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Tout mon devenir philosophique a été déterminé par ma lecture de Heidegger. […] Mais je reconnais que c'est Nietzsche qui l'a emporté169.

S'il n'est pas évident de procéder au « panthéon » des auteurs qui ont « compté » pour Foucault, tant ses influences ont été multiples, il nous semble que les deux lectures qui ont été particulièrement déterminantes dans sa remise en cause du « sujet moderne » et l'élaboration de son projet philosophique ont été celles de Heidegger et de Nietzsche. Foucault « découvre » Nietzsche au début des années 1950 à travers les cours qu'Heidegger lui consacre170

et certains prolongements qu'il perçoit chez Georges Bataille et Maurice Blanchot171

. Dans l'un de ses derniers entretiens, en 1984, il déclarait ainsi : Ma connaissance de Nietzsche est bien meilleure que celle que j'ai de Heidegger. […] Il n'en reste pas moins que ce sont deux expériences fondamentales que j'ai faites. […] Nietzsche et Heidegger, ça a été le choc philosophique ! […] Je crois que c'est important d'avoir un petit nombre d'auteurs avec lesquels on pense, avec lesquels on travaille, mais sur lesquels on écrit pas172.

169« Le retour à la morale », in DE, II, op. cit., texte n°354, p. 1522. 170Martin H

EIDEGGER, Nietzsche (1936-1946), tome I et II, trad. fr. P. Klossowski, Paris, Gallimard, 1961.

Foucault les avait lu en allemand au tout début des années 1950. Dans une conférence récente (« Le rapport de Foucault à Nietzsche à travers le cours de 1970 », 7 octobre 2010, EHESS / Triangle – ENS Lyon.), Daniel Defert a rappelé l'importance de cette lecture dans le contexte français de l'époque qui présentait des traditions de lecture de Nietzsche plutôt « psychologisante » (comme chez les moralistes français), ou « littéraire » (comme par exemple le fameux livre de Ernst Bertram, Nietzsche. Essai de mythologie, trad. fr. R. Pitrou, Paris, félin, 1990). A travers ses cours auxquels Foucault eut accès en version manuscrite allemande, Heidegger ré-inscrivait Nietzsche tout en le critiquant dans l'histoire de la philosophie.

171Voir notre deuxième chapitre. Paradoxalement, c'est Sartre qui en critiquant le mysticisme de Bataille

après-guerre dans ses Situations I (1948), fera connaître le philosophe et écrivain français à toute une génération en train de se former en pleine période de gloire de la phénoménologie, de l'existentialisme et du marxisme : « on venait à Bataille et Blanchot par Sartre, et on les lisait contre Sartre » expliquera plus tard Jacques Derrida, ceci résumant bien le parcours intellectuel de Foucault sur ce point au début des années 1950. Voir notamment Georges BATAILLE, « Réponse à Jean-Paul Sarthe (Défense de l' “expérience

intérieure” », in Sur Nietzsche. Volonté de chance, Paris, Gallimard, 1945, p. 239-249.

172« Le retour à la morale », in DE, II, op. cit., texte n°354, p. 1522. C'est l'une des rares fois où Foucault fait

référence à Heidegger dans un entretien ou l'un de ses écrits. Foucault est en revanche beaucoup plus loquace quand il s'agit de Nietzsche, que ce soit dans ses entretiens ou dans certains textes fondamentaux : « Nietzsche, Freud, Marx », in DE, I, op. cit., 1964, texte n° 46, p. 592-607 ; « Nietzsche, la généalogie, l'histoire », in DE, I, op. cit., 1971, texte n° 84, p. 1004-1024 ; « La vérité et les formes juridiques », in DE I,

Il y a deux éléments essentiels dans cette déclaration. D'une part, il semble que l'on puisse dans une certaine mesure lire le parcours philosophique de Foucault sous le sceau de ces deux auteurs qui marquent une double rupture simultanée dans sa manière de concevoir la philosophie173

. D'autre part, il faut souligner que si Foucault découvre Nietzsche à travers Heidegger, il le retournera ensuite contre lui en s'opposant à son interprétation faisant de Nietzsche le « dernier des métaphysiciens174

». L'influence heideggerienne sur Foucault ne peut bien s'appréhender que sous le prisme de son « nietzschéisme »175

