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La gestation du don et du contre don : une zone grise

B. Les pratiques de la gestation pour autrui : les pratiques problématiques, les

B.2 La gestation du don et du contre don : une zone grise

Les débats houleux dont la gestation pour autrui est le sujet sont souvent très tranchés et présentent des arguments pour ou contre convaincants. Cependant, la réalité de la gestation pour autrui est beaucoup plus complexe et ne ressort pas du tout blanc ou tout noir. Même si des récits idylliques ou au contraire catastrophiques de gestation pour autrui sont relatés, la plupart des histoires mêlent des émotions, relations et considérations qui ne sont pas toujours limpides et assumées. La maternité de substitution est donc la plupart du temps tout à fait humaine : pleine d’enjeux et de complexité.

Entre les meilleures pratiques et celles dangereuses pour la construction identitaire de l’enfant, se trouve une zone d’ambigüité, où les pratiques sont faites dans le respect des protagonistes et des droits de l’enfant, mais dont le principe reste tout de même celui de la transaction. Ce sont potentiellement les situations où les accords de maternité de substitution commerciale sont autorisés et encadrés (comme par exemple aux Etats-Unis). Cette illustration théorique représente des accords et des réalités vécues (Lanson [film documentaire], 2013) mais nécessite, du fait de son ambivalence, une réflexion sociétale.

L’ambivalence de cette situation vient du fait de sa localisation au croisement des deux échelles ; éthique et psychologique. Sur l’échelle psychologique, les conditions regroupées sont potentiellement positives pour la construction identitaire de l’enfant :

- de bonnes relations entre les parents d’intention et la mère porteuse, basées sur une entente mutuelle et un respect du rôle de chacun dans un projet parental commun.

- l’investissement des parents d’intention dans la grossesse, ce qui témoigne de leur intérêt pour l’enfant et qui permettra un récit riche pour resituer l’enfant dans sa vie prénatale.

- un lien avec la mère porteuse qui perdure après la naissance. - des informations génétiques connues et transmises à l’enfant.

- une ouverture au dialogue avec l’enfant sur les conditions de sa venue au monde.

Cependant, le principe sur lequel cet accord et ces bonnes relations reposent est celui de la transaction, qui, comme nous l’avons vu, implique la définition de la gestation pour autrui comme une vente d’enfant. En effet, sans cette dimension marchande, l’accord ne se serait pas fait et l’enfant ne serait pas né ou ce serait une maternité de substitution altruiste.

Il est frappant de constater que dans de nombreuses études questionnant des mères porteuses américaines sur leurs motivations, beaucoup d’entre elles n’ont pas cité la motivation monétaire comme primordiale (Ragoné, 1996, p.354) et percevaient leur geste comme un cadeau offert aux parents d’intention, même si la transaction est indéniable.

Les individus dépassent au niveau psychologique cette dimension monétaire contraire à l’éthique. En orientant la perception de la maternité de substitution vers un échange considéré comme un don et un contre don, il est possible de dépasser cette logique monétaire en basculant vers une logique relationnelle. Le critère essentiel à un tel basculement est le maintien du lien entre la mère porteuse et l’enfant. Si le lien est conservé, cela veut dire que les relations établies pendant la gestation pour autrui dépassent la commercialisation et ne se situent pas dans le

simple échange limité dans le temps. La place et l’importance de la mère porteuse sont reconnues ainsi que le fait qu’elle sera toujours la femme qui a donné la vie à l’enfant. La conservation de ce lien permet aussi d’éviter l’abandon de l’enfant. Si les individus posent ce regard sur la maternité de substitution et si la relation de filiation biologique perdure entre la mère et l’enfant, alors la maternité de substitution pourra être perçue de manière positive et constructive. Le dépassement de la dimension monétaire à travers le maintien de la relation est ce qui permettra de rendre cette pratique psychologiquement favorable pour l’enfant qui est né de maternité de substitution commerciale et de ne pas entraver sa construction identitaire.

Pour que cette conception du don et du contre don fasse sens, il faut alors que tous les protagonistes soient dans cette logique, y compris les sociétés intermédiaires qui doivent se positionner dans une logique d’accompagnement des parents d’intention et de la mère porteuse et non dans une logique marchande où le but est de faire du profit. Pour ce faire, il est nécessaire que la gestation pour autrui du don et du contre don soit fermement encadrée de la part de l’Etat et qu’il y ait un réel suivi des pratiques afin de ne pas retomber dans la gestation pour autrui commerciale où l’enfant est considéré comme un objet de transaction.

Cette situation se trouve donc dans une zone grise puisqu’elle se situe à la croisée de deux points de vue différents. En restant dans l’optique du droit de l’enfant à la préservation de son identité, elle peut être considérée comme favorable du point de vue psychologique mais inacceptable du point de vue éthique, la transaction commerciale ne respectant pas la dignité de l’enfant. La dimension financière est contrebalancée par des considérations psychologiques positives et constructives. Elle n’est pas annulée mais elle est resituée dans un contexte plus large. Cette zone grise appelle donc à un débat épineux puisqu’elle oppose le principe contraire à l’éthique qui est le fait d’échanger une somme d’argent pour un enfant, au fait que sans cette rémunération, nombre de mères porteuses ne se seraient pas engagées dans ce projet. Même dans des circonstances favorables pour son développement, l’enfant ne serait jamais venu au monde. C’est donc à la société de se positionner et de légiférer selon la conception choisie.