• Aucun résultat trouvé

Guerres d’intérêts : entre expédition coloniale et campagne impérialiste

Contexte sociopolitique, géo-historique et culturel de la perception des guerres balkaniques dans l’espace médiatique français

I. Perceptions de l’avènement du conflit

I.2. Perceptions de la nature du conflit

I.2.6. Guerres d’intérêts : entre expédition coloniale et campagne impérialiste

Pourtant, la déclaration de la Deuxième Guerre balkanique permet à tous ceux qui ne percevaient pas le conflit en termes ‘culturalistes’ ou nationalistes de revendiquer la justesse de leur réticence et méfiance.

Alexandre Varenne dans la Lanterne exprime son point de vue sur la nature du conflit, d’un ton ironique au moment de la publication des nouvelles concernant les accusations pour exactions commises par les armées des ex-alliés : « mais alors, cette guerre sainte, cette croisade pour le droit et pour l’humanité, c’était une blague ? Ce n’était pas pour sauver les chrétiens d’Orient que les peuples slaves prenaient les armes ? C’était tout simplement et tout prosaïquement pour s’agrandir aux dépens du voisin ? On s’en doutait »577. D’après lui, des

mots comme civilisation ou progrès, « ne sont pour les impérialismes de toutes latitudes que de faciles prétextes. Le principe des nationalités, hypocrisie »578. Et Saint-Brice579 dans le

Journal, affirme que si on a pu, il y a huit mois, « nous jouer le grand air de la croisade, de la

civilisation en marche, maintenant le masque est tombé. On sait quelle ruée d’appétits se dissimulait sous le masque humanitaire »580. Même constat dans l’Humanité où Veillard, écrit que « jamais le cynisme des appétits sans frein n’a éclaté de manière aussi brutale qu’entre les alliés d’hier, qu’on prétendait à toute force faire passer pour de purs champions de la libération nationale, voire de la civilisation moderne »581. Paul Richard dans l’Aurore, remarque qu’il a fallu les faits précis, brutaux, publiés dans la presse en juillet 1913, pour

577 Alexandre Varenne, « La revanche du Croissant », La Lanterne, 10 juillet 1913. 578 Idem.

579

Selon Frédéric Dessberg, Saint-Brice était un pseudonyme employé par le diplomate français Philippe Berthelot. Voir, Frédéric Dessbrg, Le triangle impossible : les relations franco-soviétiques et leur facteur

polonais dans les questions de sécurité en Europe (1924-1935), Bruxelles, Peter Lang, 2009, p.140.

580

Saint Brice, « La faillite de l’Europe », Le Journal, 23 juillet 1913.

152

éclairer une opinion volontairement aveuglée par ses sympathies en faveur des alliés balkaniques sur la nature de la guerre dans les Balkans. Pour lui, qui ne s’est fait aucune illusion sur la mentalité balkanique et sur les mobiles de l’agression concertée par les quatre rois, les hostilités reprises entre ex-alliés en juillet, loin de l’étonner lui apparaissent « comme une conséquence logique, naturelle, attendue, des raisons de violence et de convoitise qui les unirent »582.

Déjà au début de la Première Guerre balkanique, Marty-Rolland, secrétaire des syndicats de Toulouse, s’adressant à plus de mille personnes au théâtre du Capitole, déclarait que ce n’est pas par patriotisme qu’on fait la guerre mais en raison d’intérêts économiques583

. Ce disant, il établissait en même temps une correspondance entre la nature de la guerre déclenchée dans la péninsule des Balkans et les conflits récents hispano-américain, anglo- boer, russo –japonais. A Montrouge, en banlieue parisienne, le citoyen socialiste Dispan démontrant lors d’un meeting contre la guerre, ses principales causes, répétait qu’il ne s’agissait pas d’une confrontation de races ou de religions, mais bien d’une guerre purement d’intérêts584. Lors de la conférence organisée par l’Union des syndicats ouvriers d’Eure-et-