. C'est que Foucault ne cesse de se référer au bouleversement radical qu'a provoqué Nietzsche dans sa propre démarche philosophique mais aussi, plus globalement, pour la pensée occidentale dans son ensemble. Il parle de cette année 1953 où il le « découvre », comme d'une véritable rupture intellectuelle : « l'apparition de Nietzsche constitue une césure dans l'histoire de la pensée occidentale. Le mode du discours philosophique a changé avec lui176. » Nietzsche semble représenter celui qui inaugure l'éclatement du « sujet moderne »,

en portant le soupçon sur sa réalité ontologique ou transcendantale, grâce à une attention critique portée sur le langage et l'histoire de nos croyances :

Ce n'est pas tant l'histoire même de la pensée de Nietzsche qui m'intéresse que cette espèce de défi que j'ai senti le jour […] où j'ai lu Nietzsche pour la première fois ; quand on ouvre le Gai Savoir ou Aurore alors qu'on est formé à la grande et vieille tradition universitaire, Descartes, Kant, Hegel, Husserl, et qu'on tombe sur ces textes un peu drôles, étranges et désinvoltes, on se dit : […] Quel est le maximum d'intensité philosophique et quels sont les effets actuels qu'on peut tirer de ces textes ? Voilà pour moi ce qu'était le défi de Nietzsche177.

Ce défi jeté au jeune agrégé de philosophie est, si l'on en croit certaines de ses déclarations, ce qui le pousse véritablement à la recherche : « ce qui m'a donné, pour la première fois, le

173Sur cette question des influences nietzschéennes et heideggeriennes sur Foucault, voir à titre historique le

premier ouvrage sur la question : Hubert DREYFUS et Paul RABINOW, Michel Foucault. Un parcours

philosophique (1984), op. cit. Depuis d'autres études sont venues alimenter le débat : B. HAN, L'ontologie

manquée de Michel Foucault. Entre l'historique et le transcendantal, op. cit., ; T. RAYNER, Foucault's

Heidegger : Philosophy and Tranformative Experience, NY, Continuum, 2007. Contre un Foucault influencé

en profondeur par Heidegger, voir notamment Paul VEYNE, « Malgré Heidegger, l'homme est un animal

intelligent, in Foucault, sa pensée, sa personne, Paris, Albin Michel, 2008, p. 111-128.

174En dirigeant l'édition de ses œuvres complètes aux côtés de Deleuze dans les années 1960-1970, Foucault

participe au « retour » de Nietzsche sur la scène philosophique française, en contestant la lecture heideggerienne de Nietzsche qui faisait de lui le dernier des métaphysiciens. Au contraire, Nietzsche est bien pour eux le penseur sans lequel on ne peut considérer le travail philosophique actuel sur la modernité et sur nous-même.

175Voir à ce titre les remarques préliminaires de L. P

ALTRINIERI, « Les aventures du transcendantal : Kant,

Husserl, Foucault », op. cit., p. 12-13.

176 « Michel Foucault et Gilles Deleuze veulent rendre à Nietzsche son vrai visage », in DE, I, op. cit., texte

n° 41, p. 577-580.

désir d'accomplir un travail personnel a été la lecture de Nietzsche »178

dit-il dans les dernières années de sa vie.

Ce que nous aimerions ici retracer, c'est d'abord la remise en cause nietzschéenne du « sujet », à la fois cartésien et kantien, dans son lien indissociable avec la critique plus générale de la « métaphysique ». En effet, la « critique de la psychologie » humaine et de son anthropologie passe chez Foucault par la mise en évidence des « erreurs monstrueuses » de « l'idéalisme métaphysique » énumérées par Nietzsche dans la Volonté

de puissance :

1° La folle surestimation du conscient, dont on a fait une unité, un être : « l'esprit », « l'âme », une chose capable de sentir, penser, vouloir;

2° L'esprit pris pour cause, notamment partout où apparaissent le sens pratique, le système, la coordination;

3° La conscience tenue pour la plus haute forme accessible, la qualité supérieure de l'être, « Dieu »;

4° La volonté introduite partout où il y a action effective;

5° Le « monde vrai » ou monde de l'esprit, accessible uniquement par des faits conscients;

6° La connaissance tenue exclusivement pour une faculté de la conscience, partout où il y a connaissance179.

