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Les nouveaux symboles urbains montrent que la production de la “New Beijing” est un processus qui s’articule autour d’un répertoire d’images et d’un ensemble de flux ‘globaux’, qui implique notamment un recours de plus en plus fréquent aux global intelligence corps ; néanmoins, comme remarque King (2004 : 42) “what is seen as globalization looks very different from different points of view”, et si la ‘globalité’ semble essentiellement centrée sur

‘l’Occident’, le rôle de la diaspora chinoise en tant que producteur et de médiateur d’images est particulièrement important. Les formes du paysage bâti de Beijing sont donc aussi à interpréter dans le contexte régional asiatique, où la plupart des grandes villes expérimentent des dynamiques similaires, et choisissent de faire recours aux grands projets urbains et à la starchitecture pour exprimer leur développement et leur ‘modernité’ (King et Kusno 2000 ; Olds 1995 ; Ford 2001 ; Bunnell 1999).

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DEUXIÈMEPARTIE CONCLUSION

Malgré leur caractère ‘global’, la forme de ces éléments urbains est spécifique, car ceux-ci s’agencent dans un contexte historique, politique, social et économique déterminé :

“Cultural flows and influences never operate in an innocent or neutral way; they are invariably nuanced and affected by the conditions in which they occur, producing meanings that are dependent on the contexts”. (King et Kusno 2000 : 63)

Le contexte de Beijing est en partie déterminé par sa position particulière à la fois en tant que capitale – cœur politique et symbolique du pays – et par sa longue histoire impériale, dont l’urbanisme prestigieux est encore imprimé dans les mémoires et dans la trame urbaine, contribuant à en constituer l’identité. L’environnement bâti de Beijing porte ainsi les marques de ce statut et pendant longtemps les grands projets ont matérialisé la nécessité de symboliser le pouvoir tout en affirmant une identité locale et distincte.

Aujourd’hui, les bâtiments administratifs conservent encore ce caractère monumental et solennel qui est une réminiscence de l’urbanisme soviétique et de l’architecture nationaliste.

Les nouveaux projets destinés à former le capital symbolique urbain de la ville, produits par un ensemble de flux globaux, ne semblent par contre pas matérialiser ces marques d’identité, du moins en apparence.

Ayant en partie renoncé à la nécessité d’exprimer son identité nationale par des formes aussi superficielles que celles produites par l’architecture nationaliste, le gouvernement ne semble néanmoins pas avoir renoncé à la monumentalité et au gigantisme. Si l’on doit interpréter les nouveaux symboles urbains comme des expressions du pouvoir de l’Etat et d’une forme de nationalisme, ces valeurs semblent surtout s’exprimer dans la capacité ‘d’absorber le monde’, non seulement en reprenant le langage global de la starchitecture, mais surtout en se posant à l’avant-garde de ce même langage.

D’autre part, la question de l’identité n’est pas totalement évacuée de la problématique urbaine ; elle est, au contraire, renforcée par la globalisation. Du point de vue des dirigeants, les impératifs de la globalisation, qui stimulent la création ‘d’espaces de distinction’, offrent une occasion de concilier l’identité locale et l’internationalisation de la ville, en même temps que les intérêts politiques et économiques, grâce à la rénovation des hutong, qui sont commercialisés pour le tourisme.

Cette vision de l’Etat ne semble pourtant pas résoudre totalement la question de l’identité, ainsi que nous avons pu le percevoir dans les débats présentés plus haut. Comme résume Dovey, la globalisation provoque des tensions entre le local et le global, entre la volonté d’appartenir à une sphère particulière, celle des villes globales, et la nécessité de conserver une identité locale, où est inscrite la mémoire et l’expérience (1999 : 47); selon Dovey, ces tensions sont matérialisées dans les projets urbains : “globalization produces urban projects that have a global/local tension written into them” (1999 : 159). A Beijing, les différents projets dont nous avons discuté plus haut montrent que les tensions ne sont pas centrées uniquement autour de ces deux catégories ; en effet, la production du bâti est aussi une production de ‘modernité’, la globalisation n’étant qu’un aspect de ce vaste projet. Cette superposition d’intentions et de sens qui s’inscrivent dans le bâti est mieux capturée par les différentes temporalités dont parle Zhang, qui caractérisent la ville mais aussi l’ensemble de la société :

“the structures of time are being recast by the rapid transition from socialism to a market economy and by the change of focus from production to consumption. In the practical shift from feeding the body and earning a living, different temporalities – old and new, socialist and capitalist, global and local – have collided” (Zhang 2000 : 94)

53 Si l’environnement bâti matérialise l’ensemble de ces temporalités, les différents débats

concernant les formes architecturales sont donc aussi un moyen de questionner les transformations plus générales de la société.

NOTES

1 Tan Kexiu, Mou xiancheng de guihua 某县城的规划 (extraits), traduit par Françoise Lemoine-Minaudier, Courrier International, 2004, n.733, p.XIX

2 Malgré la décision de localiser le CBD dans l’Est de la ville, Jingrongjie a continué à se développer et à concentrer un ensemble de grandes entreprises chinoises, symbolisant ainsi l’importance des relations entre ces entreprises et le gouvernement.

3 La reproduction de formes traditionnelles pose le problème des matériaux utilisés et de l’échelle ; les architectes ont progressivement commencé à considérer ces formes reproduites comme dénuées de sens, car l’esprit traditionnel n’est pas respecté

4 A ce propos voir Olds 1997 ; dans sa description du processus de planification du CBD de Shanghai, il montre que les dirigeants s’inspirent des CBD américains, mais contrairement à ces derniers, le CBD de Shanghai est un développement soigneusement planifié et pas uniquement le résultat des dynamiques du marché

5 Les arguments qui sont exposés ici ont été discutés lors d’un Teahouse organisé par la revue Architectural Creation 建筑创作 sur le thème de l’architecture et du rôle des architectes étrangers. L’ensemble de la discussion a été publiée dans un supplément de la revue, en juin 2005.

6 Les plus grands bureaux architecturaux sont généralement des bureaux de l’état ; la profession a commencé à se privatiser il y a 15 ans seulement.

7 L’équipe est composée par une quinzaine de personnes. Je n’ai pas de données qui permettent de faire la comparaison avec la production en Suisse, mais les quelques architectes auxquels j’ai donné ce nombre de m2 ont tous été choqués !!

8 En Suisse, une architecte interpellée estime qu’il faudrait multiplier le temps de réalisation par trois

9 Il ne s’agit pas de la première fois que la nécessité de préserver le patrimoine est incluse dans les plans urbains, mais il s’agit de la première fois que son utilité est reconnue dans la création d’une nouvelle image de la ville.

La production des espaces

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