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La grossesse d’une femme toxicomane est à très haut risque médical, On retrouve bien évidemment les complications dues à l’action pharmacologique directe de l’opiacé, mais également, les effets des conditions de vie imposées par la toxicomanie. En effet, la toxicomanie impose un style de vie néfaste à la grossesse et indépendant des propriétés pharmacologiques du produit (situation matérielle précaire, absence de repos, poly toxicomanie, prostitution, désinsertion sociale), Cependant depuis l’instauration des traitements de substitution, cette situation a profondément changé. La substitution permet d’améliorer le suivi de grossesse et installe un climat favorable et plus stable à la maternité en sortant les futures mamans de l’illégalité. (Lejeune et coll, 2003)

1-La conception

Les femmes héroïnomanes présentent des troubles du cycle, à type d’aménorrhée et d’oligoménorrhée. Ces troubles connus depuis longtemps son dus à une action supra hypophysaire du toxique, diminuant la sécrétion de FSH et de LH et une stimulation de la prolactine. La fréquence de la stérilité passerait alors de 16% avant la prise de drogue, à 63% pendant, avec une récupération de la fécondité normale à l’arrêt. (Bongain et coll, 2000) (Blazy et Mignot, 1995) (Richard et coll, 1998)

D’autres éléments peuvent concourir à cette diminution de la fertilité, notamment des antécédents infectieux ou encore une impuissance du conjoint souvent toxicomane lui aussi. (Bongain et coll, 2000)

A cela s’ajoute un déni psychologique, en effet la sexualité des femmes toxicomanes est caractérisée par une diminution de la libido. L’investissement de ces femmes étant essentiellement tourné vers la quête du produit, elles sont peu attentives aux signes d’une grossesse. Dans certains cas, la sexualité peut même devenir utilitaire, s’organisant en prostitution pour gagner de l’argent, toujours dans le but d’obtenir le produit. (Rosenblum, 2000)

Le corps est livré à la toute puissance du produit, il est déconsidéré, sans valeur et sans féminité. L’aspect androgyne de ces femmes, les conduites anorexiques, la dégradation

infections…) auxquels s’ajoute l’absence de règles, concourent au sentiment d’une impossibilité d’enfanter. (Rosenblum, 2000)

Ces troubles du cycle associés au déni psychologique peuvent considérablement retarder le diagnostic d’une grossesse (vers le 4e mois) rendant toute interruption volontaire de grossesse impossible. (Blazy et Mignot, 1995) (Richard et coll, 1998)

Légalement, la grossesse doit être déclarée au cours du premier trimestre, sous peine d’une non attribution des allocations familiales. Dans la cohorte de l’étude de C. LEJEUNE et L.SIMMAT-DURAND constituée de 259 femmes toxicomanes, 36% des femmes n’ont effectué la première consultation qu’au-delà de 15 semaines d’aménorrhée, soit au cours du deuxième trimestre. Ces déclarations tardives sont dix fois plus nombreuses que dans la population générale. (Lejeune et coll, 2003)

Depuis la mise en place des traitements de substitution aux opiacés, le diagnostic de grossesse est souvent plus précoce comparé à la littérature médicale concernant les femmes toxicomanes, souvent décrites comme à risque de se présenter pour la première fois au moment de l’accouchement, à dilatation complète. En effet leur rapport avec le produit n’est plus du tout le même. Leur vie n’est plus tournée vers la quête du produit, elles sont plus stables et leur corps ne subit plus les méfaits de la toxicomanie (injection, infection) (Lejeune et coll, 2003)

2-Déroulement de la grossesse

Tout d’abord il est important de souligner que les grossesses des femmes héroïnomanes sont en général mal suivies ce qui augmente la fréquence et la gravité des complications.

