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Fractionnement enzymatique des lignocelluloses

I. Diversité des stratégies de fractionnement

Face à la complexité structurale de la paroi cellulaire végétale, la plupart des microorganismes "lignocellulolytiques" (tels que les bactéries et champignons phyto-pathogènes, saprophytes, symbiotes, les bactéries du rumen…) ont développé diverses stratégies pour attaquer les différents constituants pariétaux (cellulose, hémicelluloses, polyphénols/lignines…). [80, 81]

La production d’enzymes par ces micro-organismes se fait essentiellement selon deux voies.

La majorité sécrète dans leur environnement immédiat des cocktails ou mélanges d’enzymes différentes adaptées selon la nature du substrat disponible. La plupart de ces enzymes sont des glycoside hydrolases qui s’attaquent aux polysaccharides pariétaux libérant des mono-, di- et oligosaccharides directement assimilables par le métabolisme microbien. Du point de vue de leur structure, ces enzymes peuvent comporter un ou plusieurs domaines protéiques, avec un domaine catalytique (DC) pouvant être lié à un ou plusieurs domaines de fixation aux polysaccharides (Carbohydrate Binding Module ou CBM).

Certaines bactéries anaérobies ont développé une voie alternative efficace pour dégrader la paroi végétale, en utilisant des complexes membranaires multi-enzymatiques appelés cellulosomes. Décrits pour la première fois chez Clostridium thermocellum, ces complexes multi-protéiques (de plus de 1 MDa) assurent à la fois la fixation cellulaire et la dégradation de la cellulose, mais également d’autres polysaccharides de la paroi végétale tels que les hémicelluloses. La structure du cellulosome comporte une composante (ou sous-unité) centrale tenant lieu de charpente qui contient des modules de cohésines servant à l’incorporation des enzymes (ou DC) portant des modules de reconnaissance appelés dockerines. La sous-unité intègre fréquemment un ou plusieurs CBM assurant la reconnaissance spécifique et la fixation directe du complexe (et donc de la cellule) sur le substrat cible. (Figure 12) [82, 83]

En s’inspirant de ces stratégies naturelles, les procédés industriels de fractionnement enzymatique de la biomasse lignocellulosique reposent actuellement sur le développement et la mise en oeuvre in vitro de cocktails enzymatiques performants. L’amélioration et l’optimisation de ces outils de fractionnement nécessitent une meilleure compréhension de la relation structure/fonction des enzymes "lignocellulolytiques".

CBM

Enzymes

DC DC DC DC DC

Dockerine Type I

Dockerine Type II Cohésine

Type I

DC

Cohésine Type II

Cellule

Figure 12 : Représentation schématique de l’organisation supramoléculaire d’un cellulosome à la surface d’une cellule bactérienne. (figure simplifiée du cellulosome de Clostridium thermocellum, adaptée de [83]) (DC) : Domaine catalytique − (CBM) : Carbohyrate Binding Module.

II. Les enzymes dégradant les lignocelluloses : diversité et structure multi-modulaire des glycoside hydrolases

La biodégradation des lignocelluloses implique essentiellement des glycoside hydrolases permettant la transformation des polysaccharides en sucres fermentescibles. Ces enzymes présentent généralement une structure modulaire comportant un domaine catalytique (DC) pouvant être lié à un ou plusieurs domaines de fixation aux saccharides (CBM).

II.1. Les domaines catalytiques (DC) II.1.1. Classification

Les domaines catalytiques des glycoside hydrolases peuvent être classés selon différents critères : la structure primaire (la séquence), la structure tertiaire (le repliement), le type de substrat dégradé et le mécanisme d’action.

Dans la nomenclature de l'Union Internationale de Biochimie et de Biologie Moléculaire (IU-BMB) basée sur le type de réaction catalysée et la spécificité de substrat, les glycoside

hydrolases possèdent un numéro du type EC 3.2.1.x. Les trois premiers chiffres indiquent qu'elles hydrolysent des liaisons O-glycosidiques, le dernier (x) est variable et dépend du substrat transformé (par exemple : les cellulases (3.2.1.4), les xylanases (3.2.1.8), etc.). Ce système de classification permet de nommer précisément la spécificité de substrat d'une enzyme, toutefois il ne reflète pas les aspects structuraux et paraît mal adaptée aux glycoside hydrolases qui peuvent agir sur différents substrats.