Ce sont les principes issus de « l'idéalisme métaphysique », c'est-à-dire ces catégories ontologiques et logiques d'identité, de substance et de causalité, qui structurent notre intellect et orientent notre interprétation de certains phénomènes psychologiques de telle façon, que nous construisons le « sujet » comme l'unité fondatrice à l'origine de nos actions.

Le « sujet » est interprété à notre point de vue, si bien que le moi passe pour une substance, pour la cause de toute action, pour son auteur. La force persuasive des postulats logiques et métaphysiques, la croyance à la substance, à l'accident, à l'attribut, etc., constitue dans l'habitude de considérer toute notre activité comme une conséquence de notre vouloir : si bien que le moi, comme substance, ne passe pas, malgré la multiplicité des changements180.

178« Une interview de Michel Foucault par Stephen Riggins », in DE, II. op. cit., texte n°336, p. 1348. 179F. N

IETZSCHE, La Volonté de puissance, t. I, 1. I. § 87.

Deux principales étapes peuvent être dégagées dans la « construction » de ce que Nietzsche appelle « notre croyance fondamentale181

». D'abord, c'est la critique de l'unité substantielle du « sujet », basée sur le principe d'identité : « on croit saisir, par intuition, l'essence de la pensée comme l'unité d'un acte dont les différentes “cogitationes” seraient les manifestations successives182

». La question, nous dit Patrick Wotling, c'est « d'où provient cette unité ? » Cette unité du moi, loin d'être une intuition véridique, est en réalité le produit d'une interprétation déformant le réel sous l'impulsion de l'« idéalisme ». Notre intellect a finalement eu tendance à promouvoir la figure de l'unité plutôt que celle de la réflexivité. « En fait, nous sommes une pluralité laquelle s'est imaginée être une unité. C'est l'intellect, en tant que moyen de l'illusion avec ses formes contraignantes : “substance”, “identité”, “durée” – qui le premier exclut de notre pensée toute notion de pluralité183 ». C'est grâce au principe logique d'identité « que l'intelligence peut à la fois

unifier la diversité sensible et déterminer l'essence de chaque réalité comme substance, la substantialité n'étant que la plénitude ontologique de l'identité à soi184

». De surcroît, de par sa formation philologique, Nietzsche procède à une analyse des pouvoirs du langage lui- même, pour « ne plus se laisser abuser par les mots185

. » Paul Ricœur dit de lui qu'il procéda dans sa critique du cogito, à une « alliance entre symptomatologie médicale et déchiffrement textuel186

», c'est-à-dire qu'il entreprit de déconstruire le « sujet » à partir d'une généalogie et d'une grammaire.

De par sa naissance, le langage appartient à l'époque de la forme la plus rudimentaire de psychologie : nous pénétrons dans un grossier fétichisme lorsque nous prenons conscience des présupposés fondamentaux de la métaphysique du langage, en allemand : de la raison. […] ; il croit au “moi”, au moi comme être, au moi comme substance et projette la croyance au moi-substance sur toutes les choses –

181F. N

IETZSCHE, Fragments posthumes XI, 34 [250], cité par Patrick WOTLING, « “Notre croyance

fondamentale”. Le sujet et la poétique des pulsions selon Nietzsche », in Camille DUMOULIÉ (dir), La fabrique

du sujet. Histoire et poétique d'un concept, Paris, Desjonquères, 2011, p. 138.

182J. G

RANIER, Le problème de la vérité dans laphilosophie de Nietzsche, op. cit.,p. 133.

183F. N

IETZSCHE, Fragments posthumes du Gai Savoir, 12 [35], in P. WOTLING, « “Notre croyance

fondamentale”. Le sujet et la poétique des pulsions selon Nietzsche », art. cit., p. 141.

184J. G

RANIER, Le problème de la vérité dans la philosophie de Nietzsche, op. cit., p. 102. Le texte continu :

« Il est donc le principe architectonique de la raison pure. Mais comment s'applique-t-il à l'expérience ? Par réduction de toutes les analogies à l'unité du même, c'est-à-dire, par une lecture tendancieuse et déformante du texte réel […]. Cette réduction tire sa vraisemblance du caractère rudimentaire des informations fournies par les récepteurs organiques et par la superficialité de notre analyse du devenir : superficialité qui répond au besoin tyrannique de faire entrer, par violence, la réalité dans les cadres préfabriqués de l'intellect. »

185

F. NIETZSCHE, Par-delà bien et mal, op. cit., § 16, p. 29. A cet égard, l'Introduction théorétique sur la vérité

et le mensonge au sens extra-moral (été 1873) est un texte central, in F. NIETZSCHE, Le livre du philosophe.

