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Glutamine et synthèse des nucléotides

Parallèlement à la forte consommation de carbone, les signaux de croissance présents dans les cellules cancéreuses induisent également une augmentation de la demande en azote réduit. Or la glutamine, contenant deux atomes d’azote réduit, sert de principale monnaie d’échange pour le transport d’azote réduit entre les cellules chez les métazoaires. Alors que les carbones de la glutamine sont utilisés par la synthèse des acides aminés et des acides gras comme nous l’avons vu, l’azote de la glutamine contribue directement à la biosynthèse de novo des purines et des pyrimidines (Lane and Fan, 2015). L’importance de la glutamine en tant que fournisseur d’azote réduit est soulignée par le fait que des cellules cancéreuses présentant un arrêt de cycle cellulaire suite à une privation en glutamine peuvent être sauvées par l’ajout de nucléotides exogènes et

A. Normoxie B. Hypoxie/mitochondries défectueuses dans

les cellules cancéreuses

non par l’ajout d’intermédiaires du cycle du TCA tels que l’oxalo-acetate par exemple (Gaglio et al., 2009). La synthèse de nucléotides à partir de glutamine exogène marquée a d’ailleurs été observée dans des cultures ex vivo issues d’échantillons de patients atteints de NSCLC (Sellers et al., 2015). La glutamine contribue à la synthèse des nucléotides de deux manières comme nous allons le voir; d’une part, elle fournit directement les atomes d’azote nécessaires aux biosynthèses. Ainsi la synthèse de l’uracile et la thymine ne nécessite qu’une molécule de glutamine, alors que celle de la cytosine et l’adénine en requiert deux, et celle de la guanine en demande trois. D’autre part, la glutamine contribue également indirectement à la biosynthèse des purines et pyrimidines via l’aspartate (indiqué en vert sur les figures 11 et 12), qui est dérivé de la transamination de l’oxalo-acétate et du glutamate, eux-mêmes dérivés de la glutamine. Nous allons voir en détail la synthèse des purines et pyrimidines dans les deux paragraphes suivants, car nous verrons dans la partie « résultats » de cette thèse, que nos recherches nous ont menés à nous intéresser particulièrement au rôle de la glutamine dans la synthèse des nucléotides.

Synthèse des purines. (Figure 11) La synthèse des purines débute par la transformation du ribose-5-phosphate (issu du glucose-6-phosphate de la glycolyse) en 5’-phosphoribosyl 1- pyrophosphate (PRPP). A partir du PRPP, l’inosine 5’-monophosphate (IMP), précurseur des purines, est synthétisé au cours d’un processus mutli-étapes consommant deux atomes d’azotes de deux molécules de glutamine. Enfin, un troisième atome d’azote provenant de la glutamine est requis pour la synthèse de la guanosine monophosphate (GMP) à partir de l’inosine monophosphate (IMP), alors que la synthèse de l’adénosine monophosphate (AMP) ne nécessite pas de troisème atome d’azote.

Figure 11: la voie de synthèse (de novo) des purines

La synthèse des purines débute par la transformation du ribose-5-phosphate (issu du glucose-6-phosphate de la glycolyse) en 5’-phosphoribosyl 1-pyrophosphate (PRPP), par l’enzyme PRPP-synthétase (PRPPS2). A partir du PRPP, le 5-phospho-β-D-ribosylamine (5-PRA) est généré via l’enzyme phosphoribosyl pyrophosphate amidotransferase (PPAT) induisant la consommation d’une première glutamine. Une deuxième glutamine est consommée lors de la transformation du formylglycine-amide ribonucléotide (FGAR) en formylglycine-amidine ribonucléotide (FGAM). Ensuite, l’inosine 5’-monophosphate (IMP), précurseur des purines, est synthétisé au cours d’un processus mutli-étapes consommant un aspartate. Enfin, un troisième atome d’azote provenant de la glutamine est requis pour la synthèse de la guanosine monophosphate (GMP) à partir de l’IMP, alors que la synthèse de l’adénosine monophosphate (AMP) ne nécessite pas de troisème atome d’azote. Dans les cellules cancéreuses, des niveaux élevés de c-Myc induisent une augmentation de l’expression de la phosphoribosyl pyrophosphate synthetase 2 (PRPS2), et de l’inosine monophosphate deshydrogenase 1/2 (IMPDH ½). La mutation de p53, très fréquente dans les cancers, induit une dérégulation IMPDH 1/2, et la GMP synthétase (GMPS). Ces dérégulations sont matérialisées par des flèches vertes. La ribonucléotide réductase (RNR) permet la synthèse de déoxyribonucléotides à partir des ribonucléotides. Elle peut être inhibée par des antimétabolites (en rouge).

