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Hétérogénéité des tâches, fragilité des techniques

Pour cette première de l’analyse, je m’attacherai à saisir les modalités de la mise au travail des intérimaires. Il s’agira également de situer ces salariés dans l’organisation du travail et de la production. Des thèmes très classiques seront ainsi abordés : la prescription de l’activité et de son contenu, la division des tâches et des fonctions, les rapports de subordination entre salariés, les moyens de travail alloués aux ouvriers, les gestes et les rythmes, l’acquisition comme la transmission des savoir-faire, etc. L’ethnographie fournira ainsi un niveau de description, aussi concret et complet que possible, pour rendre compte de ces éléments qui « encadrent » l’activité des travailleurs temporaires.

Le premier chapitre (Chapitre 1) explore les relations entre les travailleurs en quête d’emploi et les salariés de l’agence d’intérim. Nous verrons comment cette institution contribue à (pré)définir la place et le rôle que devront tenir les intérimaires dans les différentes unités de production au sein desquelles ils seront amenés à travailler. Toutefois, la description ethnographique ne sera pas uniquement centrée sur les rapports qu’entretiennent les intérimaires avec leur(s) agence(s) bien que cet intermédiaire participe largement à façonner leur quotidien. Les chapitres suivants s’attacheront à analyser ce quotidien au sein des entreprises. Ainsi, le second chapitre (Chapitre 2) traite des premiers instants de la mise au travail des intérimaires. La description de l’arrivée des travailleurs temporaires dans les entreprises utilisatrices nous permettra d’interroger les modalités de « l’accueil » de ces salariés. Nous verrons de quelles manières ceux-ci découvrent leurs affectations et sont pris en charge dans les unités de production. Il sera question de la répartition spatiale des travailleurs dans l’entreprise, de ses frontières matérielles et symboliques, en fonction de leurs régimes d’embauche. Ce sera l’occasion d’observer les infrastructures et les fournitures qui peuvent être à mise la disposition des intérimaires ou, au contraire, se révéler inaccessibles pour des salariés de leur rang.

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La division sociale et technique du travail sera traitée dans le troisième chapitre (Chapitre 3). J’aborderai divers cas de recours et quelques-uns des usages de l’intérim en vigueur dans les entreprises utilisatrices par l’entrée des activités qui sont dévolues aux intérimaires. Nous verrons que s’ils peuvent être employés à des postes et occuper des fonctions « réservées » aux travailleurs temporaires, ces derniers effectuent le plus souvent des tâches hétérogènes et changeantes. Nous pourrons constater que le statut hiérarchique subordonné des intérimaires (soumis à l’autorité de tous) offre un contexte favorable à la délégation des travaux dévalorisés. Les tactiques mises en œuvre par les intérimaires pour les éviter ponctueront ce chapitre.

Les deux derniers chapitres de cette première partie visent aussi à décrire et à analyser les conditions de travail sans cesse changeantes des intérimaires, en y introduisant toutefois des dimensions plus « matérielles » et « techniques ». Ainsi, nous verrons combien l’instabilité de leurs affectations peut agir sur l’activité technique de ces travailleurs. Dans le chapitre 4 (Chapitre 4), il sera ainsi question de l’équipement mis à disposition des intérimaires dans différentes missions. La distribution des moyens de travail sera interrogée à partir d’une réflexion sur la notion d’efficacité (à la différence des chapitres précédents où l’accent est mis sur des dimensions signifiantes). Nous prêterons également attention aux diverses matières sur lesquelles ces travailleurs agissent et aux risques auxquels ils sont parfois confrontés. Enfin, dans le dernier chapitre (Chapitre 5), il s’agira d’interroger les conditions d’acquisition et de transmission des savoir-faire techniques dans des contextes marqués par la flexibilité et le turn-over des salariés. La rotation de la main d’œuvre et l’hétérogénéité de l’activité ont divers effets sur l’apprentissage des techniques et le partage des savoirs, comme nous pourrons le constater. La thématique du savoir-faire nous permettra de cerner à la fois l’expérience des intérimaires, la position qu’ils occupent dans l’organisation du travail et vis-à-vis des autres ouvriers. A l’issue de cette première partie de l’analyse, nous disposerons d’assez de matière pour penser la situation des intérimaires « non-qualifiés » au travail, les façons dont les entreprises les emploient et ce qu’ils y font concrètement.

