• Aucun résultat trouvé

3. Ce que nous apprend l'analyse de ces réseaux:

3.1. Globlivres face à ses réseaux d'acquisition:

3. Ce que nous apprend l'analyse de ces réseaux:

La manière dont j'ai organisé la représentation des réseaux ci-avant [FIG.7] permet

d'isoler deux types de réseaux: les réseaux d'acquisition d'ouvrages et les réseaux de financement. Analyser les positions qu'a occupées Globlivres sur ces réseaux permet de concevoir le type de relations qu'elle a entretenu vis-à-vis d'autres institutions, ainsi que la façon dont elle a été définie au sein de ces interactions. C'est en recourant à ce procédé d'analyse qu'il me sera possible d'expliciter, en fin de cette partie, comment l' « interculturalité » de Globlivres a été mobilisée pour définir ses spécificités vis-à-vis d'autres institutions.

Commençons par analyser le positionnement de Globlivres sur ses réseaux d'acquisi-tion d'ouvrages, dont je simplifie ci-après la formulad'acquisi-tion en y faisant référence en tant que « réseaux d'acquisition ».

3.1. Globlivres face à ses réseaux d'acquisition:

La responsable résume ainsi, lors d'une visite, les différentes sources mobilisées pour acquérir les ouvrages de la bibliothèque:

« Pour les livres, on les trouve aux foires du livre, à Francfort et à Bologne, par exemple, on prend contact avec les éditeurs ou les personnes qui partent dans leur pays et en rapportent, ou maintenant, on les trouve sur internet. ».

Les « personnes qui partent dans leur pays » sont en fait des usagers de Globlivres

auxquels le personnel demande de profiter qu'ils soient momentanément hors de Suisse pour acheter des livres dans la langue locale. Ces sources sont complétées par quelques achats effectués localement, en librairie. Une petite partie des livres de la bibliothèque est aussi issue d'une collaboration avec des ambassades de plusieurs pays, sollicitées à l'occasion de la mise sur pied de l'une des expositions proposées par le personnel de Globlivres. J'y réfère à la FIG.8 en tant que « consulats ». Notons qu'au final, la majeure partie des institutions avec lesquelles Globlivres s'est liée pour obtenir des ouvrages se situent en dehors des frontières suisses.

FIG.8 : Cartographie des réseaux d’acquisition de Globlivres

Ces différentes sources constituent des réseaux d'acquisition convoités. Ceci notamment en ce qui concerne les institutions situées hors de la suisse, auxquelles d'autres bibliothèques suisses disent ne pas avoir facilement accès. Pendant la durée de mon terrain, deux représentantes de bibliothèques, en particulier, ont sollicité auprès de la responsable de Globlivres un accès à ces réseaux. Les bibliothèques en question sont:

- Bibliomédia, une fondation de droit public qui propose aux bibliothèques suisses

un prêt payant de stocks d'ouvrages.

Lors du week-end annuel de rencontre de l'Association Livres Sans Frontières, Suisse, l'une des représentantes de Bibliomédia demande au personnel des bibliothèques interculturelles (dont Globlivres) de partager avec elle une partie de ces réseaux d'acquisition. Ceci pour alimenter ses fonds en ouvrages de langues difficiles à trouver auprès de distributeurs suisses

- la Bibliothèque Cantonale et Universitaire du canton de Vaud (BCU):

A la suite d'un stage effectué par l'une de leurs apprenties auprès de Globlivres, l'une de ses représentantes demande conseil à la responsable de Globlivres pour

39

acquérir des ouvrages en portugais et en albanais principalement, à destination de la BCU.

Les représentantes de ces deux bibliothèques ont sollicité cet accès aux réseaux d'acquisition de Globlivres pour obtenir des ouvrages difficiles à se procurer autrement que par ces réseaux. Elles l'ont sollicité en argumentant que les sources d'acquisition de Globlivres elles-mêmes leurs étaient difficilement accessibles (surtout en ce qui concerne les « gens qui partent dans leur pays »).

