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Sur ce point, Gwendoline LARDEUX 498 explique cette différence d’approche tolérant

l’effet élusif et refusant l’effet additif

499

des droits fondamentaux par le biais de la notion de

prévisibilité. Tout n’est que fonction de la prévisibilité de la survenance d’une nouvelle

obligation. Protéger le preneur en supprimant une obligation au contrat n’a pas le même

impact que d’imposer au bailleur une nouvelle obligation. Il faut que l’obligation qui est

évincée du contrat ne change pas le sens du contrat d’une façon trop importante pour les

parties, et qu’elle soit prévisible. Cette notion de prévisibilité défend la même idée que la

condition posée par le juge de la présence d’une clause contractuelle. La clause contractuelle

incarne la prévisibilité. L’absence de clause contractuelle incarne l’imprévisibilité pour les

parties.

201.- Il est courant de considérer que la théorie des obligations positives ne doit pas

être appliquée dans les relations privées. Or, lorsque le juge soustrait une clause au contrat

parce qu’il lit l’acte au regard des droits fondamentaux, cela revient à reconnaître que l’une

des parties a porté atteinte au droit de l’autre - en insérant une telle clause dans le contrat -

clause qui porte atteinte aux droits fondamentaux de son cocontractant. En modifiant le

contrat, le juge met à la charge du contractant qui a violé le droit fondamental de l’autre

partie, une nouvelle obligation. Supprimer une obligation au contrat pour une partie, en fait

naître instantanément une autre à la charge de l’autre partie. La théorie des obligations

positives trouve donc une nouvelle extension dans les relations privées.

Dans les faits, il est évidemment différent de supprimer une obligation du contrat ou

d’en ajouter une. Certes, si l’on prend en compte le critère de la prévisibilité, il est évident

qu’une obligation prévue par les parties et qui est supprimée par le juge était prévisible,

contrairement à celle qui pourrait lui être ajoutée. Mais abstraction faite de la question du

degré de l’imprévisibilité, les effets d’une soustraction ou d’une addition d’obligation dans le

498

G. LARDEUX, op. cit. (v. note 133), p. 348.

499

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contrat semblent les mêmes sur le fond. Plus encore, ce pour quoi le juge refuse d’ajouter une

obligation au contrat n’a pas de sens, puisque lorsqu’il soustrait une obligation, les effets sont

les mêmes.

Le refus d’inscrire dans le contrat une nouvelle obligation est net. On comprend qu’il

soit justifié par l’imprévisibilité qui entoure cette démarche et provoquerait une violation

importante du principe de sécurité juridique. Il n’est pas envisagé de mettre à la charge de l’un

des contractants ce qui pourrait s’apparenter à une obligation positive.

Pour autant, on peut s’interroger sur la différence qu’il y aurait, d’un point de vue

général, entre le fait de soustraire une clause au contrat et celui d’en ajouter une. La

modification du contrat, qu’elle consiste en l’une ou l’autre de ces hypothèses, s’apparente bel

et bien à l’utilisation, en son sein, de la théorie des obligations positives.

§ 2. L’évidence de l’existence d’une obligation positive

202.- Il semble que l’ajout ou la suppression d’une clause par le juge lorsqu’il

interprète le contrat aura les mêmes impacts sur le fond. Quelle que soit la forme qu’elle

prend, on peut considérer que la modification du fait de l’interprétation est génératrice d’une

obligation positive à la charge des contractants (A). Un raisonnement par analogie avec

l’obligation positive reconnue à l’État est sur ce point intéressant (B).

I. La modification du contrat génératrice d’une obligation positive à

la charge des contractants

203.- Le juge européen attend des États qu’ils agissent concrètement. Il s’agit de

« prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde d’un droit »

500

, d’« adopter des mesures

raisonnables et adéquates pour protéger le droit de l’individu »

501

. Dans cette optique, l’État

ne doit pas agir à contre-courant de ces exigences. Dans cette quête de protection et de

défense des droits fondamentaux, le juge met à sa charge des obligations positives, s’il s’avère

qu’il n’a pas agi, ou mal agi.

500

Cour EDH, 24 août 1994, arrêt HOKKANEN c. Finlande.

501

Cour EDH, 9 décembre 1994, LOPEZ OSTRA c. Espagne, série A, n° 303-C, RTD civ. 1996, p. 507, obs. J-P. MARGUÉNAUD ; JDI 1995, p. 798, P. TAVERNIER.

177

Au niveau national - et dans le cadre de l’interprétation d’un contrat - le juge interne

peut-il mettre à la charge d’un individu une telle obligation positive - en soustrayant ou en

ajoutant une obligation au contrat pour rendre son sens conforme aux droits fondamentaux,

sous prétexte que le contrat ne protégerait pas comme il se doit les droits fondamentaux ? Le

bilan de la jurisprudence suggère d’apporter une réponse positive à cette question. En effet,

qu’il ajoute ou qu’il supprime une obligation au contrat pour le rendre conforme aux droits

fondamentaux, le juge interne créé à l’égard de l’une ou l’autre partie, une nouvelle obligation

qui peut être considérée comme une obligation positive. Par cette déduction, on peut d’ores et

déjà se distinguer de l’opinion majoritaire - allant dans le sens de la jurisprudence - consistant

à penser que soustraire une obligation au contrat n’est pas la même chose que d’y ajouter une

obligation, sans pour autant contester le fond de cette opinion doctrinale.

204.- À l’issue du contrôle de proportionnalité, le juge va décider du sens qu’il donne

au contrat. Deux hypothèses se présentent précisément à lui. Il peut estimer que le sens que

revêt le contrat ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux. Dans cette situation, il ne sera

pas nécessaire pour le juge de modifier le contenu du contrat pour le rendre conforme à la

Convention EDH. Au contraire, il peut considérer qu’une atteinte au droit fondamental de l’un

des contractants est perceptible au sein de l’acte contractuel. Alors, le sens du contrat doit être

modifié, de manière à être en accord avec les exigences européennes.

Pour ce faire, le juge va modifier le contenu des obligations du contrat. Dans cette

perspective, la jurisprudence nous permet de tirer un bilan clair : deux solutions sont

envisageables. Lorsque le juge interne soustrait une clause au contrat ou neutralise ses effets,

il agit en conséquence d’un contrôle classique de proportionnalité qui consiste à se demander

si cette clause porte atteinte au droit fondamental de celui qui la subit. Si la réponse à cette

question est positive, alors le juge soustrait la clause au contrat en la neutralisant partiellement

ou totalement.

Lorsque le juge ajoute

502

une clause au contrat par le biais d’une nouvelle obligation, il

agit en conséquence d’un contrôle double. Le juge a d’abord appliqué le principe classique de

proportionnalité. De cette première application, il a déduit une atteinte, atteinte qu’il veut

pallier. En effet, cette atteinte se manifeste par un manque, alors que l’hypothèse de la

suppression de la clause concerne une atteinte qui est matérialisée, qui existe dans le contrat.

502

Aucune des décisions du juge ne le formule de la sorte. .

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Face à cette atteinte fantôme, le juge ajoute une obligation au contrat pour y remédier, après

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