Loir, en novembre, Bidamant, secrétaire de la Fédération des transports et Sarda, secrétaire de la fédération de l’alimentation ont, tour à tour, avec des thèmes différents, traité de la guerre des Balkans et de ses conséquences, mettant les causes de cette guerre en parallèle avec les guerres du Maroc. Au cours de ce conflit marocain, le gouvernement français a envoyé selon eux à la boucherie, sous le couvert de la civilisation, « les travailleurs français contre des hommes défendant leur patrie, simplement pour satisfaire les convoitises des requins de la finance et du Parlement, tels que les Etienne, Thomson, Caillaux et autres qui font partie des syndicats financiers Rochette et consorts »585. On voit donc se profiler une perception financiariste /économiste/affairiste des motivations ayant régi l’organisation des expéditions colonialistes françaises et la proclamation des guerres balkaniques, à savoir une croyance à la subordination des décisions du pouvoir exécutif aux prérogatives d’intérêts économiques de sociétés industrielles ou de groupes financiers. Une telle perception de méfiance à l’égard de l’institution parlementaire, intervient dans une ambiance d’ « affairisme » aigu et de

582 Paul Richard, « La question d’Orient », L’Aurore, 5 juillet 1913.

583 Archives nationales, série F/7/13328, dossier sur l’agitation contre la guerre ; rapport du préfet au ministre au

sujet d’un meeting organisé par la Bourse du Travail et le Parti socialiste contre la guerre, au théâtre du Capitole à Toulouse, le 16 novembre 1912.

584 Archives nationales, …op.cit., Meeting contre la guerre organisé par le groupe de Montrouge du Parti

socialiste, salle Alfred, 48 av. de la République à Montrouge, le 17 novembre 1912.

585

Archives nationales, …op.cit., rapport du commissaire de police au préfet, à propos de la Conférence organisée par l’Union des Syndicats ouvriers d’Eure-et-Loir, le 10 novembre 1912.

153

scandalologie récurrente et abondante dans l’espace médiatique, qui voient tombés dans le discrédit, des représentants du monde politique, après leur implication réelle ou supposée et leur inculpation officiellement prouvée ou arbitrairement instruite, dans des opérations d’escroquerie financière, souvent sous forme de soutien apporté à leurs instigateurs. L’avènement de l’ère médiatique des scandales ou des scandales médiatisés, coïncidant avec l’établissement de la République parlementaire et l’âge d’or de la presse, cet avènement est dominé par le scandale de Panama586. L’allusion des syndicalistes à l’affaire Henri Rochette, créateur du Crédit minier, qui émettait des bons d’épargne à la valeur fictive, réussissant à occulter pendant un certain temps ces démarches suite au soutien médiatique et politique qu’aurait reçu, fait ressurgir dans l’espace médiatique à la veille de la Grande Guerre, la mémoire de ce scandale-type de connivence entre acteurs d’escroqueries financières et acteurs des milieux médiatiques et politiques. A côté d’Henri Rochette, les syndicalistes se réfèrent à Gaston Thomson, ministre de la Marine dans plusieurs cabinets formés par des personnalités du parti radical, mettant en place une politique volontariste d’armements, décidant la construction de nombreux navires de guerre, croiseurs et cuirassés ; à Joseph Caillaux, accusé par ses adversaires politiques de collusion avec Henri Rochette, et de transactions secrètes avec les Allemands pour tracer une nouvelle délimitation colonialiste, de sphères d’influence au Maroc et en Afrique équatoriale entre la France et l’Allemagne après le coup d’Agadir ; et à Eugène Etienne587 député de l’Algérie Française de 1881 à 1919 et figure de proue du ‘parti colonial’ fondateur et président de plusieurs comités colonialistes, dont le Comité de l’Asie, le Comité de l’Afrique française, le Comité du Maroc. L’allusion à ces événements et ces personnages politiques, amène les tenants d’un discours anticolonialiste, obsédés en même temps par la corruption des parlementaires, à voir la Première Guerre balkanique comme le résultat d’agissement de ‘partis coloniaux’, militaristes locaux, censés avoir des intérêts liés à des entreprises d’escroquerie financière. Ce faisant, ils projettent leur raisonnement ‘conspirationnel’ nourri par la médiatisation des scandales de corruption impliquant des personnalités politiques de la République, sur arrière plan d’opérations coloniales, sur la compréhension d’un événement des relations internationales.

Par ailleurs, la guerre qui éclata en octobre 1912 fut perçue par Gédéon Bessede dans le Libertaire, comme « une guerre de féodaux, fomentée par les intérêts personnels des

586

Voir Frédéric Monier, Corruption et politique : rien de nouveau ?, Paris, A. Colin, 2011, p.66.

