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Genèse de la problématique de recherche

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 26-32)

différents champs de recherche sur un terrain complexe et incertain

A. Genèse de la problématique de recherche

Dans cette section, nous allons exposer la demande initiale de PSA qui a été à l’origine de ce travail de thèse. Nous montrerons comment celle-ci rejoint des préoccupations académiques et nous présenterons la première formulation que nous avons réalisée de la question de recherche. Puis nous expliquerons comment cette dernière a évolué et a intégré la question de la coordination. Cette évolution est en soi intéressante, nous semble-t-il, car elle est révélatrice de certaines problématiques internes du Groupe PSA, ce qui nous pousse à élargir le cadre de réflexion et d’action.

1. La demande du contrôle de gestion R&D de PSA : comment piloter la création de valeur en R&D ?

Chez PSA, un indicateur de mesure de la performance R&D a été développé et mis en place mi-2011 par le service de contrôle de gestion de la R&D, appelé aujourd’hui Direction Pilotage Economique de l’Amont technico industriel (DPEA)9. Cet indicateur, dénommé

« KPI performance (€/EVD) », permet de rapporter les dépenses R&D (€) à un niveau d’activité exprimé en Equivalent Véhicule Développé (EVD)10. Cet indicateur a connu un grand succès dans l’entreprise attesté par une diffusion large auprès des acteurs de PSA et par son intégration comme un indicateur clé dans le tableau de bord du directeur de la R&D lui permettant de suivre et de justifier sa participation à la performance globale du groupe. Toutefois, les limites de cet indicateur ont vite été atteintes : nous pouvons citer, par exemple, sa non-adaptation pour un pilotage effectif car il est non déclinable au niveau opérationnel11, et ses effets pervers sur l’innovation12. De plus, le directeur de la R&D de l’époque trouvait que l’indicateur de performance ne donnait pas une visibilité sur la vraie création de valeur de la R&D. De fait, l’indicateur permet uniquement de mesurer le niveau d’activité (nombre de produits développés) pour un montant de dépenses R&D.

L’indicateur ne permet pas de savoir, par exemple, si les produits développés ont connu un succès sur le marché ou s’ils ont introduit ou permis de maturer une technologie clé.

9 Anciennement dénommée Pilotage Economique et Contrôle de Gestion R&D (PGES).

10Chaque produit (véhicule, moteur, base, etc.) est associé à un pourcentage d’EVD. Par exemple, une silhouette simple correspond à 1 EVD.

11Les données servant à leur mesure n’existent pas au niveau opérationnel ou présentent des limites pouvant affecter l’exactitude des résultats du KPI.

12L’innovation n’est pas prise en compte dans les EVD, l’innovation n’est donc pas considérée comme un produit de la R&D dans l’indicateur, mais uniquement comme une dépense.

25 Une réflexion mandatée par le directeur de la R&D de l’époque a donc été lancée au service de contrôle de gestion central de la DRD pour tenter de développer une méthode de pilotage de la création de valeur de la R&D. Cette direction a souhaité s’appuyer sur un travail de recherche, et nous a recrutée pour le réaliser dans le cadre d’une convention CIFRE.

2. Problématique de recherche : quelle méthode de pilotage fondée sur le triptyque Valeur Risques Opportunités peut contribuer à la coordination des acteurs dans un processus de conception ?

Après les premières rencontres avec les contrôleurs de gestion R&D de PSA, nous avons analysé leur besoin industriel et, en le confrontant aux développements théoriques sur le pilotage de la conception, nous avons formulé les constats et les questionnements suivants.

Premièrement, nous avons constaté que le service de contrôle de gestion R&D de PSA est depuis longtemps focalisé sur le suivi budgétaire en raison des missions qui lui sont affectées13. Ce constat s’illustre par une prédominance de la dimension financière, appelée économique chez PSA, et plus particulièrement de la vision dépenses et du contrôle des réalisations a posteriori. Ceci peut s’expliquer par le fait que les entreprises ont tendance généralement à redécouvrir en période de crise, ce qui est le cas de PSA, la gestion des coûts (Kuszla, Nevries, & Wömpener, 2010) ; mais la période sur laquelle s’inscrit la thèse semble correspondre moins, chez PSA, à une crise liée à des surcoûts en R&D (forte pression de réduction de coûts de développement et des coûts prévisionnels de fabrication), qu’à une crise profonde de « compétitivité » des véhicules PSA. Dans un tel contexte, le service contrôle de gestion R&D a pris conscience qu’il ne peut se limiter à un simple contrôle a posteriori des coûts et des masses budgétaires. Il souhaite donc piloter (plutôt que de se limiter à la mesure a posteriori) la création de valeur multidimensionnelle (et non les dépenses uniquement) de la R&D. Le développement du

« KPI performance » est considéré comme un premier pas dans ce sens, dans la mesure où il permet de justifier la création de valeur de la R&D en termes de produits développés.