Depuis 1991, une classification des domaines catalytiques des glycoside hydrolases, basée sur les similarités de séquences en acides aminés, a donc été proposée, afin de mieux refléter la structure de ces enzymes. Les similarités sont appréciées par la méthode HCA ("Hydrophobic Cluster Analysis") ou encore analyse de groupes hydrophobes, qui repose sur la détection de segments structuraux constituant le cœur hydrophobe des protéines globulaires. Grâce à cette approche, des similarités dans le repliement tridimensionnel peuvent être détectées entre des protéines possédant des identités de séquences très faibles (<20%). [84, 85, 86]

Selon cette classification, les glycoside hydrolases sont regroupées en familles (notées GH).

L’intérêt de cette classification est de pouvoir relier entre elles au sein d’une même famille des enzymes de même structure tridimensionnelle mais ayant des activités différentes et vise versa, mettant en évidence les phénomènes d’évolution convergentes ou divergentes ainsi que la présence de motifs structuraux préférentiels. A l’heure actuelle, on dénombre 115 familles de glycoside hydrolases (GH) dont un tiers environ comporte des enzymes poly-spécifiques.

Les familles d’enzymes partageant le même repliement tridimensionnel sont regroupées dans des niveaux hiérarchiques plus élevés, connus sous le nom de clans ou superfamilles (actuellement au nombre de 14 : GH-A à GH-N).[86] (Tableau 4)

Réactualisée en permanence, cette classification est accessible sur la base de données CAZy ("Carbohydrate-Active enZYmes") et est maintenant étendue à d'autres classes d'enzymes actives sur les sucres, par exemple les glycosyltransférases ou les polysaccharide lyases. [87, 88]

Tableau 4 : Clans des glycoside hydrolases

Clan Repliement Familles du clan

GH-A (β/α)8 1 2 5 10 17 26 30 35 39 42 50 51 53 59 72 79 51 86 113

GH-B β−jelly roll 7 16

GH-C β−jelly roll 11 12

GH-D (β/α)8 27 31 36

GH-E β−propeller à 6 pales 33 34 83 93 GH-F β−propeller à 5 pales 43 62

GH-G (α/α)6 37 63

GH-H (β/α)8 13 70 77

GH-I α + β 24 46 80

GH-J β−propeller à 5 pales 32 68

GH-K (β/α)8 18 20 85

GH-L (α/α)6 15 65

GH-M (α/α)6 8 48

GH-N hélice β 28 49

II.1.2. Modes d’action et mécanismes catalytiques

En considérant la réaction catalytique dans son ensemble, les glycoside hydrolases peuvent dégrader leur substrat selon deux modes d’action : une attaque au milieu de la chaîne polysaccharidique (mode endo), avec la variante où la chaîne reste fixée (mode endo-processif), et une attaque en bout de chaîne (mode exo). Cependant, l’attribution d’un mode d’action n’est pas exclusive, certaines enzymes pouvant exercer des actions endo ou exo en fonction du substrat disponible.

Le mode d’action d’une enzyme est dicté par la structure du site actif. Malgré la diversité des repliements, la topologie des sites actifs des GH appartient seulement à trois classes différentes. Ainsi, les endo-enzymes présentent une structure ouverte avec un site actif

formant une crevasse ou sillon de dimensions certes variées, mais qui permet la fixation de plusieurs unités saccharidiques. Ces GH sont capables d'hydrolyser une chaîne oligo- ou polysaccharidique de façon aléatoire (par exemple les endoglucanases, les endoxylanases…).

Les enzymes endo-processives ont la particularité de développer de longues boucles qui referment partiellement la crevasse catalytique pour former une structure en tunnel. Cette topologie en tunnel permet aux GH de fixer la chaîne polysaccharidique et de progresser de façon processive le long de celle-ci, de l’extrémité réductrice vers l’extrémité non réductrice, et d’un site de coupure à l’autre (par exemple les cellobiohydrolases). Enfin, les exo-enzymes présentent une structure en "poche", optimale pour la reconnaissance de l'extrémité non-réductrice ou non-réductrice d'une chaîne d’oligo- ou de polysaccharide (par exemple, les arabinofuranosidases). (Figure 13)

+

+ +

+

Crevasse

Tunnel

Poche