Études théorétiques (1872-1873-1875), trad. fr. A. Kremer-Marietti, Paris, GF Flammarion, 1991. Il inspirera

fortement M. Foucault pour son Cours au Collège de France sur la Volonté de savoir en 1871 selon Daniel Defert.

186P. R

c'est seulement ainsi qu'il crée le concept de “chose” […] La raison dans le langage : oh quelle vieille trompeuse187!

En parlant d'un « cogito sur parole », Nietzsche considère en effet que notre compréhension de la subjectivité est le fruit d'une « monstrueuse confusion entre les mots et les choses188

», d'une « illusion grammaticale189

» qui nous fait prendre les mots d' « homme » ou de « sujet » pour des choses naturelles, comme si le fait de les désigner dans le langage consacrait leur objectivité dans le réel.

Le nom des choses importe infiniment plus que ce qu’elles sont. La réputation, le nom, l’aspect,

l’importance, la mesure habituelle et le poids d’une chose – à l’origine le plus souvent une erreur, une qualification arbitraire, jetées sur des choses comme un vêtement, et profondément étrangères à leur esprit, même à leur surface – par la croyance que l’on avait en tout cela, par son développement de génération en génération, cela s’est peu à peu attaché à la chose, s’y est identifié, pour devenir son propre corps ; l’apparence primitive finit par devenir presque toujours l’essence, et fait l’effet d’être l’essence190.

C'est par ce procédé de création que le « sujet-unité » est identifié par l'intellect à une

identité invariante. Rendant hommage à Nietzsche dans Les mots et les choses, Foucault

dit ainsi que « le langage n'est rentré directement, et pour lui-même dans le champ de la pensée qu'à la fin du XIXe siècle. On pourrait même dire au XXe siècle, si Nietzsche le

philologue – et là encore il était si sage, il en savait si long, il écrivait de si bons livres – n'avait le premier rapproché la tâche philosophique d'une réflexion radicale sur le

langage191

. » Cependant pour Nietzsche, la logique et le langage restent soumis à d'autres forces encore plus profondément enfouies. La construction synthétique du « moi » par des « lois mécaniques », loin de provenir seulement des « mots » et des « choses », provient en dernière instance de nous-mêmes, c'est-à-dire tout simplement que la fonction du moi « n'est pas inventé au hasard, mais bien pour répondre à un besoin » : « sa fonction est fondamentalement de masquer la pluralité d'instances, de fonctions et d'instincts – qui sont

187 F. N

IETZSCHE, Crépuscule des idoles, op. cit., « La “raison” en philosophie », § 5.

188F. N

IETZSCHE, La Volonté de puissance, Paris, Livre de Poche, 1991, § 260, p. 287.

189A cette « illusion grammaticale » correspondent dans la tradition analytique les critiques de Wittgenstein

opérées à partir de son concept de « jeux de langage » qui peut être considéré comme la première grande remise en cause de la théorie de la vérité-correspondance dans sa prétention universaliste. Voir également sous l'influence de Wittgenstein, les expressions du philosophe du langage pragmatiste Austin d' « l'illusion linguistique » (Quand dire c'est faire), ou encore aujourd'hui, celle de V. Descombes d' « l'illusion égologique » (Le complément de sujet, op. cit.)

190Friedrich N

IETZSCHE, Le Gai savoir, trad. fr. H. Albert, Paris, Librairie Générale Française, « Le Livre de

Poche », 1993, § 58.

191M. F

OUCAULT, Les mots et les choses, op. cit., p. 316. On peut remarquer au passage la référence aux

la réalité du prétendu sujet unitaire192

. » Si le « sujet » en tant que tel n'existe pas, en revanche, « notre croyance fondamentale » dans le sujet est à la racine de toutes nos autres croyances métaphysiques comme celles d'identité, de substance ou de causalité :

Sujet : c'est là la terminologie de notre croyance à une unité parmi tous les différents moments du suprême sentiment de réalité : nous comprenons cette croyance en tant que l'effet d'une cause unique – nous croyons à ce point à notre croyance que c'est pour elle que nous imaginons seulement la « vérité », la « réalité », la « substantialité »193.