3.1.1. Un statut d'intermédiarité:

Je déduis de la position de Globlivres sur ses réseaux d'acquisition que cette dernière (Globlivres) occupe un statut d' " intermédiarité " 35

par rapport aux deux bibliothèques susmentionnées. Ceci dans la mesure où nous voyons dans ce qui précède que Globlivres apparaît comme un intermédiaire pour permettre aux représentantes de Bibliomédia et de la BCU d'accéder aux ouvrages qu'elles souhaitent acquérir. Ceci me permet de rendre compte de la position de force, ou du « pouvoir » de Globlivres sur ses réseaux d'acquisition, au sens en tout cas où Vincent LEMIEUX définit ce même

« pouvoir »:

« [Le pouvoir est] le contrôle par un acteur des décisions qui concernent ses ressources ou celles d'autres acteurs » [LEMIEUX,1997, P.70].

C'est le cas de la responsable de Globlivres qui, comme nous le verrons dans le paragraphe suivant, contrôle l'accès des bibliothèques susmentionnées aux ressources d'acquisition situées hors de la Suisse.

3.1.2. Les raisons de l'octroi ou du refus d'accès aux réseaux d'acquisition:

La responsable use du « pouvoir » lié à la situation d'intermédiarité de Globlivres pour décliner la requête de Bibliomédia – dans un premier temps au moins. Je l'explique comme ceci: dans ce cas, derrière le partage de sources d'acquisition se profile le partage d'une source de financement propre à Globlivres. Au moment de l'interaction, la

35

J'emprunte le terme d' « intermédiarité » à Linton C. FREEMAN,qui l'utilisedans l'un de ses articles. Selon cet auteur, « l' " intermédiarité " d'un individu se mesure [...] par le nombre de chemins qui passent par lui » [FREEMAN Linton C. 1979. « Centrality in Social Networks: Conceptual

Clarifications ». Social Networks (Lausanne) n°1(3). pp.215-239]. Je retiens l'idée générale de sa définition (le fait qu'un individu soit « intermédiaire » du fait de la position-clef qu'il occupe au sein d'un réseau), mais laisse de côté tout aspect quantitatif.

représentante de Bibliomédia se donne pour objectif de fournir des bibliothèques publiques en ouvrages de langues « nationales », mais aussi « étrangères », en référence à des publics de « migrants » 36

. Ce faisant, elle est susceptible de priver Globlivres d’une source de financement. Globlivres tire en effet une partie de ses recettes de locations d'ouvrages à ces mêmes bibliothèques publiques, et ce, pour une offre identique.

Face à la requête de la BCU, cette fois-ci, la direction de Globlivres accepte avec enthousiasme de partager ses réseaux d'acquisition. Ceci à condition que les fonds d'ouvrages ne se recoupent pas entre les deux bibliothèques. Voici ce que la responsable propose à la représentante de la BCU:

« Ce que je pensais, c'est qu['en portugais et en albanais,] vous vous pourriez avoir vraiment des classiques universitaires, et nous des livres plus récréatifs, qui correspondent plus aux demandes de nos lecteurs. Comme ça on peut se débarrasser des classiques qu'on se sent obligés d'avoir, et arranger un prêt interbibliothèque ».

La responsable formule ce partage des ressources d'acquisition en terme de

« complémentarité ». Selon mon analyse, en s'assurant de ce que la BCU n'acquière

pas le même type de fonds que Globlivres, elle garantit le maintien des publics-cible de

Globlivres, intéressés par « des livres plus récréatifs ». De plus, en continuant à être la

seule à offrir certains types de fonds, Globlivres est extraite de toute compétition financière avec des institutions qui proposeraient le même type de services. J'élaborerai plus loin cette réflexion au point I.3.2.2., en relation avec la notion de « marché »

empruntée à Pierre BOURDIEU.

A ce stade, j'ai posé l'hypothèse que l'accès aux réseaux d'acquisition de Globlivres est accepté ou refusé en fonction du fait qu'il implique ou non un accès concurrentiel à ses réseaux de financement. Précisons donc maintenant le positionnement de Globlivres au sein de ces réseaux de financement.