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4 Méthodologie

4.4 Codage qualitatif multimodal de l’expression

4.4.2 La représentation par esquisse

4.4.3.3 Gestes iconiques

Dans la famille des gestes communément dits représentationnels, ceux à dominante iconique sont les plus fréquemment rencontrés. En partant des réflexions de Peirce (1902) en sémiotique comme point de départ de notre regard sur le caractère représentationnel des gestes co-discours, nous pouvons réaliser un premier cadrage de l’iconicité qui nous mène à considérer les expressions gestuelles possédant des qualités analogues au contenu du discours co-occurrent, à l’objet représenté, et qui suscitent, au niveau cognitif des personnes qui en sont témoins, des expériences sensibles similaires à celles que susciteraient les références originelles de l’imagé. Bien que nous retrouvons dans cette correspondance un certain degré d’isomorphisme (Kita, 2000), elle n’est pas pour autant complètement homologique ; elle se moule plutôt dans une ambiguïté qui rappelle les traits du dessin d’esquisse où les proportions et relations sont soumises à une refonte subjective. Les gestes où le caractère iconique prime « ne font pas que simplement “représenter” la [scène, son mouvement ou sa] géométrie, mais sont le résultat d’une perspective subjective sur ces caractéristiques » [t. l.] (Mittelberg, 2014, p. 1716). Tel un filtre, cette saisie nous met face à une formulation gestuelle qui s’éloigne d’un inventaire exhaustif des qualités de l’objet pour dorénavant ne distiller que certains aspects avec une saillance particulière (Mittelberg, 2014, p. 1719; Mittelberg et Evola, 2014).

Nous avons déjà noté que tout au long de nos observations nous gardons à l’esprit de concevoir la caractérisation des gestes selon un principe de dimensions pondérées, bien que notre approche nous mène à ne prendre en compte que la dimension jugée dominante dans nos observations. Pour que cet éventail descriptif où figure l’iconicité nous guide dans l’identification et la distinction des instances de gestes représentationnels, la précision de différents degrés ou différentes sortes d’iconicité s’impose. À ce sujet, Peirce invite à

cataloguer les icônes selon trois variantes principales : les images, les diagrammes, et les métaphores (Mittelberg, 2014). Alors que l’iconicité d’image renvoie à la représentation de caractéristiques simples de l’objet, décelables « au premier niveau », l’iconicité de diagramme est celle issue d’une schématisation que le gesticulant incarne à travers des membres de son corps et qui « fait ressortir des structures internes d’une gestalt en surlignant les jointures entre ses parties ou le comment de leur articulation. » [t. l.] (Mittelberg, 2014, p. 1724) Le dernier type englobe quant à lui des cas représentationnels particuliers vu la relation possible avec le contenu du discours, ce pourquoi nous le développerons plus en détail dans sa propre section portant sur les gestes métaphoriques (traité en 4.4.3.4).

4.4.3.3.1 Modes de représentation

Les icônes produites par de telles traductions spatio-visuelles peuvent être façonnées selon des techniques de représentation ou des modes distinctifs qui s’immiscent eux aussi parmi les facteurs témoignant de l’appréhension perceptive particulière dans la cognition du gesticulant, « d’une orientation envers des facettes spécifiques de l’objet perçu et conçu » [t. l.] (Müller, 2014, p. 1691) en accord avec les affordances situationnelles de l’activité. Passant en revue les travaux qui se penchent sur l’élaboration de typologies encadrant les techniques de représentation, Kendon (2004, p. 160) note un ensemble de trois modes récurrents qui sont à même de rendre compte de tous les traits de gestes iconiques que nous observerons : modeler (« modelling »), simuler (« enactment » ou pantomime), et imager (« depiction »). Par modeler, on entend l’utilisation d’une partie du corps afin d’incarner, de substituer un élément de l’image. Par exemple, une personne pourrait former un poing fermé avec sa main pour désigner une automobile dans la scène qu’il explique ou encore une main tendue ouverte avec la paume qui évoque un écran numérique. Simuler englobe toute mise en scène de membres du corps dans une chorégraphie ressemblant à une routine évoquée par l’affilié lexical du geste. Un participant de l’activité qui mime prendre un câble suspendu dans les airs, ouvrir une porte de voiture, ou encore esquiver un obstacle avec ses jambes sont tous des cas considérés comme des simulations. Imager revient à suggérer la présence d’un élément, généralement en sculptant ses limites perçues ou sa surface de contour.