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Chapitre 1

« L’agence » : apprendre sa place

Le travail temporaire est le terme juridique qui désigne l’intérim. Les enseignes telles que Manpower, Adecco, Védior Bis, Adia, Crit ou Intérima sont des entreprises de travail temporaire qui disposent de nombreuses agences implantées sur le territoire1. Ces agences, définies par l’article L 124-1 du Code du Travail, ont pour activité « de mettre à disposition

provisoire d’utilisateurs, des salariés ». Ces intermédiaires de l’emploi fournissent à leurs

« clients » (les entreprises utilisatrices) leurs « collaborateurs » (les travailleurs temporaires) en prélevant une marge sur cette mise à disposition. L’entreprise de travail temporaire est le pivot entre « acheteurs » et « vendeurs » de force de travail2. Ainsi, un « contrat (commercial) de mise à disposition » est conclu entre l’entreprise utilisatrice et l’entreprise de travail temporaire qui effectue également un « contrat de travail temporaire » ou « de mission » avec l’intérimaire embauché (articles : L.124-3 et L.124-4 du Code du travail). Dans cette relation triangulaire, l’agence de travail temporaire fait office d’employeur de jure. Les intérimaires sont en revanche soumis aux règlements internes des diverses unités de production au sein desquelles ils effectuent leurs activités salariées. Si les travailleurs temporaires sont de facto placés sous l’autorité hiérarchique des employés des entreprises utilisatrices au cours de leurs missions, ce sont les salarié(e)s de l’entreprise de travail temporaire qui gardent le contrôle de leur mise à disposition. Ce sont eux/elles qui choisissent quels intérimaires seront sollicités ou écartés pour remplir un contrat. Aussi, une analyse du travail des intérimaires ne saurait être complète en faisant l’impasse sur l’agence de travail temporaire qui s’insère entre eux et l’entreprise qui les emploie.

Plusieurs moments dans la carrière des intérimaires seront mobilisés. Des motivations qui les amènent à pousser la porte d’une agence aux modalités de leurs premières inscriptions, des passages réguliers pour ramener leurs « feuilles d’heures » aux visites afin de signifier leur disponibilité, ces descriptions seront une entrée en matière importante pour aborder cette forme d’emploi. Les contacts réguliers, tout au moins hebdomadaires, entre les salariés intérimaires et ceux l’agence, seront l’occasion d’échanges, de conseils et de « mises au

1 Voir l’encadré : « L’intérim : dates et chiffres » pp.13-16.

2

Voir FAURE-GUICHARD Catherine, 2000. Op. cit., p.174 ; ainsi que GLAYMANN Dominique, 2007. Op. cit., p.6.

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point ». Nous verrons quelles « qualités » sont demandées aux travailleurs temporaires, à quelles occasions, etc., et comment celles-ci interviennent dans la sélection qui s’opère entre divers postulants pour une même mission. Il s’agira principalement d’observer comment cette institution contribue à (pré)définir la place et le rôle que devront tenir les intérimaires dans les différentes unités de production au sein desquelles ils seront amenés à travailler.

OBTENIR RAPIDEMENT UN EMPLOI

Malgré la multitude de configurations qui conduisent les individus à travailler en intérim, une constante demeure : obtenir le plus rapidement possible une rémunération. Sans procéder à un travail exhaustif de catégorisation de ces travailleurs qui relèverait davantage d’une sociologie de l’emploi, je propose ici d’examiner quelques cas de figures récurrents à partir de témoignages d’intérimaires rencontrés sur le terrain. Lors de cette recherche, j’ai côtoyé une foule d’intérimaires de tous âges aux parcours de vies difficilement comparables. La plupart d’entre eux ont toutefois insisté sur la simplicité et la rapidité des démarches à mettre en œuvre pour accéder à un emploi. L’agence, en tant qu’institution située à l’interface entre les salariés et les recruteurs, prend en charge la prospection et place directement les travailleurs à un poste. Selon mes interlocuteurs, ce sont ces facilités en matière d’accès au travail qui ont constitué l’attrait premier pour cette forme d’emploi. D’autant plus lorsqu’ils ne disposent pas d’un « profil » ou de compétences à faire valoir dans un entretien d’embauche plus direct. Je rappelle que la plupart des intérimaires dont il est question dans cette thèse font partie de la catégorie de « l’intérim de masse » pour reprendre les termes de Cathel Kornig1. Ainsi, les candidats trop jeunes, trop âgés, trop peu qualifiés, inexpérimentés ou aux parcours heurtés augmentent leurs « chances » de vendre leur force de travail par le biais de l’agence qui effectue leur placement. Certains travailleurs vont jusqu’à présenter l’intérim comme l’unique recours pour trouver un contrat, à défaut de « relations » ou au regard de leur curriculum vitae, bien que la majorité des missions proposées concernent les postes les moins qualifiés dans l’industrie ou dans le bâtiment.

