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Les gauches « italiennes »

Dans le document Les extrêmes gauches (Page 111-117)

l’influence de la franc-maçonnerie dans le Parti socialiste italien. Plus tard, en 1918, il a impulsé une Fraction commu-niste abstentioncommu-niste, rejetant le système électoral : « Tout contact doit être rompu avec le système démocratique », écrit-il à cette époque1.

Lorsque le Parti communiste est créé en janvier 1921, les fascistes sont en train de prendre le pouvoir. Benito Mussolini a créé les Faisceaux italiens des combattants en mars 1919. En novembre 1921, il lance le Parti national fasciste. Trente mille fascistes armés marchent sur Rome en octobre 1922.

Dans un tel contexte, on pourrait s’attendre à ce que les gauches réalisent un front antifasciste. Il n’en est rien. Le Parti communiste d’Italie demeure volontairement passif.

Amadeo Bordiga considère en effet que la lutte antifasciste détourne les travailleurs de la vraie lutte anticapitaliste. La démocratie lui apparaît comme un adversaire redoutable :

« Dans le régime prolétarien, nous sommes pour la dictature révolutionnaire et la répression des partis contre-révolution-naires. Dans le régime bourgeois, nous dénonçons la démocratie parlementaire comme un appareil destiné à dissi-muler la dictature effective du capitalisme »2.

Le « bordiguisme » se présente à l’orée des années vingt comme une sensibilité léniniste intégriste, qui défend princi-palement deux thèses :

1. Cité dans : Philippe Bourrinet, Le courant « bordiguiste », 1919-1999, Italie, France, Belgique, www.left-dis.nl, Zoetermeer, 2000.

2. Amadeo Bordiga, « Sur le cadavre de la démocratie », dans Lo Stato Operaio, 16 août 1923. Traduction de François Bochet dans Invariance, série IV, octobre 1996 : « Textes du mouvement révolutionnaire 4 ».

• La nécessité de l’invariance : les gauches italiennes invoquent sans cesse Marx et Lénine, en prétendant revenir à la pureté d’une lecture absolument fidèle.

• La dénonciation du lien entre fascisme et démocratie : pour ce courant, un seul système domine la planète : le capi-talisme. Peu importe qu’il se pare d’oripeaux démocratiques ou tyranniques. Le noyau demeure inchangé.

Alors que Mussolini arrive au pouvoir, on pointe deux convergences, entre le courant de Bordiga et le fascisme : un même rejet de la franc-maçonnerie, et une semblable haine de la démocratie.

En 1925, le troisième congrès du Parti communiste d’Italie marque un changement de cap. Bordiga et ses parti-sans sont mis sur la touche. Ils ne représentent plus que 9 % du Comité central.

En avril 1928, les minoritaires réunis à Pantin, près de Paris, lancent la Fraction de gauche italienne en exil. C’est le début d’un courant que l’on nomme, faute de mieux, le

« bordiguisme ». D’emblée, les « bordiguistes » édictent leurs règles :

• Rejet de tout front unique, et de l’antifascisme

• Rejet de tout parlementarisme et haine de la démocratie Lorsque Hitler parvient au pouvoir en janvier 1933, ils fustigent l’antinazisme. De même, lors de la guerre d’Espagne, ils dénoncent à la fois le camp républicain et l’armée franquiste3. À l’approche de la guerre, la gauche « ita-lienne » incarne en fin de compte une petite phalange de

3. Certains « bordiguistes » menés par Enrico Russo critiquent cette attitude, qui renvoie les deux camps dos à dos. Ils s’engagent aux côtés du Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM) d’Andres Nin.

théoriciens boudeurs et de gardiens du dogme. Bordiga lui-même ne cite-t-il pas un proverbe italien : « Il faut redresser les jambes au chien » ?

Un vent nouveau souffle alors de la péninsule. Dirigé par Onorato Damen (1893-1979), le Parti communiste internationaliste d’Italie voit le jour en 1943. Il s’agit précisé-ment d’une formation « bordiguiste » critique. Le nouveau parti s’inscrit dans la continuité de la Fraction et se montre hostile à la Résistance antifasciste. Mais il fait preuve d’une plus grande ouverture en marquant son intérêt pour les expé-riences anarchistes.

Le PC internationaliste esquisse au fil du temps une synthèse courageuse entre l’anarchisme et le léninisme, tout autant qu’entre l’invariance et le modernisme. Un grand écart, à haut risque. Dans le cadre de cette évolution idéolo-gique, le groupe finit par soutenir la Résistance en 1944, et par présenter des candidats aux élections, en rompant avec plusieurs oukases édictés par Bordiga.

En 1944, des militants français proches du Parti com-muniste internationaliste d’Italie (Marc Chirik, Robert Salama) lancent par ailleurs une petite Gauche communiste de France.

Il existe ainsi à cette date trois gauches « italiennes » qui campent sur des positions relativement proches.

• Le Parti communiste internationaliste, qui édite le journal Battaglia communista, poursuit sa politique d’ouver-ture. Il noue le dialogue avec la revue antiléniniste Socialisme ou Barbarie. Mais il demeure farouchement léniniste. En 1984, il impulse avec la Communist Workers Organization de Grande-Bretagne un Bureau international pour le parti

révo-lutionnaire. En 2009, cette structure se transforme en une Tendance communiste internationaliste, présente dans une dizaine de pays.

• Les fidèles de Bordiga connaissent un destin chao-tique. Ils créent en 1952 un groupe qui devient le Parti communiste international en 1964. Celui-ci reste fidèle à une sourcilleuse invariance. Au fil des ans, Bordiga s’intéresse toutefois de plus en plus aux luttes du tiers-monde. Le PCI s’enflamme notamment pour le combat des Palestiniens. En France, les bordiguistes lancent en 1957 la revue Programme communiste. Dans le no 11, en date d’avril-juin 1960, on trouve l’article « Auschwitz ou le grand alibi ». Ce texte anonyme, parfois attribué à Bordiga, s’inscrit dans le droit fil de « l’anti-antifascisme ». Sa thèse centrale est que la société démocratique utilise Auschwitz comme un alibi, visant à jus-tifier l’exploitation capitaliste : « Si on montre les abat-jour en peau d’homme, c’est pour faire oublier que le capitalisme a transformé l’homme vivant en abat-jour ». « Auschwitz ou le grand alibi » ne nie pas l’existence du génocide nazi. Il est pourtant désigné comme la matrice ayant permis l’évolution d’une partie de l’extrême gauche vers des idées « révision-nistes ». En 1982, le « bordiguisme » explose en une multitude de petites unités théoriques. Il est aujourd’hui présent, à travers des publications éparses : on remarque Le Prolétaire en France, ou Il Programma communista en Italie.

• Quant au courant de Marc Chirik, il crée en 1968 à Toulouse le groupe Révolution internationale, qui penche au départ vers le conseillisme. Cette organisation, qui existe encore aujourd’hui, participe en 1975 à l’édification du Courant communiste international. Proche de la tendance

d’Onorato Damen, elle emprunte elle aussi conjointement aux traditions léninistes et conseillistes. Elle critique toutefois

« l’opportunisme » de la Tendance communiste interna-tionaliste.

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