587 Voir Julie d’Andurain, « Réseaux d’affaires et réseaux politiques : le cas d’Eugène Etienne et d’Auguste

d’Arenberg », dans Bonin Hubert, Jean-François Klein, Catherine Hodeir (dir.), L’esprit économique impérial,

1830-1970 : groupes de pression et réseaux du patronat colonial en France et dans l’Empire, Paris, Publications

154

roitelets abrutisseurs »588. Gabriel Trarieux dans la France de Bordeaux et du Sud-Ouest affirme qu’ : «on a beau nous parler de la guerre de races et croisade chrétienne ce ne sont que détestables prétextes à masquer les entreprises de lucre. »589.

Aux antipodes d’une représentation et perception culturaliste des conflits balkaniques, la presse socialiste, anarchiste, syndicaliste et en partie radical-socialiste y voit donc une guerre d’intérêts. Francis Delaisi lors d’une conférence sur la guerre des Balkans à l’École des Hautes Études Sociales, explique que les véritables raisons de la Première Guerre balkanique étaient d’ordre économique et de compétition pour le contrôle d’axes de communication590

. Il argumente sa position en affirmant que : « la Bulgarie et la Serbie qui ont de fortes dettes à payer à l’Europe sont obligées, pour se procurer des ressources, d’exporter leurs produits, mais du fait de leur situation géographique, elles se trouvent dépourvues de débouchés »591. Dans la Bataille Syndicaliste592, il détaille sa pensée et il essaye d’expliquer les motivations d’ordre économique ayant régi la décision des alliés balkaniques. D’après l’économiste socialiste, un esprit de pragmatisme identique régit la pensée des capitalistes bulgares :

« Le royaume de Ferdinand est un cul-de-sac. Pour vendre à l’Europe leurs grains, leur bétail, les marchands grecs, arméniens ou juifs qui pressurent le paysan, ne disposent que du Danube, gelé pendant les mois d’hiver et de deux chemins de fer qui les mènent à Varna et à Bourgas, sur la mer Noire. Fâcheuse impasse : à tout moment la Russie peut bloquer les deux ports, le Turc fermer le Bosphore. Le marchand autrichien arrivé par l’Express- Orient, vend au prix qu’il veut ses cotonnades, sa quincaillerie et ses machines. Pour sortir de cette impasse, un seul moyen : pousser le chemin de fer de Dubnitza, vers Serrès et Salonique, ou celui de Kustendil vers Uskub. Et voilà pourquoi le tsar Ferdinand lance trois cent mille soldats sur Constantinople. A tout prix il faut chasser les Turcs de la Thrace. En avant donc pour Dieu et pour la Patrie ! pour les marchands de grains et les marchands de bœufs ! »593

.

En ce qui concerne les intérêts monténégrins, l’occupation de Scutari ou une marche sur Ipek, les relierait aux chemins de fer projetés avec tous les avantages économiques

588 Gédéon Bessede, « Guerre de féodaux », Le Libertaire, 26 octobre 1912. 589

Gabriel Trarieux, « Islam », La France de Bordeaux et du Sud-Ouest, 19 octobre 1912.

590 Une telle perception des conflits lies à la question d’Orient et plus généralement des crises dans les relations

internationales de la période moderne, est déclinée en trois périodes distinctes. Dans une première période les antagonismes concernent le contrôle des routes maritimes. La deuxième période est inaugurée avec le développement des chemins de fer, tandis que pendant la troisième période les tensions suivent le tracé des oléoducs et gazéoducs.

591 Archives nationales, série F/7/13328, dossier sur l’agitation contre la guerre ; rapport sur la conférence par

Delaisi, le 17 novembre 1912.

592

Francis Delaisi, « La Croix, le Croissant et le cochon serbe », La Bataille syndicaliste, 6 novembre 1912.