13 Missions du service DRD/PGES (Lettre de mission interne du service PGES) :

- assurer une vision globale des dépenses de la R&D Monde sur les deux axes (métier et projet) - piloter et contrôler la tenue des objectifs économiques

- animer et améliorer la performance économique et la mesurer.

26 Toutefois, la création de valeur en conception selon de nombreux auteurs (Groen, de Weerd-Nederhof, Kerssens-van Drongelen, Badoux, & Olthuis, 2002; Hooge, 2010;

Maniak, 2010; Maniak et al., 2014) ne se limite pas à la rentabilité économique et aux produits. Il faut ouvrir le périmètre du pilotage aux autres dimensions de valeur comme : les savoirs, les compétences, les technologies, le respect de l’environnement et de la société. La question qui se pose à ce niveau est ainsi : Comment le contrôle de gestion pourrait-il participer au pilotage de la création de valeur multidimensionnelle du processus de conception ?

Deuxièmement, dans une logique de pilotage, qui suppose plus d’alertes à donner, plus de moyens d’aide à la décision et une moindre focalisation sur une simple mesure de performance et de reporting, s’intéresser uniquement à la création de valeur nous a paru incomplet. Surtout qu’en conception, milieu caractérisé par de nombreuses incertitudes, comme nous allons le voir, le suivi des aléas ne peut être ignoré dans le pilotage de ce processus. Chez PSA, comme nous allons le montrer plus loin, nous avons constaté que le processus de pilotage de projet et celui de la gestion des risques coexistent mais ne sont pas systématiquement connectés, et surtout pas à travers une démarche formalisée. Nous avons également constaté que la gestion des risques n’intègre pas suffisamment la notion d’opportunités. Or cette notion nous paraît clé dans un milieu de créativité et d’innovation. Les questions formulées à cette étape sont les suivantes : Comment intégrer plus fortement la notion d’opportunités ? Comment associer un pilotage de la création de valeur et une gestion des risques et des opportunités ? Et comment les articuler dans un système de pilotage ?

Ces éléments nous ont amenée à une première formulation de la question de recherche comme suit :

« Comment le contrôle de gestion peut-il participer au pilotage de la création de valeur multidimensionnelle et à la gestion des risques et des opportunités en conception ? » Une étude terrain exploratoire, réalisée dans le but de comprendre les mécanismes de création de valeur et ceux de la gestion des risques et des opportunités dans le processus de conception chez PSA, nous a permis de constater assez rapidement que14 :

14 Nous reverrons ces différents points dans le chapitre B de la partie 1 qui comporte une présentation et analyse plus détaillée de ces problèmes de coordination.

27 - les acteurs du processus ont des perceptions assez différentes de la création de valeur, variant d’une spécialité (finance, qualité, commercial, etc.) à l’autre. La dimension financière, appelée économique chez PSA, et celle du produit sont les plus dominantes15 - la divergence des objectifs et des visions des acteurs génère assez souvent des

défaillances : remises en cause tardives de certains choix dans les projets, problèmes d’intégration des composantes du véhicule, etc.

- il existe une multitude d’outils et de bases de données qui s’ignorent, se recouvrent, voire se concurrencent.

- le fonctionnement en « silos », avec un éclatement des méthodes de pilotage par domaine, donne a prioril’impression d’un manque de cohérence globale.

Notre première analyse de ces constats nous a amenée à considérer que nous ne pouvons pas mettre en place de manière simple une méthode de pilotage de la création de valeur multidimensionnelle alors que les acteurs concernés ont des conceptions divergentes ou incomplètes, et des modes de fonctionnement peu articulés. Nous avions conclu, au départ, qu’il faudrait commencer par traiter cette question en mettant en place des référentiels assurant des représentations partagées de la valeur, des risques et des opportunités en conception automobile. L’objectif était donc d’assurer d’abord l’alignement des acteurs16de la conception pour qu’ils aient la même vision de l’objectif, et ensuite de construire une méthode de pilotage adaptée, dans la plus pure traduction cybernétique du contrôle dit « Diagnostique » (Simons, 1995). Cependant, nous avons rapidement compris qu’en fait, dans le processus de conception, les visions et les objectifs des acteurs sont par essence divergents, car ces acteurs appartiennent à des métiers variés et travaillent sur une cible floue et des objectifs qui ne sont pas figés. La maîtrise de cette situation n’est certainement pas possible en alignant les acteurs ; elle relève plus d’un contrôle de type interactif donnant plus d’intérêt aux interactions directes entre les acteurs (Simons, 1995). Au contraire, le fait d’essayer d’aligner les représentations des acteurs et/ou de les refermer dans des objectifs précis risquerait, comme nous allons voir, de brider leur créativité et leur potentiel de réactivité face aux aléas. Il faudrait donc plutôt pousser les acteurs à se coordonner, ce qui signifie travailler harmonieusement ensemble, malgré les objectifs contradictoires (Malone & Crowston, 1990). La question de

15 8 sur 14 acteurs interviewés sur ce point se sont référés dans leur définition de la création de la valeur au domaine financier et 5 sur 14 acteurs interviewés à la valeur pour le client.

