître dans des conditions de chronicité et de doses peu élevées et elle est alors induite. Dans les publications scientifiques, le terme est utilisé à la fois pour l’acquisition d’une résistance dans le cas de la réponse adaptative et aussi pour comparer les

espèces entre elles, leur capacité à résister à des doses comparables grâce à un dispositif acquis par l’espèce lors de l’évolution.

Pour comprendre les différences de sensibilité des espèces ainsi que les mécanismes de la réponse adaptative, il sera nécessaire, dans ce chapitre, de donner des chiffres, ce à quoi, vous avez échappé jusque-là ! Quelques valeurs

d’irradiation seront donc données et exprimées en gray (Gy), selon l’unité

internationale. Pour imaginer ce que le gray représente, il faut se rappeler que cela correspond à l’énergie reçue par un organisme, exprimée en joule par kilogramme.

LA RÉPONSE ADAPTATIVE

Suivant que l’on se place dans un contexte d’irradiation aiguë ou chronique, l’expression « réponse adaptative » couvre des situations différentes. En situation d’irradiation aiguë, la réponse adaptative correspond à l’induction d’une résistance à un élément générateur d’un stress, ici l’irradiation, par une première exposition aux rayonnements. La première dose, peu élevée, est nommée « dose de conditionnement ou dose d’amorçage». L’intensité du second stress appliqué après un temps de repos est plus élevée et n’induit pas ou moins d’effets négatifs si l’individu a développé une réponse adaptative comparativement à une situation avec la même dose mais sans conditionnement. Cette réponse n’est pas spécifique des rayonnements ionisants. Elle est connue pour divers stress. Le type de stress utilisé pour la dose de conditionnement peut être différent du suivant. C’est le premier stimulus qui engendre la réponse adaptative. Par exemple, un premier conditionnement avec le peroxyde d’hydrogène, un oxydant puissant, réduit le nombre de micronoyaux formés après irradiation dans les lymphocytes de bœuf ou de lapin (Flores et al., 1996). L’expression « réponse adaptative » est aussi employée dans des situations d’irradiation chronique, à faible dose. La répétition du stress de faible intensité sur des temps très longs provoquerait le même résultat. Toutefois, il n’est pas certain que les mécanismes induits pour une irradiation aiguë ou chronique soient strictement les mêmes. Certains se rattachent au concept d’adaptation ontogénétique qui couvre les réponses cellulaires permettant à l’individu de résister après une irradiation aiguë (Boubriak et al., 2016). Dans le cas d’irradiations chroniques et à faibles doses, l’adaptation est aussi relative à l’augmentation de la diversité génétique et phénotypique qui crée un vivier d’individus soumis à la sélection naturelle. Ce type d’adaptation dite phylogénétique, transmise à la descendance, a un rôle à plus long terme (Boubriak et al., 2016). Elle se traduit par le maintien des populations dans des conditions d’irradiation et/ou de contamination chronique, par exemple dans les sites contaminés après les essais et accidents nucléaires.

La réponse adaptative s’étend aussi à l’effet de voisinage décrit

qu’ils sont liés et relèvent des mêmes mécanismes (Kadhim et al., 2013). Par exemple, une première dose de conditionnement diminue l’apoptose après une dose challenge chez les embryons de poisson zèbre (Choi et al., 2010). C’est la réponse adaptative. Le milieu dans lequel baignent les embryons irradiés peut provoquer un effet à distance chez des embryons non irradiés. C’est l’effet de voisinage. L’association des deux paramètres, permet de montrer que la dose de sensibilisation induit une réponse adaptative chez les embryons non irradiés.

Mettre en évidence de la réponse adaptative

La réponse adaptative a souvent été mise en évidence expérimentalement, après irradiation. Pour cela, après une première dose de conditionnement généralement faible, suivie d’un temps de repos variable, une dose challenge assez élevée est appliquée. La réponse obtenue est alors comparée à celle produite par la dose challenge seule. L’avantage de cette approche est qu’elle permet un suivi dans des conditions expérimentales contrôlées strictes ; son inconvénient est que le suivi ne se fait que sur un laps de temps souvent très court pour des raisons techniques et pratiques. Rien ne permet alors de dire si l’avantage observé pourrait perdurer au-delà de l’expérience menée. Effectivement, la réponse adaptative s’est révélée labile dans le temps (Sasaki, 2003 ; Ulsh et al., 2004).