155

escomptés suite à une telle opération594. Enfin, dans l’agora d’Athènes, les capitalistes grecs convoitent Salonique, comme au temps de Philippe et Démosthène :

« Le Grec, ingénieux fils d’Ulysse, ne peut laisser passer cette chance. Qu’on le laisse pousser son chemin de fer de Larissa jusqu’à Salonique. Aussitôt Athènes devient la tête de lignes de la grande voie internationale qui de Londres et de Berlin par Vienne descend vers Suez et l’Inde. Le Pirée remplace Brindisi. Le Parthénon se trouve sur la route de Bombay. Quel coup de fortune ? Comment le diadoque hésiterait-il à lancer ses troupes sur la Macédoine ? En avant donc, contre le Turc. C’est pour la libération de nos ‘frères’ ‘hellènes : pour la grande idée et la défense de la foi orthodoxe »595

. En ce qui concerne, les capitalistes serbes :

« Leur grande préoccupation, c’est la vente de leurs cochons. L’élevage du porc est la principale et presque l’unique ressource de leur pays. C’est avec les produits de la vente à l’étranger qu’ils payent les coupons de leur dette aux rentiers français et gardent encore pour eux quelque bénéfice. Or, la Serbie ne peut vendre ses porcs aux Bulgares qui en élèvent ni aux Turcs musulmans qui n’en mangent pas en raison des interdictions alimentaires dictées par leurs croyances religieuses. Ils ne pouvaient jusqu’ici les écouler qu’en Autriche ! Et les gens de Vienne en abusaient pour tenir la Serbie dans une sorte de vassalité politique et économique. A la moindre velléité d’indépendance, les douaniers hongrois découvraient soudain que tous les porcs serbes étaient atteints de la strychnine ou de toute autre maladie diplomatique et les marchands de Belgrade, menacés de ruine, obligeaient leur gouvernement à capituler. Pour s’affranchir de cette servitude, que faut- il ? Un chemin de fer qui, descendant de Nich par Prichtina, atteindra l’Adriatique à Saint-Jean di Medua ou Durazzo. Alors les éleveurs serbes disposant d’un port sur la mer libre, vendront tout à leur aise leurs porcs aux Italiens, aux Français, aux Anglais et ils seront affranchis de la tutelle de l’Autriche. Voilà pourquoi le roi Pierre s’installe à Uskub et réclame au nom de l’unité nationale et des droits imprescriptibles, l’extension de la Serbie jusqu’à la mer. La libération des frères chrétiens concorde admirablement avec l’émancipation des cochons serbes- (…). Patriotisme et exportation, croisade et charcuterie, voilà le nerf de la guerre »596.

Cette perception de la nature de la guerre, est fortement contestée par Gustave Hervé dans son journal, la Guerre sociale. D’après lui, le sort du cochon serbe n’intéresse pas seulement les ‘financiers’ comme :

« le croient ceux qui expliquent tout par le financisme, cette nouvelle tarte à la crème. Elle intéresse tous les paysans serbes qui sont des éleveurs de cochons. Si les marchands de cochons ne peuvent exporter leurs marchandises, et ces marchands ne sont pas tous de gros capitalistes, il n’y a pas qu’eux qui sont ruinés. Il y a aussi les paysans petits propriétaires qui

594

Sur le rôle des chemins de fer dans l’élaboration de différents projets expansionnistes des Etats balkaniques, voir Basil Gounaris, Steam over Macedonia, 1870-1912 : social economic change and the railway factor, Columbia University Press, 1994.

595

Idem.

156

forment la plus grande partie de la population serbe. Et voilà pourquoi les paysans serbes s’ils se battent pour des cochons ne se battent pour les financiers mais pour eux-mêmes »597.

En dehors de sa critique de la position de Francis Delaisi, Gustave Hervé rejoint les penseurs français nationalistes, en affirmant que si les paysans serbes se font tuer n’est pas pour vendre leurs cochons mais « par haine religieuse et nationaliste contre le Turc ». Tous ces discours ne représentent d’après Francis Delaisi que des formules rhétoriques susceptibles de déguiser sous un apparat ‘idéaliste’ la véritable nature ‘matérialiste’ de cette guerre. Pendant de longues années, Bulgares, Serbes et Grecs, patriarchistes et exarchistes se sont « massacrés chrétiennement » remarque-t-il. Jamais, ils n’ont pas pu s’entendre sur le terrain religieux ou national. C’est la question des chemins de fer qui a fait leur union. « C’est elle encore qui dominera le partage de l’Empire Ottoman ».

