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Condensation et « time-averaging »

Les riches assemblages de vertébrés étudiés se présentent généralement sous forme de concentrations locales, comprises au sein de bancs de faible épaisseur. De plus, la position stratigraphique de ces niveaux particuliers est presque toujours associée à des discontinuités (cf. Rogers & Kidwell, 2000) (Fig. 4.16). Cela pose donc la question de savoir dans quelle

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mesure leur formation est liée au moment séquentiel, et d’évaluer l’importance de la condensation dans la genèse des concentrations de restes squelettiques.

Figure 4.16. Position stratigraphique des principales concentrations de restes de vertébrés liées à une discontinuité (au-dessus des limites de séquence Ce1, Ce2 et Ce4), en relation avec les variations eustatiques.

Dans un article de synthèse portant sur les problèmes de « time-averaging » dans l’enregistrement fossile en milieu marin, Kidwell (1998) a redéfini les quatre types d’assemblages reconnus et définis en fonction de ce paramètre :

- « census assemblages » ou « snapshot » (« photo instantanée »), représentant une véritable paléocommunauté (absence de toute condensation et d’allochtonie) ;

- « within-habitat time-averaged assemblages ». Il s’agit d’un assemblage produit par la somme de différentes communautés qui se sont succédées dans le temps, mais au sein d’un environnement relativement stable. L’assemblage est donc principalement composé d’organismes semblables du point de vue écologique (excepté le rôle joué par l’allochtonie restreinte) ;

- « environmentally condensed assemblages ». Il s’agit d’un assemblage produit par la somme de différentes communautés qui se sont succédées dans le temps, au cours

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d’une période de changements environnementaux. L’assemblage est donc hétérogène du point de vue écologique, avec des formes caractéristiques de biotopes bien distincts.

- « biostratigraphically condensed assemblages ». Il s’agit d’un assemblage produit par la somme de différentes communautés qui se sont succédées au cours d’une période relativement longue à l’échelle géologique. Des espèces de différentes chronozones ou biozones se retrouvent mélangées au sein d’un même horizon ou ensemble de couches. De tels assemblages sont également le plus souvent condensés d’un point de vue environnemental.

Par définition, le terme anglo-saxon « time-averaging » (cumul et mélange d’intervalles temporels) diffère sensiblement du terme condensation (caractérisant une couche ou une série de faible épaisseur dont la sédimentation s’est opérée pendant une longue durée). Dans les deux cas, ces processus entraînent la présence simultanée d’organismes ayant vécu à différentes périodes, et parfois dans un milieu de dépôt ayant fluctué durant l’intervalle temporel considéré. Les causes du « time-averaging » sont en général multiples, d’origine biologique (bioturbation), sédimentologique (faibles taux de sédimentation, érosion, remaniement, transport) et/ou diagénétique (compaction, dissolution) (Fürsich & Aberhan, 1990). Ces derniers ont illustré la formation des « time-avereged » bone-beds du Trias (Muschelkalk/Keuper) d’Allemagne, dans laquelle interviennent à la fois un brassage temporel et un mélange environnemental (Fig. 4.17). Ils ont montré que l’analyse des paléocommunautés est ainsi rendue difficile. En effet, la taphocénose obtenue est au final composée de plusieurs thanatocénoses originelles dont la composition taxonomique, la richesse et la diversité (« evenness ») sont devenues pratiquement indiscernables.

Les principaux types de concentrations

La Figure 4.18 représente les différents types de concentration reconnus par Kidwell (1991, 1993). Leurs caractéristiques sont présentées ci-dessous. Cette classification rejoint en partie celle proposée par Kidwell (1998) et basée sur le « time averaging » (voir plus haut).

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Figure 4.17. Schéma illustrant le « time-averaging » des bone-beds (exemple du Trias d’Allemagne). L’assemblage final obtenu a ainsi subi une condensation à la fois temporelle et environnementale (d’après Fürsich & Aberhan, 1990).

Concentration par érosion-exhumation

Un premier groupe rassemble les niveaux argilo-sableux et graveleux des Renardières, (B1), de Fouras-Vauban 1, de Traslemaine et de la Buzinie (B2). Il s’agit de niveaux fortement condensés, formant des conglomérats lenticulaires situés en général juste au-dessus d’une limite de séquence (limites Ce1 et Ce2 sensu Néraudeau et al., 1997). Ces taphocénoses, composées de microrestes très concentrés (maximum observé = 70 restes /kg), de préservation et de taille variables (infra-millimétriques à quelques cm), sont caractérisées par une granulométrie hétérogène ainsi que par un fort taux d’allochtonie se traduisant par la présence d’organismes ayant peuplé des milieux plus ou moins éloignés du milieu de dépôt.

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Figure 4.18. Formation des différents types de concentration d’éléments squelettiques (d’après Kidwell, 1991, 1993).

