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Gérard Poadja. – Le projet de loi de programmation militaire a pour ambition de renouveler les capacités opérationnelles et les équipements des armées et je me réjouis de

Mardi 20 février 2018

M. Gérard Poadja. – Le projet de loi de programmation militaire a pour ambition de renouveler les capacités opérationnelles et les équipements des armées et je me réjouis de

la modernisation annoncée de notre défense. Je m’inquiète toutefois – je m’en suis ouvert à Geneviève Darrieussecq en décembre dernier – des moyens très insuffisants alloués à la surveillance de la zone économique exclusive (ZEE) de Nouvelle-Calédonie, qui représente 15 % de la surface de la ZEE française et se trouve la cible fréquente des pirates asiatiques qui pillent ses ressources naturelles. Outre la base aéronavale de Tontouta, nous ne disposons que de deux patrouilleurs P400 coûteux à entretenir et à bout de souffle. C’est très insuffisant !

Apporterez-vous une vigilance particulière au renouvellement des matériels affectés à la surveillance de cette zone ?

M. François Patriat. – Votre projet met en cohérence les missions confiées aux armées, dans le cadre de conflits toujours plus violents, avec les moyens qui leur sont dévolus.

Il offre également à la France, avec l’objectif de 2 % du PIB destinés à sa défense, la possibilité de construire une autonomie stratégique à l’échelle européenne. S’agissant de la défense européenne, il me semble que l’une de ses principales lacunes réside dans la multiplication des armes utilisées : nous avons dix-sept types de chars lourds de combat, contre un seul aux États-Unis ! Cette dispersion est aussi coûteuse qu’inefficace.

M. Yannick Vaugrenard. – Comme mon collègue François Patriat, je m’interroge sur l’avenir de l’Europe de la défense, que votre texte promeut. Vous semblez présupposer que l’implication des États membres se renforcera à l’avenir sur les questions de défense. Quels éléments vous font envisager une telle évolution ? Comment, par ailleurs, inciter les pays européens à s’engager plus avant pour la sécurité du continent africain ?

M. Gilbert-Luc Devinaz. – J’ai bien compris que l’expression « en même temps » était au cœur de la doctrine politique du Président de la République… Alors, est-il possible de rechercher l’autonomie stratégique de la France et, en même temps, de renforcer l’Europe de la défense ? Cette dernière n’est-elle pas d’ailleurs compromise par le Brexit et le flou entretenu par la nouvelle coalition gouvernementale allemande sur les questions militaires ?

M. Philippe Paul. – Je m’interroge, comme Dominique de Legge, sur le calendrier de remplacement du porte-avion Charles-De-Gaulle. Selon les spécialistes, il faudrait trois ans pour réaliser les études préalables et six à huit ans pour construire un bâtiment. Dès lors, pourquoi ne mentionner qu’un remplacement en 2040 et non pas avant ? Vous envisagez, en outre, un possible retour à une permanence de porte-avion en alerte. Cela signifie-t-il que la construction de deux nouveaux bâtiments pourrait être programmée ? Un porte-avion coûte 500 millions d’euros par année de fabrication, auxquels il convient d’ajouter environ 3 milliards d’euros pour l’achat de Rafales et d’Hawkeye…

M. Hugues Saury. – Vous nous avez pleinement rassurés s’agissant de l’application, par votre ministère, de l’article 14 de la loi de programmation des finances publique pour les années 2018 à 2022 relatif aux restes à payer. Alors que le monde s’arme massivement, l’effort de la France sera-t-il suffisant pour tenir son rang ? Est-il à la hauteur de celui réalisé par les autres nations ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. – Je regrette de ne pas vous avoir entendue sur les réservistes, bien que l’homme ait été placé au cœur de ce texte. Par ailleurs, s’agissant de la défense européenne, j’aimerais vous faire partager une anecdote vécue à l’assemblée parlementaire de l’OTAN. À ma question portant sur le renforcement de la défense européenne parallèlement à l’alliance atlantique, Jens Stoltenberg, son secrétaire générale, a fait remarquer qu’après le Brexit, la défense de l’Europe serait assurée à 75 % par des pays qui n’en étaient pas membres. Que pensez-vous de cette réflexion ?

