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Chapitre 4 — Méthodologie

4.2 L’observation au microscope électronique à balayage

4.2.1 Les granules d’amidon

Dès les années 1970, on observe la transformation des granules d’amidon pendant la germination et la saccharification lors du brassage de la bière (Kawabata, et al. 1994; Palmer 1972). La germination provoque le développement des enzymes qui doivent transformer l’amidon en sucre dont la plante a besoin pour sa croissance initiale. La digestion des enzymes diastases laissent des traces particulières à la surface des granules : cavités, fissures. En s’intensifiant, l’attaque enzymatique évolue de la surface vers le centre, en passant par les cavités et les fissures, mais surtout par le hile (point d’attache du granule). Certains parlent alors d’endocorrosion (Wang, et al. 2017) et cette transformation survient lors de la saccharification. Le granule s’affaisse et, sous l’action du trempage, ses parois fusionnent avec d’autres granules, formant une masse semi homogène, d’apparence parfois vitrifiée. Toutes ces particularités sont visibles avec le MEB.

Delwen Samuel a été la première chercheure à appliquer ces principes en archéologie. Dans sa recherche sur le pain et la bière en Égypte, elle a pu faire la distinction entre les résidus du pain et de la bière. Traditionnellement, en s’appuyant sur les représentations artistiques, on pensait que les anciens Égyptiens utilisaient du pain mi-cuit pour faire la bière. Samuel a démontré le contraire, en établissant clairement des particularités pour les deux produits : les granules d’amidon du pain provenant de plusieurs sites funéraires ne présentent pas de cavité ou de fissure et leurs parois sont à peine fusionnées ; les résidus récoltés sur des céramiques provenant de deux sites (Deir el-Medina, et le village d’ouvriers d’Amarna) montrent tous, à des degrés différents, des attaques enzymatiques et une fusion complète des granules (figure 4.1.1), trahissant l’utilisation d’eau chaude dans la recette (Samuel 1996b). Certains pains ont été faits à partir de grains germés (de manière délibérée et non par accident, impossible dans un climat sec) (figure 4.1.2), mais la paroi non fusionnée des granules indique un usage de peu de quantité d’eau et il ne peut s’agir d’un pain dédié au brassage de la bière. De plus, on peut observer l’étagement des structures cristallines du granule, signe distinctif de la production du pain. Les conditions climatiques de l’Égypte ont permis la conservation exceptionnelle des croutons de pains et des résidus de bière.

Figure 4.1.1 Quelques granules d'amidon affleurant de la surface d'une masse de gélatinisation. Agglomération typique de la bière, où on voit des cavités à la surface des granules. Source Samuel 1996b.

Figure 4.1.2 Microstructure d'un crouton de pain provenant d'une tombe égyptienne. a) Granule vidé mais dont on voit encore les lamelles, b) structures lamellaire typiques du pain. Source Samuel 1996b.

Suivant cette méthode, Jordi Juan-Tresserras et collègues ont utilisé le MEB pour déterminer la présence de résidus de bière dans des vases provenant de la péninsule ibérique, pour la plus grande part, datés de l’Âge du Bronze (Juan-Tresserras 1998, 2000) (figure 4.1.3). Un seul vase daté du Néolithique post-Cardial a été identifié comme ayant contenu de la bière, mais ses preuves tiennent de la présence d’oxalate et de phytolithes d’orge, et non de l’observation des granules d’amidon (Blasco, et al. 2008).

Enfin, Wang et collègues (2017) ont établi par expérimentation les différents états des granules d’amidon de plusieurs plantes — blé, orge, seigle, millet, riz, tubercules et lentilles — le long de la chaine opératoire des produits fermentés (ou non). L’apport de leur recherche tient en une analyse plus fine de ce qui arrive au granule durant le maltage et la saccharification, séparant ainsi les deux procédés par leurs effets. Durant le maltage, les transformations se divisent en quatre étapes : 1. Piquage aléatoire de la surface ; 2. Disparition des anneaux concentriques cristallins du granule ; 3. Transformation substantielle du hile ; 4. Disparition de

Figure 4.1.3 Attaque enzymatique créant des cavités à la surface des granules d'amidon. Source Juan-Tresserras 1998.

la croix d’extinction. Ces phénomènes sont observables au microscope optique avec lumière biréfringente qui facilite l’apparition des structures internes des corps mous (figure 4.1.4). La saccharification provoque l’apparition d’autres caractères : les structures cristallines se dissolvent, rendant les attaques enzymatiques plus efficaces, leur action transforme le granule en substance gélatineuse, lui donnant une forme qui rappelle une « pâte à pizza ». Une autre recette est utilisée afin de discerner l’orge fermenté de l’orge bouilli : ce dernier procédé donne des granules déformés, enflés, mais surtout avec des plis à partir du centre, ce que ne fait jamais un granule issu de la bière. Les auteurs suggèrent de chercher des granules présentant des attaques enzymatiques et une substance gélatineuse pour confirmer la preuve de brassage de la bière. Ils notent toutefois qu’une production de bière n’affecte pas tous les granules de la même

Figure 4.1.4 Granules d'amidon sous l'effet de différents modes de préparation. Source Wang et. al 2017, figure 7 :158

manière et qu’il est plus que probable de retrouver des granules présentant chaque étape de transformation dans un même brassage. En fait, il appert que seulement 57% des granules sont effectivement transformés par le processus brassicole (Wang, et al. 2017). Je veux souligner que la méthode au microscope optique avec filtres polarisés est avantageuse pour observer les transformations internes du granule — perte de la croix d’extinction —, ce que le MEB ne permet pas. Je me propose tout de même d’utiliser les caractéristiques relevées par Wang et collègues lors de mon analyse des échantillons archéologiques, parce que certaines d’entre elles — les trois premières citées précédemment — sont également visibles avec le MEB.