Outre ce mélange de faunes contemporaines, la condensation, qui se traduit par une baisse de la résolution temporelle et environnementale de l’intervalle considéré (Kidwell, 1993 ; Brett, 1995), joue également un rôle important dans l’hétérogénéité de l’assemblage.

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Dans le cas des gisements charentais, la présence simultanée d’éléments d’âges différents (de l’ordre de quelques dizaines ou centaines de milliers d’années) est cependant difficilement décelable car la plupart des taxons ont une répartition stratigraphique assez large dans le Cénomanien des Charentes. De plus, la fragmentation, l’altération et l’abrasion dues à un quelconque remaniement se confondent avec les diverses dégradations causées lors d’un transport. En revanche, l’exhumation par érosion d’éléments résistants et leur concentration sur une discontinuité peuvent être mises en évidence lorsque le niveau tronqué correspond lui- même au niveau-source (Rogers & Kidwell, 2000). Ce phénomène pourrait expliquer la présence à Fouras-Vauban d’articles de crinoïdes (Pentacrinus cenomanensis), probablement remaniés du niveau sous-jacent B1cg dans lequel ils se trouvent dispersés. Cependant, les restes d’invertébrés peuvent être très abondants (huîtres à Traslemaine, radioles de cidaridés à la Buzinie), suggérant ainsi une mise en place des peuplements contemporaine du dépôt des vertébrés. Pour de tels niveaux, l’action combinée du ravinement, de l’érosion et de la condensation, ainsi qu’une allochtonie contemporaine du dépôt, sont donc à l’origine de ces taphofaciès, aussi hétérogènes biostratigraphiquement qu’écologiquement. Enfin, il faut signaler l’existence d’une accumulation lenticulaire formée dans les mêmes conditions dans la partie supérieure de l’unité B1cg (gisement de Fouras-Cadoret, situé au nord de la presqu’île de Fouras), juste sous la limite Ce2. Cet assemblage est constitué de galets phosphatés et d’éléments osseux très roulés pour la plupart non identifiables, auxquels s’ajoutent quelques rares dents de poissons assez bien conservées. La plupart de ces restes ont dû être déposés au moment de l’intervalle transgressif de la base de B2, puis mêlés suite à une intense bioturbation aux sédiments encore meubles de B1. Les graviers et sables argileux de la base de B2 (B2ms) contenant les restes de vertébrés à Fouras-Vauban, gisement pourtant situé à quelques centaines de mètres, sont ici absents. Ce conglomérat a dû être totalement érodé à Fouras-Cadoret, où seuls quelques restes « injectés » au sein de la barre calcaire sous-jacente par la bioturbation (Thalassinoides) ont été préservés.

Concentration par condensation

Ce type de taphofaciès, également lié à une discontinuité stratigraphique, a été rencontré dans les gisements de Font-de-Benon, de Cadeuil (B1), de Fouras-Vauban 2-5, de Montagan (B2) et de l’Ile Madame (C4). L’intervalle fossilifère est plus ou moins riche en restes de vertébrés selon le degré de condensation. A l’Ile Madame, les divers éléments sont beaucoup moins concentrés que dans le cas précédent. En effet, la condensation est beaucoup moins importante et le taux net de sédimentation, pourtant relativement faible comme le

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montre l’intensité de la bioturbation, a été suffisant pour maintenir les restes éparpillés dans la couche. La bonne conservation générale de tous les restes de vertébrés indique un remaniement faible ou absent et une allochtonie restreinte limitée. De plus, la présence d’éléments d’assez grande taille (dentures de pycnodontes) semble indiquer l’absence de tri. La taphocénose doit donc être assez représentative de la paléobiocénose originelle ayant vécu dans le milieu de dépôt. L’allochtonie restreinte semble surtout concerner des éléments flottés (cuticules, bois ou coquilles de nautiles) ramenés par les courants et piégés dans une zone assez confinée. Les niveaux silico- et bioclastiques du Cénomanien inférieur (Font-de-Benon, Fouras-Vauban 2-5, Montagan) montrent en revanche d’importantes concentrations de microrestes de vertébrés. Le taux de sédimentation y est plus faible, et un tri granulométrique a entraîné localement la concentration de très nombreux restes millimétriques. De plus, il s’agit là d’environnements de dépôts plus proximaux, la faune étant de ce fait plus diversifiée avec notamment l’apport de formes terrestres.