M. Ladislas Poniatowski. – Si la majorité sénatoriale approuvera globalement votre projet de loi de programmation militaire, celui-ci n’est pas exempt de quelques faiblesses. Je pense notamment à l’absence d’ambition concernant les OPEX. Alors que depuis deux ans, les sommes qui y sont consacrées chaque année dépassent le milliard

d’euros, vous ne prévoyez que 650 millions d’euros par an pour 2019. Certes, l’enveloppe est supérieure aux 450 millions d’euros annuels actuels et s’établira à 1,1 milliard d’euros en 2020, mais elle demeure insuffisante ! En outre, les augmentations annoncées sont inscrites sur les exercices budgétaires sur lesquels vous risquez de ne plus être aux affaires. Quelles seront les conséquences de cette frilosité sur les OPEX, alors que, comme le remarquait très justement Jean-Marie Bockel, nous ne savons nullement ce à quoi nous allons être confrontés dans les années à venir ? Avez-vous notamment prévu de désengager la France de certains théâtres d’opération ?

M. Jacques Le Nay. – Un projet de loi de programmation militaire à hauteur d’homme, comme vous le revendiquez, doit prendre en considération le moral des troupes, fortement affecté par les dysfonctionnements à répétition du système de paie Louvois depuis son installation en 2011. Les problèmes liés au recouvrement des trop perçus seront-ils soldés à l’occasion du passage au nouveau logiciel Source Solde ?

Mme Florence Parly, ministre. – Monsieur Poadja, la ZEE de Nouvelle-Calédonie est effectivement victime de campagnes de pêche illicite, malgré les nombreuses interceptions aériennes et maritimes réalisées ces deux dernières années. Après la tempête Irma, j’ai souhaité qu’une réponse urgence soit apportée aux carences en matière de patrouilleurs et, dès 2019, un bâtiment dit « patrouilleur léger guyanais » (PLG) sera livré aux Antilles. Le présent projet de loi de programmation militaire prévoit, pour sa part, six nouveaux patrouilleurs pour les territoires d’outre-mer, dont deux destinés à la Nouvelle-Calédonie.

Je partage votre analyse, monsieur Patriat, sur la situation européenne peu rationnelle en matière d’équipements militaires, qui conduit à des problèmes d’interopérabilité et, surtout, montre la faible consolidation de l’industrie européenne de défense, alors qu’un tel phénomène est à l’œuvre ailleurs. En Russie et en Asie, de nouveaux acteurs émergent, qui rend d’autant plus nécessaire de renforcer notre industrie. Il convient donc de renforcer les coopérations sur les programmes d’équipement comme avec l’Allemagne pour les chars de combat, les systèmes d’artillerie et les avions de patrouille maritime. Nous travaillons également avec l’Italie concernant les pétroliers ravitailleurs et avec l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie sur le drone moyenne altitude longue endurance (MALE). Il est, en outre, nécessaire de structurer nos industries, sur le modèle de la fusion des groupes français Nexter et allemand Krauss-Maffei-Wegmann (KMW). Je me suis ainsi rendue récemment à Rome au sujet du rapprochement en cours entre l’italien Fincantieri et le français Naval Group. Face à la puissance américaine, nous devrions également assumer d’appliquer un principe de préférence européenne pour les programmes d’équipement. Mais de nombreux États continuent à acheter américain au détriment de nos industries, ainsi de l’achat récent, par la Suède, de missiles Patriot. La diversité des matériels utilisés en Europe doit être réduite en travaillant sur des programmes d’équipement communs, qui pourraient être favorisés, malgré les réticences de certains, avec la mise en œuvre, en 2019, du fond européen de défense. Je crois, quoi qu’il en soit, que les États européens, confrontés pour beaucoup au terrorisme, ont pris conscience du nécessaire renforcement de la défense européenne. Il est évident pour chacun que les États-Unis, partenaires majeurs, ne peuvent pas pour autant toujours intervenir.