L’âge est une dimension incontournable pour saisir les postures des travailleurs au moment où ils empruntent ce régime d’embauche. Les plus jeunes y ont trouvé un moyen d’accéder à un emploi malgré une faible expérience et une formation professionnelle insuffisante. La nature temporaire et intermittente des contrats d’intérim autorise les étudiants à occuper une activité salariée une partie de l’année sans être liés à une entreprise dans une relation salariale durable

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et qui pourrait devenir trop contraignante lorsque les vacances s’achèvent. Pour les autres, c'est-à-dire la majorité d’entre eux, l’intérim offre la possibilité de trouver du travail à peine sortis de l’école. Catherine Faure-Guichard1 nomme cet usage du travail temporaire : « l’intérim d’insertion » qui regroupe ceux qui n’ont pas d’identité professionnelle à la sortie du système scolaire et ceux qui éprouvent des difficultés à trouver un CDI dans leurs spécialités. Ces intérimaires, qui constituent le « vivier » des agences, ont insisté au cours des entretiens sur le caractère transitoire et temporaire de leur démarche initiale qui a abouti sur une période qui s’est révélée plus longue que prévue. Dix ans, en moyenne, avant de s’insérer durablement dans une entreprise2.

Souvent, ce premier contact avec le travail intérimaire a lieu dès l’entrée dans la vie active. Le premier emploi déclaré3 de nombre de ces jeunes a été temporaire. Le témoignage de Nico (23 ans) illustre ce point : « Je suis parti du système scolaire un peu rapidement [après plusieurs CAP non-achevés], alors je me suis naturellement tourné vers l’intérim. Je me suis inscrit

tout de suite, pour avoir du travail et donc de l’argent ». Son récit est représentatif du

parcours de nombreux intérimaires qu’il m’a été donné de rencontrer, comme Jérôme (26 ans) : « Au début, c’était pendant les vacances et quand j’ai arrêté les études [Bac STT] j’y

suis retourné, plus longtemps cette fois. De plus en plus ». L’emploi intérimaire constitue ici

une alternative et, parfois, accompagne les ruptures du cursus scolaire. Il offre à ces jeunes travailleurs une formule où les démarches sont simplifiées, un premier travail « clés en main ». « Dans ma famille, ça semblait naturel que je travaille si je n’étais plus en cours.

Mais je ne savais pas comment m’y prendre, alors l’intérim c’était pratique », précise

Virginia (24 ans). Lorsqu’on questionne les travailleurs temporaires au sujet de leur « choix » initial de l’intérim vis-à-vis d’autres formules d’emploi, ils répondent généralement qu’ils y sont arrivés par défaut4. Défaut de connaissances, de formations ou de places disponibles sur le marché du travail, l’intérim est pensé comme l’unique option qui s’est présentée à eux. Certains se sont rendus dans une agence spontanément sans connaître exactement le fonctionnement de ces entreprises, comme Robin (20 ans) : « je savais qu’ils proposaient du

travail, j’ai vu les pubs et les annonces sur la vitre, mais c’est tout ». D’autres y arrivent par

le biais d’un proche, « un ami qui arrêtait sa mission m’en a parlé et m’a arrangé le coup »

1

FAURE-GUICHARD Catherine, 2000. Op. cit.