Synthèse des pyrimidines. (Figure 12) La synthèse des pyrimidines débute par la réaction de la glutamine avec du bicarbonate et deux molécules d’ATP pour donner le carbamoyl-phosphate, réaction catalysée par le complexe enzymatique CAD. Après un processus multi-étape, l’uridine 5’-monophosphate (UMP) est synthétisée, pouvant être transformée en uridine 5’-diphosphate (UDP). L’UDP peut alors être transformée en uridine 5’-triphosphate (UTP) qui sera transformée

Ribose 5-Phosphate PRPP ATP AMP PRPPS2 5-PRA GLN GLU GLN GLU Aspartate FGAR PPAT FGAM Fumarate IMP GMP GDP GTP AMP ADP ATP RNR dGDP dADP RNR XMP GLN GLU c-myc + IMPDH1/2 c-myc + GMPS P53 muté + Gemcitabine Clofarabine Cladribine Gemcitabine Clofarabine Cladribine P53 muté

en cytosine triphosphate (CTP) grâce à la consommation d’une molécule de glutamine. Cependant, l’UDP peut également être transformée en déoxyuridine 5’-monophosphate (dUMP) afin de synthétiser de la déoxythymidine monophosphate (dTMP).

Figure 12: la voie de synthèse (de novo) des pyrimidines

La synthèse des pyrimidines débute par la réaction de la glutamine avec du bicarbonate et deux molécules d’ATP pour donner le carbamoyl-phosphate, réaction catalysée par le complexe enzymatique CAD, qui contient notamment l’enzyme carbamoyl-phosphate synthétase II (CPS II). Après un processus multi-étape, l’orotidine 5’- monophosphate (OMP), est transformée en uridine 5’-monophosphate (UMP), pouvant à son tour être transformée en uridine 5’-diphosphate (UDP). L’UDP peut alors être transformée en uridine 5’-triphosphate (UTP) qui sera transformée en cytosine triphosphate (CTP) grâce à la consommation d’une molécule de glutamine. Cependant, l’UDP peut également être transformée en déoxyuridine 5’-monophosphate (dUMP) afin de synthétiser de la déoxythymidine monophosphate (dTMP).

L’activité de l’enzyme CAD, est régulée notamment par la S6 kinase dépendante de mTORC1 (mamalian target of rapamycin 1), elle même activée par la glutamine.

Les enzymes DHOH (Dihydroorotate déshydrogénase), RNR (Ribonucléotide réductase) et TS (Thymidylate synthase) peuvent être ciblées par des agents utilisés en thérapeutique (en rouge).

Cancer et dérégulation des voies de biosynthèse des nucléotides. De façon intéressante, les

altérations présentes dans les cellules cancéreuses induisent une augmentaton de l’utilisation de l’azote de la glutamine pour la production des nucléotides. Par exemple, des niveaux élevés de c-

Bicarbonate 2ATP 2ADP+pi CPS II (CAD) GLN GLU Carbamoyl phosphate Aspartate Dihydro-orotate Orotate 5-PRPP PPi OMP UMP UDP UTP RNR dUMP TS dTMP GLN GLU CTP GLN + mTORC1 + 5-FU Gemcitabine Clofarabine Cladribine DHOH Leflunomide

Myc induisent l’expression d’un bon nombre d’enzymes impliquées dans la biosynthèse des nucléotides, notamment la phosphoribosyl pyrophosphate synthetase 2 (PRPS2) permettant la synthèse du PRPP, l’inosine monophosphate deshydrogenase 1/2 (IMPDH 1/2) (Figure 11), la carbamoyl phosphate synthetase II (CPSII, faisant partie du complexe CAD) et la thymidylate synthase (TS) (confère schéma pyrimidines) (Cunningham et al., 2014; Eberhardy and Farnham, 2001; Liu et al., 2008; Mannava et al., 2008). Ainsi c-myc facilite non seulement l’internalisation de glutamine dans les cellules, mais également son utilisation pour la synthèse des purines et des pyrimidines. Les cellules cancéreuses portant une mutation de p53 présentent elles aussi une dérégulation de gènes impliqués dans la biosynthèse des nucléotides, notamment IMPDH 1/2, et la GMP synthétase (GMPS) (Kollareddy et al., 2015). Enfin, l’activité de l’enzyme CAD, impliquée dans la synthèse des pyrimidines, est régulée notamment par la S6 kinase dépendante de mTORC1 (Ben-Sahra et al., 2013; Robitaille et al., 2013). De cette manière, l’activité de CAD, dépendante de mTORC1, permet à la cellule de réguler la biosynthèse des pyrimidines en fonction du niveau intracellulaire de glutamine, étant donné que cette dernière contribue à l’activation de mTORC1 (Duran et al., 2012; Jewell et al., 2015).