Mme Garriaud-Maylam a évoqué les relations entre l’Europe de la défense et l’OTAN. Il n’existe selon moi ni contradiction ni opposition : une Europe de la défense forte ne pourra que conforter l’efficacité de l’alliance atlantique. Parler d’effet d’éviction à cet égard, comme je l’ai récemment entendu lors de réunions de l’OTAN à Bruxelles et à Munich, constitue une erreur ! La croissance des dépenses militaires de la France en vue

d’atteindre 2 % du PIB va d’ailleurs dans le sens des demandes de l’OTAN à ses membres et James Mattis, secrétaire à la défense des États-Unis, est favorable à cet objectif. Le Brexit ne doit pas faire oublier la puissance de l’armée britannique, avec laquelle nous souhaitons continuer à collaborer pour la défense de l’Europe, intention réciproque comme Theresa May l’a récemment indiqué à Emmanuel Macron. Nos attentes en matière d’exportation dans le cadre des programmes communs d’équipement sont effectivement élevées ; nous serons donc attentifs aux positions de la coalition allemande en la matière.

Pour ce qui concerne le prochain porte-avions, il s’agit de se donner les moyens, en menant les études adéquates, de savoir s’il convient ou non de lancer la production d’un nouveau bâtiment sans attendre arrêt du Charles-De-Gaulle, afin d’assurer la continuité de notre présence en mer et de prévoir une période de recouvrement entre les deux bâtiments. À terme, peut-être, un nouveau projet pourrait être lancé.

Les statistiques publiées par l’OTAN pour l’année 2016 montrent que les dépenses militaires des pays de l’alliance atlantique ont, en moyenne, progressé de 4,3 %.

Elles atteignaient par exemple 1,2 % du PIB en Allemagne, 1,79 % en France, 1,19 % en Italie et 2,17 % en Grande-Bretagne. L’Allemagne prévoit d’augmenter ses dépenses de 1,2 à 1,5 milliard d’euros supplémentaires par an d’ici 2021. La France n’a donc pas à rougir de ses perspectives en la matière sur la même période : 1,8 milliard d’euros en 2018, puis 1,7 milliard d’euros en 2019, 2020 et 2021. La Grande-Bretagne, en revanche, confrontée au coût du Brexit et à l’achat coûteux d’appareils F-35 américains, pourrait voir passer ses dépenses de défense sous le seuil de 2 % du PIB.

Monsieur Poniatowski, nous ignorons effectivement ce que l’avenir nous réserve.

En conséquence, pour les OPEX, nous devons travailler sous forme de provisions. Le passé nous a néanmoins appris qu’une dotation de 450 millions d’euros par an était insuffisante.

Mais 1,1 milliard d’euros correspondra-t-il aux besoins à partir de 2020 ? Nul ne le sait, c’est pourquoi nous avons prévu que des financements interministériels viennent, le cas échéant, compléter cette enveloppe.

Enfin, monsieur Le Nay, nous travaillons actuellement à la mise en place du nouveau logiciel de paie Source Solde, qui remplacera le système Louvois. Il sera effectif dès que le bon fonctionnement en sera assuré, afin d’éviter les erreurs du passé. Dans cette attente, nous réglons les derniers trop perçus, tandis que Louvois s’est sensiblement amélioré : 97 % des soldes versées cet automne étaient sans erreur, 98 % en décembre.

M. Christian Cambon, président. – Merci, madame la ministre, pour les réponses que vous avez apportées à nos interrogations. Les principes sur lesquels repose le projet de loi de programmation militaires correspondent à nos attentes et je ne doute pas que votre texte recevra du Sénat un accueil favorable. Nos rapporteurs vont maintenant l’étudier en détail. J’insiste sur l’importance de la sincérité de vos engagements pour la période allant au-delà de 2022 ; notre commission y apportera son soutien vigilant lors de la discussion du projet de loi.

La réunion est close à 19 h 45.