Les accidents nucléaires ou les expérimentations sur milieu contaminé permettent de décrire des réponses adaptatives mises en place sur un très long terme. Les doses de rayonnements sont alors plutôt faibles sauf immédiatement après un accident. L’irradiation persiste pendant de nombreuses générations du fait de la contamination des sols. L’inconvénient sur le plan de la recherche est la rançon des suivis sur le terrain. D’une part, les doses de rayonnements sont souvent difficiles à évaluer et bien sûr à maîtriser, d’autre part, elles s’amenuisent d’années en années. Par ailleurs, l’expérimentateur ne contrôle pas les conditions environnementales et les facteurs peuvent être multiples. Il peut alors être possible de faire une interprétation erronée si des paramètres inconnus sont venus s’ajouter, sans pour autant être détectés.

Pour présenter les effets démontrés par les chercheurs, nous séparerons donc les résultats expérimentaux acquis en laboratoire des données recueillies sur le terrain qui peuvent mettre en jeu des mécanismes différents.

Les expérimentations

L’augmentation de la résistance aux rayonnements ionisants a été mise en

évidence de manière expérimentale chez la drosophile, Drosophila melanogaster

par Nöthel (1970). Ce chercheur a utilisé des mouches adultes irradiéesà chaque

génération, juste avant leur reproduction. Au bout de deux cent quarante six générations, leur survie après l’irradiation avait clairement augmenté. La réponse

adaptative était l’hypothèse privilégiée pour la justifier. Elle a également été

démontrée chez une autre drosophile, Drosophila nebulosa (Marques, 1973). Les

modèles se sont ensuite diversifiés. Ainsi, de nombreuses études sur les souris ont mis en évidence une réponse adaptative suite à l’irradiation avec de faibles

doses de conditionnement in vitro ou in vivo, ainsi qu’avec différents types de

rayonnements (Tapio et Jacob, 2007). Les cultures cellulaires sont aussi souvent

utilisées, telles les cellules de fibroblastes du cerf de Virginie (Odocoileus

virginianus) ou une lignée embryonnaire de saumon quinnat (aussi appelé

saumon royal, Oncorhynchus tshawytscha) (Ulsh et al., 2004 ; Kilemade et al.,

2008). Les doses de conditionnement comprises entre 100 et 500 mGy précèdent la dose challenge de l’ordre de 4 à 10 Gy, ce qui correspond à une dose élevée pour un modèle cellulaire.

Osmunda regalis

Les paramètres expérimentaux

semblent déterminants pour

déclencher l’adaptation. La durée entre l’application des deux doses est un paramètre essentiel pour l’apparition d’une radiorésistance. Ainsi, si elle est trop réduite, l’adaptation n’apparaît pas pour les

spores de l’osmonde (Osmunda

regalis), une fougère, capables de

résister à 120 Gy après un conditionnement de 20 Gy (Hendry, 1986). La valeur de la dose de conditionnement est également capitale (Marques, 1973 ; Cortès et al., 1990). Une dose d’amorçage de 0,26 Gy permet de réduire les aberrations chromosomiques dans des pointes de racines d’ail mais pas une dose de 0,06 Gy (Cortès et al., 1990).

La modulation de la dose de conditionnement délivrée en une ou deux fois est également fondamentale et détermine la réponse après la dose challenge (Tiku et Kale, 2004). Tous ces exemples démontrent la complexité du phénomène et la nécessité de contrôler les différents paramètres pour chaque modèle biologique tant le degré des réponses semble spécifique.

Une autre manière d’envisager l’adaptation est de soumettre un modèle biologique à une irradiation chronique avec de faibles doses de rayonnements. Ainsi, une exposition de souris de laboratoire pendant 10 jours, dans la forêt

Documents relatifs