2 Ibid., p.57. Mes observations rejoignent le constat de la sociologue de l’emploi : la plupart des intérimaires rencontrés au cours de cette enquête ont travaillé en intérim dès leur majorité et n’ont trouvé un poste stable qu’aux alentours de la trentaine.

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Certains d’entre eux ont fait des « petits boulots » au noir comme manœuvres ou dans la restauration.

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(Josselin, 24 ans), ou « ma mère savait qu’ils avaient besoin de manutentionnaires, vu que je

n’ai pas eu mon Bac, j’y suis allé » (Florent, 25 ans) etc. Ainsi, ces jeunes gens ont eu recours

à l’intérim en profitant d’un poste qui se libère. Ils se sont inscrits pour trouver rapidement du travail à la suite d’une opportunité ou sur les conseils d’un proche. Il se peut également qu’ils aient vu le travail temporaire comme un moyen supplémentaire d’accroître leurs possibilités d’embauche sans en avoir une idée précise pour autant : « l’été, je travaillais dans les jardins,

mais le mec qui m’embauchait prenait un apprenti. Je ne savais même pas ce que c’était l’intérim. Mais un pote qui y travaillait m’a dit : « inscrit toi, dans quelques jours, ils te trouveront un truc ». Alors je l’ai tenté, ça ne coûtait rien » (Cyril, 29 ans). Ce n’est que très

peu informés que ces intérimaires ont confié à une entreprise la location de leur force de travail. Des contingences pratiques ont souvent guidé leur choix en fonction de leur âge et de l’état du système d’emploi.

Dans cette période de doute et d’incertitude vis-à-vis de l’avenir, l’intérim représente pour ces jeunes travailleurs une étape vers l’émancipation. C’est un moment où beaucoup aspirent à une autonomie financière. Souvent, c’est à peine majeurs qu’ils découvrent l’intérim ; comme ce fut le cas pour Matthieu (27 ans) :

« Ma première inscription c’était Manpower à 18 ans, juste en bas de chez moi. Mon

frère y était déjà inscrit. C’était juste après mon année d’ébénisterie et je voulais passer mon permis. Une secrétaire m’a accueilli et m’a dit de ramener des papiers, il n’y avait pas le truc de sécurité qu’ils te font faire à Adecco. J’ai eu de la chance, enfin c’est ce que je croyais, parce qu’ils m’ont trouvé une mission très rapidement. C’était à France Feeling [usine de parfum réputée très dure, conditionnement], la mission poubelle. Comme beaucoup de premières missions, quoi. On m’avait prévenu d’accepter, la première fois vaut mieux dire « oui » ; sinon ils ne te rappellent pas. Mais j’étais content quand j’ai entendu « Matthieu, on a une mission pour vous ». T’as l’impression d’être chanceux. Tu te sens « homme », t’es content vis-à-vis de tes parents d’avoir trouvé du boulot. En plus, ils t’appellent par ton prénom et tout, ça te donne un peu d’importance, même si tu sais qu’ils le font à chaque fois. »

Karim, un jeune intérimaire (19 ans, alors agent de nettoyage intérimaire à Robertet) tenait des propos très proches de ceux de Matthieu à propos de ce sentiment : « comparé

à mes frères qui ont mis du temps à trouver, moi, j’ai eu de la chance d’atterrir ici. J’ai un CAP menuiserie dans le bâtiment mais j’ai préféré m’inscrire pour l’usine. Intérima m’a envoyé ici au bout d’une semaine seulement. Ça fait plus de 6 mois et maintenant tu me remplaces à la vaisselle, je vais peut-être être formé ».

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Les premiers pas dans le monde du travail, en tant que salariés (et non en tant qu’apprentis), ont été une source de fierté pour ces intérimaires. Après avoir obtenu, rapidement et sans encombre, leur première mission, ces jeunes adultes s’estiment « chanceux ». Ils savent qu’il n’est pas aisé de trouver un emploi, ce qu’ils ignorent le plus souvent c’est qu’il leur sera encore plus difficile de le garder et d’avoir accès à une certaine stabilité1

. Cette expérience heureuse contraste avec le parcours de leurs proches (leurs frères en l’occurrence) qui sont eux aussi passé par l’intérim. Malgré des missions où les conditions de travail sont souvent pénibles, ces jeunes intérimaires ont le sentiment d’avoir changé de statut et d’être rentrés de plein pied dans la vie active.