Le nombre d’échographies réalisées au cours de la grossesse et la date de la première échographie sont des indicateurs de la qualité du suivi de grossesse. Le minimum légal est de 3 échographies pour une grossesse à terme, recommandée à la 12e, 22e et 32e semaines d’aménorrhée. (Lejeune et coll, 2003)

Dans la cohorte de l’étude multicentrique de C. LEJEUNE, parmi les 259 femmes toxicomanes (toutes ayant bénéficié d’un traitement de substitution avant leur grossesse ou au début de leur grossesse) 20 % ont eu moins de 3 échographies et 17 % n’ont réalisé la première qu’après 22 semaines d’aménorrhée, soit au cours du troisième trimestre. Le tableau 4 nous montre ces résultats (Lejeune et coll, 2003)

Tableau 8: Répartition des femmes selon le nombre d’échographies et l’âge gestationnel à la première échographie (en semaines) (d’après Lejeune et coll, 2003)

Âge gestationnel à la 1re échographie (semaine)

Nombre d'échographies

Total

Non réponse Inférieur à 3 3 et +

Non réponse 6 5 11 22

Moins de 22 6 22 165 193

22 et plus 0 25 19 44

Total 12 52 195 259

Cette étude réalisée après la mise en place des traitements de substitution, montre que ce mauvais suivi est aujourd’hui beaucoup moins important qu’auparavant mais reste tout de même au dessus de la moyenne. Nous verrons par la suite que la prise en charge globale permise par la mise sous traitement de substitution diminue considérablement les risques de très mauvais suivi (Richard et coll, 1998) (Lejeune et coll, 2003)

Les principales complications durant la grossesse sont les avortements spontanés, les accouchements prématurés, les retards de croissances intra utérins, et l’anémie. (Bongain et coll, 2000)

Les avortements spontanés ont une fréquence d’environ 20%. Ce chiffre est difficilement vérifiable, sachant que la plupart des femmes toxicomanes consultent tardivement et il est possible que certaines grossesses évoluent vers la fausse couche sans qu’il y ait eu de

consultations médicales. Ce chiffre serait donc minimisé par rapport à la réalité. (Bongain et coll, 2000) (Blazy et Mignot, 1995)

Les accouchements prématurés constituent une complication majeure de la grossesse de la femme dépendante aux opiacés. Les chiffres pouvant aller jusqu’à 35%. (Bongain et coll, 2000) (Blazy et Mignot, 1995)

L’incidence du mode de vie et des épisodes de manque rendant l’utérus irritable, pourraient être à l’origine des avortements spontanés et des accouchements prématurés. La proportion d’avortements et d’accouchements prématurés est moins importante quand il y a une prise en charge (notamment l’instauration d’un traitement de substitution), ces taux avoisinant ceux de la population normale pour les grossesses bien suivies. Nous détaillerons cela plus tard dans la partie IV qui concerne le nouveau-né. (Richard et coll, 1998)

Les retards de croissances intra utérins (RCIU) sont fréquents, pouvant aller jusqu’à 45% des grossesses chez les femmes dépendantes aux opiacés. On retrouve plusieurs causes pouvant s’associer : les intoxications associées, la malnutrition et le toxique lui-même. (Nous détaillerons cela plus tard dans la partie IV qui concerne le nouveau-né) (Bongain et coll, 2000)

L’anémie, essentiellement due à la malnutrition, est présente dans 30% des cas de grossesses chez la femme toxicomane. Elle constitue une des complications les plus fréquentes et doit être recherchée systématiquement. (Bongain et coll, 2000)

3-L’accouchement

L’accouchement est le plus souvent spontané et sans anomalie. On relève tout de même une plus grande fréquence de la présentation en siège qui serait due au petit poids de l’enfant, ainsi qu’une durée moyenne de travail raccourci. (Bongain et coll, 2000)

La patiente doit prendre son traitement (méthadone ou BHD) aux heures habituelles, même en salle de naissance pour prévenir un syndrome de manque pendant l’accouchement. (Roy et coll, 2011)

Souvent un pédiatre est présent lors de l’accouchement, pour prendre en charge une éventuelle dépression respiratoire de l’enfant. (Roy et coll, 2011)