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L'attente vis-à-vis des bibliothécaires s'exprime également en termes de rencontres :

« Si la bibliothèque était un lieu sur le même modèle [qu'une librairie], pas économique mais culturel, avec des responsables de rayon bibliothèques, qu'on n'ait pas l'impression de déranger, j'irais. Je comprends aussi qu'ils ont leur philosophie de bibliothécaire, de gestion des stocks de livres. Mais je pense qu'il devrait y avoir des personnes qui développent les bibliothèques. Il faut des bibliothécaires sinon les bibliothèques ne fonctionnent plus. Mais je ne sais pas si les bibliothécaires sont formés à l'animation des bibliothèques, comme les libraires? (Laurent)

Et puis avec des bibliothécaires impliquées. Des fois on se demande si elles ont lu les livres qu'elles ont. Les relations avec les bibliothécaires c'est important. Des fois, il y a des bibliothèques quand vous demandez quelque chose, on vous dit « regardez sur les étagères ou sur l'ordi ». (Pierrette)

L'enquête du CREDOC a montré la forte corrélation entre la fréquentation des bibliothèques et le nombre de bibliothécaires de catégorie A ou B qui les font vivre. La présence de personnel formé et qualifié est mentionnée par les enquêtés comme une attente forte. La personne qui travaille à la bibliothèque est investie d'une aura de compétence et de savoir, associée à une disponibilité vis-à-vis des usagers. C'est ce qui est observé dans les locaux de la bibliothèque actuelle mais une observation réalisée dans une autre bibliothèque en dehors de Clermont-Ferrand montre comment la bonne volonté ne peut suffire à tisser un lien avec de nouveaux usagers.

Une dame d'une cinquantaine d'années s'adresse à la bibliothécaire à la borne d'accueil. « Vous avez les numéros précédents de Maison et décoration : je ne trouve pas

20 A la sortie de la médiathèque Jaude, se trouvent plusieurs cafés restaurants, tout comme il y a un snack à côté de la librairie des Volcans. Dans les deux cas, ces lieux ne semblent pas avoir de spécificité culturelle et les observations réalisées n'ont pas mis en évidence de fréquentation par les usagers. Un café ne suffirait pas en tant que tel s'il n'est pas animé.

celui d'avril, ni celui de mars ». La bibliothécaire lui répond fort aimablement : « non, désolée, je ne peux pas vous répondre. Moi je ne suis là que le week-end pour l'accueil, je ne gère pas les stocks ». (Observation réalisée en bibliothèque municipale de V.)

Le professionnalisme aurait conduit non seulement à connaître ou à consulter les stocks mais surtout à répondre à une attente en proposant éventuellement un autre support ou un autre lieu où la revue était disponible, attitude souvent observée dans les bibliothèques clermontoises mais qui nécessite une disponibilité et donc un nombre de bibliothécaires suffisant pour qu'ils soient disponibles dans les différents lieux et pour les usagers présents.

Il faut prévoir des moyens pour avoir du temps, pour passer du temps. Le bibliothécaire doit pouvoir prendre le temps de discuter avec les associatifs, les habitants, de participer, d'animer et que ce soit considéré comme du travail. (Christophe)

Sur la gestion du lieu, l'expérience du café lecture Les Augustes, racontée par un des fondateurs, est intéressante même si elle est différente de celle d'une bibliothèque.

« C'est une histoire d'équilibre et de temps passé pour maintenir cet équilibre. Il y a dans le règlement du café des principes de respect de certaines règles. Par exemple, les témoins de Jéhovah nous proposent de mettre leurs publications et ce n'est pas possible. Ou la scientologie qui dépose en cachette ses livres sur nos étagères, on en retrouve régulièrement qu'il faut enlever. On a eu un long débat à propos du racisme. Et on a décidé que si des individus parlaient entre eux sans que cela ne dépasse leur discussion en tenant des propos racistes que l'on entendait en venant par exemple prendre une commande ou en passant, on n'intervenait pas. C'était de l'ordre de la vie privée. En revanche, s'ils parlaient fort, on intervenait. On en revient au suivi. Dans le cadre du café lecture, le temps d'échange et de formation des bénévoles est important. Cela ne passe pas forcément par des réunions. Tous les bénévoles participent à la gestion du café. Si je ne suis pas ici au comptoir, régulièrement pour servir le café, faire la plonge, etc. je ne sais pas ce qui se passe dans le café, je ne peux pas continuer à l'animer ».

« Par exemple, on a eu une proposition de club de tricot. Sur le coup, certains ça les a fait tiquer : c'est pas trop féministe etc. Et finalement c'est des jeunes nanas qui ont la pêche, qui font ça et ça permet de discuter d'autre chose. Les villepinistes sont venus nous proposer un café sur un thème en rapport avec la campagne électorale. On a dit pourquoi pas ? Du coup la ville nous fait la gueule. Ça se sait par des petits mots, quelqu'un qui nous dit « tu sais, moi je te dis ça comme ça, mais vous devriez faire attention ». (…)

« C'est un peu une bataille contre chaque groupe social ou d'âge car ils ont tendance à s'approprier le lieu, à vouloir que ce soit leur lieu. Des fois, il faut reprendre ceux qui se croient chez eux, qui posent leurs affaires sur une table, leur veste sur une autre, ouvrent un livre, vont boire un demi ailleurs. Il y a un vieux, il vient avec ses biscuits bio, il ne consomme pas, lit. Pas de problème, sauf quand il commence à râler que les autres font du bruit... »(...)

« Une fois par mois par exemple, les bibliothèques pour tous proposent les nouveautés. Il faut prévoir l'organisation de la journée pour rompre avec ce style en passant juste après à

autre chose. Ou avec le club de poésie, juste après on met de la salsa. Pour que ça ne s'installe pas dans un seul style. Parce que sur certaines activités, il y a d'un seul coup 20 ou 30 personnes. Et il faut laisser de la place aux autres. Que cela reste intergénérationnel. Le travail de permanent, c'est un vrai travail. C'est pareil pour les écrits. Il y en a qui veulent en mettre partout, couvrir avec leurs affiches. Il faut leur dire non, vous ne vous appropriez pas ce lieu, vous mettez une affiche. »

La gestion du lieu est donc une affaire d'expérience, d'écoute, de présence mais aussi d'organisation du temps, de l'espace, des animations de manière à ce que chaque groupe ou cercle social puisse se l'approprier sans pour autant en exproprier les autres. Ce sont donc bien les bibliothécaires qui en sont les garants et c'est leur professionnalisme, leur connaissance des supports, des collections, du fonctionnement mais aussi des usagers qui leur confèrent la légitimité de gérer le lieu.

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