Concentration composite

Ce type de niveau renferme des restes de vertébrés plus ou moins fréquents et dispersés au sein de la section. Ainsi, l’absence de condensation importante masquera toute éventuelle concentration d’origine in vivo (peuplements caractérisés par une forte densité d’individus). C’est le cas des argiles tégulines de l’Angoumois (unité D de l’Amas et Le Mas), dans lesquelles les dents et les galets phosphatés (dérivés de coprolites), pourtant relativement communs, sont disséminés. Une légère baisse de la sédimentation argileuse peut cependant expliquer la sensible augmentation de la concentration de ces restes observée dans les quelques décimètres sommitaux de l’unité D. Dans les faciès plus distaux du Cénomanien supérieur, le gisement de Port-des-Barques (unité G) entre aussi dans cette catégorie. Cependant, à l’inverse de l’unité D, le peuplement de vertébrés devait être bien plus faible, ce qui explique la rareté des restes récoltés (quelques dents).

Les trois cas évoqués ci-dessus correspondent à des dépôts allocycliques, inhérents à des phénomènes extérieurs au mécanisme sédimentaire lui-même. Leur occurrence est ici principalement régie par les variations eustatiques (trangression-régression).

Concentration événementielle

Ce genre d’assemblage diffère des précédents par le caractère événementiel du dépôt. Ces accumulations peuvent être d’origine biogénique ou hydraulique (Kidwell, 1993). L’accumulation lenticulaire de Fouras-Bois Vert, située stratigraphiquement au sein des

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argiles homogènes et laminées de B2, se classe dans cette dernière catégorie. En effet, les différentes observations sédimentologiques et taphonomiques convergent vers la même interprétation : dans un contexte régressif, des macrorestes se sont accumulés dans des chenaux d’estuaire ou de vallée incisée, suite à une forte décharge hydrique (crue). Par opposition aux dépôts allocycliques, il s’agit là d’un processus autocyclique de dépôt (l’origine du dépôt se trouve dans le mécanisme sédimentaire lui-même), quasi-instantané à l’échelle des temps géologiques. Si la résolution temporelle de telles concentrations est souvent élevée, le taux d’allochtonie est en revanche assez variable. Il dépend de la présence éventuelle de sources préexistantes ainsi que des apports venant de l’amont. Dans le cas présent, l’état de conservation des différents éléments est relativement homogène. Les os de dinosaures proviennent certainement d’une zone très proche du milieu de dépôt. Les os, craquelés, constituaient une partie de la thanatocénose sub-contemporaine du dépôt présente alors en bordure d’estuaire. Ils ont été repris, fragmentés, puis triés lors d’une crue et mêlés aux restes d’organismes amphibies et aquatiques. Il ne s’agit donc que d’une allochtonie très restreinte. Ce taphofaciès donne ainsi une image fidèle mais très incomplète, en raison du tri, de la paléobiocénose occupant alors la plaine côtière. A titre de comparaison, ce type d’événement est décrit en détail dans une étude sédimentologique portant sur la formation “Judith River” (Campanien) (Eberth, 1990), ou bien encore dans l’analyse taphonomique des gisements à dinosaures du Crétacé supérieur d’Espagne (Pereda-Suberbiola et al., 2000) ou du Nouveau-Mexique (Hunt, 1991).

Tableau 4.2. Terminologie et caractéristiques des différents types de concentration rencontrés dans le Cénomanien des Charentes.

Type de

concentration séquentielle Position Taphofaciès Gisement(s) et niveau(x) Concentration

événementielle

début de paraséquence ; cortège transgressif (niveau situé sur une discontinuité mineure)

Eléments triés (mésorestes), cassures fraîches, transport

restreint, assemblage sub- autochtone

Fouras Bois-Vert (B2)

Concentration

composite Quelconque

Pas de tri, bonne préservation, pas de transport, assemblage autochtone l’Amas, le Mas (D), Port-des-Barques (G) Concentration par condensation Début de séquence ou paraséquence ; cortège transgressif (niveau situé sur une limite de séquence

ou une discontinuité mineure)

Eléments triés (microrestes) ou non (Ile Madame), préservation bonne à moyenne, transport absent

ou restreint, assemblage autochtone contenant quelques

éléments allochtones Font-de-Benon, Cadeuil (B1), Fouras- Vauban 2-5, Montagan (B2), Ile Madame (C4) Concentration par érosion Début de séquence ; cortège transgressif (niveau situé sur une limite

de séquence)

Pas de tri, préservation très variable, transport absent ou restreint, assemblage autochtone contenant de nombreux éléments

allochtones

les Renardières (B1), Fouras-Vauban 1,

Traslemaine, la Buzinie (B2)

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La variété de lithofaciès et de taphofaciès (récapitulés dans le Tableau 4.2) mise en évidence dans le Cénomanien des Charentes illustre la diversité des facteurs abiotiques (condensation, transport, remaniement, pièges sédimentaires, crue…) intervenant généralement, à différents degrés, dans la formation et la composition des assemblages de vertébrés.

4.4. Actuo-taphonomie : recherche de restes de vertébrés dans les sédiments

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