Cette perception des antagonismes liés à la question d’Orient en termes d’une course pour le tracé et la maîtrise des chemins de fer598, mis aussitôt au service d’une expansion commerciale et économique des pays intéressés, a déjà été évoquée à la veille des guerres balkaniques. René Pinon consacrait un article à cette question dans la Revue des deux

mondes599. Dans le sillage de ces idées et perceptions des conflits liés à la question d’Orient,

Paul Flat dans la Revue politique et littéraire développe sa théorie des guerres des Balkans en termes d’expédition coloniale pour la conquête de nouvelles sources premières. D’après lui, les idéalistes voient derrière toutes les grandes crises qui traversent l’histoire, des motivations religieuses, ethniques, nationales. Ils rejettent très loin « cette opinion basse et même répugnante à leur gré, que le développement industriel ou le désir de marchés nouveaux ou le simple jeu de combinaisons financières puissent décider du sort des États, les pousser les uns contre les autres »600. Tous les apôtres du colonialisme, ont par ailleurs insisté sur des raisons qui relèvent de la sentimentalité ou des missions civilisatrices, mettant en avant leur volonté de régénérer, élever à une condition meilleure, les indigènes des régions annexées. « Ils ont en général relégué le facteur économique au second plan »601 commente-t-il. Pourtant, c’est pour s’assurer des débouchés nouveaux que les puissances européennes ont assujetti les territoires

597

« Commentaire de l’article de la Bataille syndicaliste sur les cochons serbes », La Guerre sociale, 13-19 novembre 1912.

598 Ces raisonnements réjoignent la perception des conflits de la fin du XXe siècle dans la région des Balkans,

surtout de la guerre de Kosovo, sous le prisme d’antagonismes pour le contrôle cette fois-ci du tracé d’oléoducs ou gazoducs.

599

Voir René Pinon, « La crise balkanique : chemins de fer et réformes », Revue des deux mondes, 1908, t.45, p.143-176.

600 Paul Flat, « Les causes économiques des guerres », La Revue politique et littéraire, octobre-décembre 1912,

p.623.

157

qui se trouvaient le mieux à leur portée. « L’industrialisme moderne, servi par un machinisme toujours plus perfectionné et plus productif, risquerait de succomber sous l’accumulation de ses produits, s’il ne créait des marchés sans cesse élargis »602. C’est la raison pour laquelle

selon lui, on colonisait jadis, à l’époque de Vasco de Gama ou de Cortez, comme à l’époque romaine pour arracher les métaux précieux ou encore des tributs aux peuples vaincus : « On colonise maintenant pour se pourvoir d’une clientèle régulière et qui garantisse les manufactures métropolitaines contre les crises de surproduction. Dès qu’un État s’élève au stade de grand capitalisme, c’est-à-dire qu’il acclimate chez lui la grande industrie, il devient colonialiste ». Dans une telle perception de l’évolution économique, et une telle perception ‘colonialiste’ des conflits, il cite le cas de l’Allemagne, « tard venue dans la carrière », de l’Italie « qui chassée une première fois d’Afrique par Ménélik, y a repris pied récemment en Libye »603. D’après Paul Flat, la guerre hispano-américaine, la guerre russo-japonaise pour le contrôle des marchés de la Mandchourie et de la Corée, ou encore la crise d’Agadir, sur fonds de rivalité franco-allemande pour la suprématie au Maroc, sont autant des manifestations supplémentaires de ce phénomène. La guerre déclenchée dans les Balkans en automne 1912, vient d’après lui, compléter le cortège d’expéditions colonialistes. Dans une telle perception de la nature de la guerre, « les Monténégrins convoitent le lac de Scutari, les Grecs les riches vallées de l’Épire et de la Macédoine, les Bulgares l’accès à la mer Égée, les Serbes des débouchés à l’Adriatique »604

.

Cette perception résonne également dans le Petit Écho de la Mode au sujet des ambitions monténégrines. Leur capitale ressemblait plutôt à « un petit chef-lieu de nos arrondissements montagneux qu’une métropole moderne. C’est pourquoi le Monténégro a tenu si vivement à s’annexer Scutari la Belle, la grande cité industrielle de l’Albanie qui baigne dans des eaux de ‘rêve’ ses villas charmantes »605

. Marcel Cachin dans l’Humanité, au lendemain de la publication du manifeste adressé aux peuples d’Orient par les partis socialistes des Balkans, signale lui aussi que le but des nationalistes des pays alliés n’est pas de réclamer comme ils le disent, plus de liberté pour les chrétiens d’Orient. Ils convoitent