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En s’appuyant plus spécifiquement sur les diverses formes de média et sur les techniques employées en art visuel, il est possible de détailler cet ensemble et en réviser la nomenclature. Quatre modes se distinguent ainsi, faisant chacun ressortir différentes caractéristiques de l’objet et de son expérience incarnée dans l’esprit du locuteur. À ce titre, Müller (2014) maintient toujours les divisions entre modeler (traduction que nous conserverons au nom d’une continuité avec la classification précédente et pour éviter toute ambiguïté introduite par « representing ») et simuler, mais développe imager en mouler (« molding ») et dessiner (« drawing »). Ainsi, nous dirons qu’une personne moule lorsqu’elle semble tâter ou façonner, souvent avec l’intérieur de la main, la surface de l’objet évoqué et qu’elle dessine lorsqu’elle en trace un contour ou une trajectoire à l’aide d’un membre pointant. Notons qu’un geste iconique dont la formulation est issue du mode dessiner se distingue d’un geste déictique en ce que c’est l’image imprimée à travers le tracé imaginaire qui se situe aux fondements de son sens, et non l’unique localisation d’attention désigné par le membre gesticulant. Malgré que ce type de représentation procure dans bien des cas un excellent exemple de la manière dont les gestes iconiques peuvent eux aussi comporter un fort caractère déictique, nous postulons que ce caractère n’est pas celui qui prime dans la fonction du geste, dans la construction de l’image. Le codage particulier aux gestes iconiques non-métaphoriques se fera donc en annexant aux segments l’étiquette « iconique » et un des quatre modes de représentation susmentionné. Cette étape d’analyse nous aidera aussi dans notre séparation des différents gestes à l’intérieur d’une séquence qui pourrait autrement sembler continue.

4.4.3.3.2 Une révélation fortuite du pré-réfléchi

Nous avons déjà souligné que, dès sa phase préparatoire, l’initiation d’un geste nous indique l’émergence expérientielle de son objet désormais en maturation dans l’esprit du concepteur (McNeill, 2005, p. 31). Or, au-delà de cet indicateur temporel, l’alignement précis du geste- qui-illustre par rapport au discours co-occurrent pourrait nous aider à déterminer le caractère de l’appréhension cognitive de l’objet par le gesticulant. De manière générale, les gestes co- discours se synchronisent avec ou précèdent l’énonciation verbale de leur affilié lexical avec une différence moyenne inférieure à une seconde (Beattie, 2016, p. 64; McNeill, 1992; Morrel-Samuels et Krauss, 1992). Ce qui est encore plus intéressant dans le cadre de notre étude est la signification accordée à cette micro-synchronisation ou son absence dans le cas

des gestes iconiques : elle serait en mesure de marquer une différence entre les gestes spontanés employés inconsciemment et ceux formulés de manière délibérative qui se présentent avec un retard, aussi faible soit-il, sur l’expression orale de l’image (Beattie, 2004, p. 69, 2016). Prenant pour appui l’observation minutieuse de cette relation temporelle, nous avons donc inclus dans notre codage une distinction entre les occurrences identifiées comme spontanées, qui précèdent de peu (environ une seconde) ou se synchronisent avec l’énonciation verbale de l’affilié lexical, et les occurrences différées, qui présentent un retard. Assumant que les compositions spontanées débutent avant même que la pensée à verbaliser surgisse dans la conscience du locuteur (Beattie, 2016), nous avançons que ces gestes offrent une plateforme pour sonder la dimension pré-réfléchie de la cognition des designers à travers l’observation indirecte de l’activité de collaboration.