Ainsi, la seconde étape dans la construction illusoire du « sujet métaphysique », passe pour Nietzsche par l'attribution à cette unité, d'un pouvoir causal originaire de

productions des pensées et des choses multiples. Dans le § 16 de Par-delà bien et mal, il

s'attaque autant à la « certitude immédiate » cartésienne qu'à la catégorie kantienne de

causalité a priori conçue comme indépendante de l'expérience sensible et de l'imagination.

Pour Nietzsche, cette construction psychologique issue de l'activité interprétative cherchant des explications aux changements, ne correspond jamais à des « faits réels » mais toujours à une substance postulée : « D'où me vient la notion de pensée ? Pourquoi crois-je à la cause et à l'effet ? Où prends-je le droit de parler d'un “je” qui serait cause, et pour comble, cause de la pensée ?194

». Question qui fait écho à ce passage de La Volonté de puissance : « La chose, le sujet, le vouloir, l'intention, tout cela est inhérent à la conception de “cause”. Nous cherchons des choses qui expliqueraient que quelque chose a changé... Enfin nous comprenons que les choses […] n'agissent point : parce qu'elles n'existent pas195

». Pour Nietzsche, il n'y a pas de catégorie logique de causalité parce qu'il n'y a pas de sujet

unitaire à l'origine de notre connaissance. Notre pensée n'est plus régie par les principes

logico-métaphysique, même les plus éminents : « une pensée se présente quand “elle” veut, et non pas quand “je” veux : de sorte que c'est falsifier la réalité que de dire : le sujet “je” est la condition du prédicat “pense”. […] En définitive, ce “quelque chose pense” affirme déjà trop196

». Les § 11 et 17 de Par-delà bien et mal s'inscrivent en faux contre « la faculté de former des jugements synthétiques a priori », c'est-à-dire, « supra-sensible », instaurant le sujet transcendantal comme condition suprême de notre connaissance.

192P. W

OTLING, « “Notre croyance fondamentale”. Le sujet et la poétique des pulsions selon Nietzsche », art.

cité, p. 141.

193F. N

IETZSCHE, Fragments posthumes XIII, 10, [19], in Ibid, p. 142.

194F. N

IETZSCHE, Par-delà bien et mal, trad. fr. C. Heim, Paris, Gallimard, 1971, § 16, p. 30.

195F. N

IETZSCHE, La Volonté de puissance, t. I, 1. I. § 154, in J. GRANIER, Le problème de la vérité dans la

philosophie de Nietzsche, op. cit., p. 107-108.

196F. N

Avant tout et par-dessus tout, Kant était fier de sa table des catégories […] Il était fier d'avoir trouvé en l'homme une nouvelle faculté, la faculté de former des jugements synthétiques a priori. [...] Mais réfléchissons, il est temps de le faire. Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? […] « En vertu d'une faculté » avait-il dit, ou tout du moins pensé. Mais est-ce là une réponse ? Une explication ? N'est-ce pas plutôt répéter la question ? Pourquoi l'opium fait-il dormir ? « En vertu d'une faculté » […] Mais de telles réponses appartiennent à la comédie et il est temps enfin de remplacer la question kantienne : « Comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles » par cette autre question : « Pourquoi est-il nécessaire de croire en de tels jugements ? », autrement dit, de comprendre que la conservation d'êtres de notre espèce exige que nous y ajoutions foi197.

Nietzsche répond à cette question du point de vue anthropologique. Son enquête psychologique le conduit à penser que notre concept fictionnel de causalité tiendrait « à une certaine herméneutique idéaliste qui s'est imposée dans la culture européenne, et dont la métaphysique fut l'écho inconscient », qui articula de manière étroite « causalité et

volonté198

. » La causalité telle que nous la comprenons comme catégorie a priori dériverait d'une mauvaise interprétation que nous avons fait de notre volonté humaine, comme « résultat d'une expérience subjective mal analysée » qui nous induirait à la comprendre comme une faculté au « pouvoir inconditionné » : « nous nous sommes forgés la représentation de la cause et l'effet d'après le seul modèle de notre volonté considérée comme cause 199

! ». Et c'est se tromper, car bien des parties multiples de notre corps et de notre psychisme sont des effets, au moment même où je crois être la cause de quelque chose, c'est-à-dire que je suis cause et effets tout à la fois : « L'effet, c'est moi200

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