genre qui éternellement se cherche, s'analyse, reconsidère toutes ses formes acquises.
691». En
tant que « seul genre en devenir, et encore inachevé
692», le roman est une référence
importante dans la mise en forme autobiographique au théâtre, qui recherche la liberté de
montrer un parcours qui ne se pense plus uniquement en terme de schéma actanciel mais aussi
en termes de combinaisons d'expériences, d'informations, de rêveries où tout peut se mêler et
se réorganiser de toutes les manières possibles.
Jacques Copeau déplorait que le théâtre se déforme en s'enflant des procédés du roman qui
le contaminent. On peut donc se demander si ce « paradoxe de l'hybridation
693» qui voit le
théâtre contemporain s'engager progressivement dans cette « voie impure
694» n'est pas, pour
une bonne partie, une résultante du goût de plus en plus prononcé des auteurs dramatiques à
recourir au genre autobiographique qui mène ces derniers à penser « La Vie comme un
roman
695» comme le note Jean-Luc Lagarce dans son Journal. Mais il faut également préciser
que l'influence du roman ne se limite pas à la forme et joue aussi en faveur des directions
qu'elle donne à l’œuvre. L'autobiographie théâtrale de Philippe Caubère illustre l'étendue de
l'influence romanesque sur sa démarche jusque dans le titre d'une de ses manifestations, Le
Roman d'un acteur. Avec ce titre, Caubère s'incline devant ceux qui l'ont influencé,
principalement Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline. Dès le début de son projet, l'acteur
fait référence au modèle romanesque en exprimant la volonté de faire un « grand roman de
théâtre (…) où les personnages et situations, sortis directement de la mémoire du comédien
seraient réincarnés, là, devant nous, au présent.
696». Le regard de Caubère qui fait effraction
dans la vie de la troupe du Soleil ainsi que sa solitude dans ses spectacles rappellent donc la
présence tutélaire et omnisciente de l'auteur.
Dans la structure, on peut préciser que les pièces de Caubère sont divisées comme les
chapitres d'un livre et que ces derniers sont titrés. Les didascalies sont très nombreuses, elles
indiquent les comportements, les intentions vocales, les actions accomplies, les déplacements
effectués, les lieux dans lesquels se passent les situations ce qui permet au lecteur de suivre
l’œuvre comme s'il s'agissait d'un roman c'est-à-dire en visualisant chaque partie de cet
univers recréé méticuleusement. On note aussi l'influence des différents genres romanesques
dans la trame, principalement le roman picaresque. Le roman picaresque, qui peut se
composer sur le mode autobiographique, met en jeu un héros miséreux, plus généralement des
691
Mikhaïl BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978, p. 472.
692
Ibid., p. 441.
693
Jean-Pierre SARRAZAC, L'Avenir du drame, Belfort, Circé/poche, 1999, p. 42.
694
Ibid., p. 38.
695
Jean-Luc LAGARCE, Journal (1990-1995), Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 2008, p. 299.
jeunes gens vivant en marge de la société et parfois à ses dépens. Les aventures extravagantes
qu'ils vivent, qui les rendent nettement différents des honnêtes gens, sont autant de prétextes à
présenter des tableaux de la vie vulgaire et des scènes de mœurs, le héros entre en contact
avec toutes les couches de la société. Comme Jean-Jacques Rousseau dans Les Confessions,
l'influence picaresque se fait sentir à travers le personnage de Ferdinand, héros sans gloire, qui
voyage à la faveur des déplacements de la troupe et fréquente des personnes, des milieux, des
types sociaux différents. Au roman picaresque s'adjoint le roman d'aventures, à la fois
souvenir autobiographique (quand il jouait à Moby Dick dans le jardin de son enfance suite
aux récits de sa mère) et influence claire quant à la construction des pièces qui ont une
dimension métaphorique, Ariane Mnouchkine y apparaissant comme une variante du capitaine
Achab, embarqué sur un bateau qui est la troupe et poursuivant un rêve qui est la création.
Par conséquent, on a vu que la mise en forme du drame autobiographique, dans ses
articulations, bénéficie d'un rapprochement entre les formes théâtrale et romanesque. Ce
rapprochement s'est effectué en deux étapes. C'est d'abord par l'intermédiaire de Diderot que
théâtre et roman se sont rapprochés, avec pour conséquence plusieurs vertus qui agissent dans
notre problématique. L'auteur met en valeur sa présence dans le texte de sa pièce par le biais
du discours didascalique qui devient de plus en plus narratif, l'expérience théâtrale est
assimilée à celle de la lecture à travers la représentation intime (Restif assistant au spectacle
de sa vie dans l'appartement de son ami). Ensuite, avec l'assouplissement des règles du roman
à la fin du XIX e siècle (une forme de mort du roman), celui-ci va constituer un modèle de
liberté pour les auteurs dramatiques qui vont exploiter d'autres genres et registres (épique,
lyrique, picaresque) dans la constitution d'une trame qui ne saurait se satisfaire des seules
contraintes du discours théâtral, les auteurs cherchant à rendre perceptibles toutes les
variations, émotions, rebondissements qui constituent le fait de vivre, que ce soit dans une
pièce dite autobiographique (Caubère) ou dans une fiction aux forts relents autobiographiques
(Strindberg mais aussi Lagarce et Duras, cette dernière se situe dans la même perspective
notamment par l'écriture didascalique qui vise à faire entendre sa voix dans L’Éden cinéma).
Il faut aussi noter que, si le roman devient un modèle au XVIII e siècle, c'est parce qu'il
permet de véhiculer un nouveau discours sur l'individu qui va entrer en compte dans l'écriture
des drames à caractère autobiographique.
Dans le document
L'existence d'une expression autobiographique au théâtre : la présence émouvante de l'auteur dramatique dans son oeuvre
(Page 175-178)