Une recherche d’emploi par le biais du travail temporaire intervient parfois plus tardivement dans la trajectoire des individus. Ce recours à l’intérim peut apparaître, à la suite d’une perte d’emploi, d’un déménagement ou d’une séparation, comme une solution d’appoint pour faire face à de nouvelles conditions d’existence2

. Julie (26 ans), alors intérimaire aux « compos3 » de Robertet, témoigne :

« J’ai été maman très jeune. J’ai vite laissé tomber mon C.A.P. en alternance pour

m’installer avec mon copain. Ça n’a pas duré, il est parti et je suis retournée chez mes parents. Depuis 4, 5 ans, depuis que ma fille va à l’école, j’enchaîne les missions d’intérim. Dans ma situation, je pense qu’il n’y avait que ça. Mais au début, à vrai dire, je ne savais pas du tout où je mettais les pieds. Mon ex travaillait en intérim, en usine aussi, mais je pensais qu’il n’y avait que des mecs. J’étais encore bien naïve à l’époque ! »

Ce parcours n’est pas sans rappeler celui de Karima (41 ans, titulaire dans le même service que Julie) qui, au cours d’une pause, viendra relater son expérience à la suite de sa collègue intérimaire : « Toi, t’étais encore jeune. Moi, je suis rentrée pour la première

fois dans une agence à presque 40 ans. Il fallait bien que je retrouve du travail après mon divorce. En dix ans je n’avais fait que des ménages au black et j’ai eu pendant un an un poste de caissière à temps partiel, c’est tout ! Alors, je peux te dire que ça m’a fait bizarre ».

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Ces intérimaires seront parfois amenés à signer un contrat plus long, voire un CDI, mais la majorité d’entre eux se réinscriront en intérim quelques années plus tard (j’ai pu l’observer pour plus de la majorité de mes informateurs). Voir Chapitre 12 (« Retour à la case départ »). Lors de cette « réinscription », certains vont tirer parti de leur expérience afin d’éviter ces missions que Matthieu a qualifié de « missions poubelles » mais tous ne pourront y échapper.

2 Maurice Godelier écrit que par « conditions matérielles d’existence, il faut entendre aussi bien les moyens

matériels qui permettent aux individus de subsister physiquement, que ceux qui leur permettent d’exister socialement et qui, du même coup, permettent la reproduction des rapports sociaux qui les font exister comme tels ». GODELIER Maurice, 1996. La production des grands hommes, Paris, Fayard, p.225.

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Les témoignages de ces deux intérimaires contiennent similitudes et différences. Ces mères célibataires ont toutes deux eu recours à l’intérim après une rupture conjugale. Pour Julie, l’inscription en intérim correspond à son entrée dans le salariat alors que Karima a occupé divers postes de travail par le passé. Toutes deux n’avaient en s’inscrivant qu’une idée vague du travail intérimaire, notamment dans l’industrie, et disent avoir été surprises à leurs débuts. Qu’il soit question du mode de fonctionnement ou du contenu des missions, elles présentent cette entrée dans l’intérim comme un « choc », pour reprendre un terme fréquemment utilisé. Catherine Faure-Guichard écrit à propos de ces femmes, arrivées en intérim « sur le tard », que « L’entrée dans le monde du travail temporaire constitue une véritable rupture par

rapport à l’univers domestique dans lequel elles ont évolué jusque-là et peut marquer une véritable inflexion dans leur trajectoire et leur rapport à l’activité1 ». Ainsi, ces deux intérimaires s’accordent à dire qu’elles ne souhaitent « plus dépendre de personne ». Si Karima a assez rapidement réussi à stabiliser son parcours au sein d’une grande usine, Julie tente encore de s’insérer dans l’entreprise qui l’embauche actuellement. Ce type de parcours pointe une fois encore que l’intérim reste une solution d’urgence, un choix par défaut pour pouvoir faire face à une nouvelle situation.

Ainsi, l’intérim accompagne les aléas de l’existence2. C’est parfois un changement de domicile qui amène les individus à s’inscrire ou se réinscrire dans une agence de travail temporaire. Khamis (38 ans), après avoir obtenu avec peine une embauche dans une