16Cela signifie d’abord d’amener les acteurs à avoir les mêmes représentations puis les pousser à atteindre les objectifs prédéfinis.

28 l’alignement a donc vite été abandonnée en faveur de celle de la coordination. Celle-ci est d’ailleurs une problématique que nous retrouvons dans presque toutes les organisations caractérisées par un découpage en silos (Moisdon, 1984), comme c’est le cas de notre terrain d’étude.

Par ailleurs, nous avons également préféré remplacer la notion de gestion des risques et des opportunités par celle des arbitrages risques/opportunités. Celle-ci permet de mieux rendre compte des liens complexes entre les évènements incertains. A ce titre, nous allons voir que certains risques, par exemple, peuvent être acceptés parce qu’ils permettent de générer d’importantes opportunités, ou inversement que certaines opportunités peuvent être non exploitées car elles génèrent trop de risques17.

La question de la coordination des acteurs, dont l’importance s’est révélée en cours de thèse, et celle des arbitrages risques/opportunités se révélant importantes, une reformulation de la problématique de la thèse s’est avérée nécessaire. La problématique de la thèse est donc devenue la suivante :

« Quelle méthode de pilotage de la création de valeur multidimensionnelle, intégrant un des arbitrages risques/opportunités, contribue à la coordination des acteurs dans un processus de conception incertain et complexe ? ».

Nous rajoutons donc à la question, plutôt technique, de développement et de mise en œuvre d’une méthode de pilotage une question d’ordre organisationnel : celle de la coordination des acteurs. Cela permet de tenir compte de la dimension humaine et collaborative, qui est considérée comme essentielle pour le développement d’outils de gestion efficaces (Malone & Crowston, 1990; Pol et al., 2005). D’un autre côté, le processus heuristique à l’œuvre lors de la co-construction de la méthode de pilotage pourrait en lui-même participer à l’amélioration de la coordination des acteurs.

Enfin, puisqu’il s’agit d’une thèse CIFRE18, nous devons a minima préparer la transposition sur le terrain PSA des éléments que nous avons développés sur une base théorique. Cela veut dire que nous devons poser les premières bases pour un futur déploiement complet ou partiel. Face à une situation mêlant incertitude, complexité et manque de coordination, le déploiement de notre méthode de pilotage (et en particulier d’un système qui en lui

17 Cf. partie 1/chapitre A-3 sur l’articulation théorique, page 179.

18 Convention Industrielle de Formation par la Recherche. Ce dispositif, qui implique une part au moins d’application, sera expliqué dans la partie de la méthodologie en introduction.

29 même est complexe) nécessite de s’appuyer considérablement sur les méthodologies et les conseils des travaux sur la mise en œuvre des outils de gestion (Gilbert, 1998; Hatchuel

& Moisdon, 1993; J. C. Moisdon, 1997) et plus particulièrement des innovations managériales (David, 1996) et des Concepts Modèles Outils (CMO) (Fort, 1999, 2006).

3. Questions de recherche

Afin de répondre à notre problématique de recherche et compte tenu de ce qui précède, nous avons décomposé la question de recherche en plusieurs sous-questions :

1- Une méthode de pilotage associant valeur, risques et opportunités est-elle pertinente dans un processus de conception complexe et incertain et pourquoi ?

2- Comment, conceptuellement, une méthode de pilotage pourrait-elle articuler les concepts de Valeur, Risques et Opportunités?

3- Comment cette méthode de pilotage articulant Valeur Risques Opportunités pourrait-elle participer à la coordination des acteurs dans un processus de conception automobile ?

4- Quelle fonction de contrôle de gestion peut assurer la mise en œuvre et l’animation de notre méthode articulant Valeur Risques Opportunités ?

Ces quatre premières questions nous conduiront à élaborer le modèle théorique de pilotage Valeur Risques Opportunités.

5- Est-ce que cette méthode de pilotage articulant Valeur Risques Opportunités est techniquement faisable ?

6- Quelle ingénierie de mise en œuvre de notre méthode de pilotage articulant Valeur Risques Opportunités faut-il développer ?

7- Quelles sont les conclusions à tirer de la mise en œuvre d’une telle méthode de pilotage pour le contrôle du processus de conception?

Ces trois dernières questions nous feront vérifier d’une partla faisabilité d’une mise en œuvre pratique sur notre terrain et d’autre part notre aptitude à insérer notre méthode dans le fonctionnement existant du processus de conception de PSA et enfin la capacité de notre méthode à répondre aux enjeux concrets de ce processus; elles visent une contribution au champ académique touchant la mise en œuvre des outils de gestion et des innovations managériales.

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B. Une problématique au croisement de deux champs de recherche :

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