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I.2. L E CYCLE DU CARBONE DANS LES ECOSYSTEMES AQUATIQUES CONTINENTAUX

I.2.1. Les différentes formes de carbone

Le carbone dans les milieux aquatiques se rencontre soit sous forme dissoute (DIC, DOC), particulaire (PIC, POC), organique (DOC, POC) ou inorganique (DIC, PIC). La différence entre carbone dissous et particulaire se définit analytiquement par filtration à 0.45 µm (Meybeck, 1982). Chaque forme de carbone a une composante résultant de processus externes, et une composante résultant de processus internes au milieu aquatique.

Le carbone organique particulaire (POC) et dissous (DOC) dans les eaux

continentales est principalement d’origine externe (Meybeck, 1993; Hope et al., 1994). Les entrées externes de carbone organique dans les eaux continentales peuvent provenir directement de la végétation, au travers de la chute directe de litière (Thurman, 1985) ou de la lixiviation des acides organiques de la végétation riparienne liée au ruissellement sur les troncs et les feuilles (Koprivnjak and Moore, 1992). On considère que le DOC issu de la lixiviation des acides organiques est très réactifs et n’atteint en général pas l’océan (Meybeck, 1993). Le carbone organique dans les eaux continentales peut également provenir de la lixiviation et de l’érosion des sols et des litières (Meybeck, 1993) et du drainage des nappes phréatiques (Schiff et al., 1997; Striegl et al., 2005). Le carbone mobilisable dans les sols est issu de l’exsudation racinaire, du renouvellement des racines fines et de la chute de litière (Davidson and Janssens, 2006). Le POC peut également provenir de processus aquatiques internes, au travers de la production primaire du

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phytoplancton et des plantes aquatiques (Battin et al., 2008). Le DOC peut également provenir de l’hydrolyse du POC dans le milieu aquatique.

Le carbone inorganique particulaire (PIC) se rencontre aussi dans le milieu

aquatique sous la forme calcite ou aragonite (CaCO3) et calcites magnésiennes (CaxMg

1-xCO3). Le PIC dans les eaux continentales est issu de l’altération mécanique des roches carbonatées (Meybeck, 1993). La calcite et l’aragonite sont en équilibre avec la phase aqueuse selon la réaction suivante :

CaCO3 Ca2+ + CO32- (Eq. 1)

Ksp = [Ca2+][CO32-] (Eq. 2)

Où,

Ksp est le produit de solubilité de la calcite, de l‘aragonite, qui est également fonction de la température, de la pression et de la salinité. On définit ensuite l’indice de saturation de la calcite noté Ω :

Ω = [Ca2+]fw[CO32-]fw / Ksp

(Eq. 3)

Où,

[Ca2+]fw et [CO32-]fw sont les concentrations en Ca2+ et CO32- dans les eaux continentales considérées et Ksp est le produit de solubilité de CaCO3 dans les conditions in situ de température, de pression et de salinité (Zeebe, 2012).

La précipitation de calcite est un processus lent qui se produit rarement spontanément, sans médiation biologique. En effet, dans les rivières eutrophisées ou le pH peut excéder 9.0 pendant la journée, CaCO3 peut précipiter (Meybeck, 1993). Cependant, dans certaines conditions physico-chimiques rares, le PIC peut également précipiter sans aucune influence phytoplanctonique (Feng and Kempe, 1987). Par contre, la dissolution de la calcite est un

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phénomène très rapide qui se produit dès qu’on atteint la sous-saturation (Ω < 1) (Wollast, 1994). Ksp est fonction de la température, de la pression et de la salinité, mais une éventuelle précipitation/dissolution est généralement due au déplacement des équilibres du système acide carbonique en augmentant/diminuant le terme [CO32-](voir Eq. 10).

Le carbone inorganique dissous (DIC) est la forme majoritaire de carbone

inorganique dans les eaux continentales. Le DIC est composé majoritairement des trois espèces suivantes

- le CO2dissous, CO2(aq). - les ions bicarbonates, HCO3-. - les ions carbonates, CO32-.

Il existe également une quatrième forme mineure : l’acide carbonique (H2CO3) dont la concentration est inférieure à 0.3 % de [CO2(aq)] (les crochets représentent les concentrations) (Zeebe and Wolf-Gladrow, 2001; Zeebe, 2012). La somme de [CO2(aq)] et [H2CO3] définit alors le terme [CO2*]. Ainsi :

DIC = [CO2*] + [HCO3-] + [CO32-] (Eq. 4)

En raison des échanges avec l’atmosphère, le CO2 aqueux est en équilibre thermodynamique avec le CO2 atmosphérique (Zeebe and Wolf-Gladrow, 2001; Zeebe, 2012) (Fig. 2).

CO2(g)

CO2(aq) (Eq. 5)

K0 est le coefficient de solubilité du CO2 qui est dépendant de la température, de la salinité (Weiss, 1974). [CO2*] et la pression partielle en CO2 dans l’eau (pCO2(aq)) obéissent à l’équation [CO2*] = K0 pCO2(aq) (Zeebe, 2012). Où la pression partielle en CO2 dans l’eau

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(pCO2(aq)) est exprimée en atm et la constante de solubilité du CO2 (K0) en mol L-1 atm-1 et la concentration en CO2* en mol L-1.

Le CO2 dissous dans l’eau s’hydrate en acide carbonique, qui réagit avec les ions hydrogènes (pH = -log[H+]), et se dissocie en ions bicarbonates et carbonates à travers les équilibres suivants :

CO2* + H20

HCO3- + H+ (Eq. 6)

K1 = [H+][HCO3-]/[CO2*] = 10-pH[HCO3-]/[CO2*] (Eq. 7)

HCO3-

CO32- + H+ (Eq. 8)

K2 = [H+][CO32-]/[HCO3-] = 10-pH[CO32-]/[HCO3-] (Eq. 9)

Où,

K1 et K2 sont la première et la deuxième constante d’équilibre thermodynamique du système de l’acide carbonique en mol L-1. Ces constantes sont contrôlées par la température, la salinité et la pression.

La combinaison des équilibres entre acide carbonique et bicarbonate, et entre bicarbonate et carbonate conduit à la réaction d’équilibre suivante :

CO2* + CO32- + H2O ⇔ 2HCO3- (Eq 10)

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Figure 2 : Illustration schématique du système carbonate dans les eaux naturelles. CO2 est échangé entre les eaux naturelles et l’atmosphère au travers de l’équilibration entre pCO2(g) et pCO2(aq). Ces échanges sont régis par le gradient de pCO2 entre l’eau et l’air et k600 (i.e., la vitesse de transfert gazeuse à l’interface eau-air, voir partie I.2.2. le dégazage de carbone vers l’atmosphère). K0, K1 et K2

sont le coefficient de solubilité du CO2, la première et la seconde constante de dissociation de l’acide carbonique, respectivement.

Contrairement aux vitesses d’échanges entre gaz et liquide, de l’ordre de quelques jours, les cinétiques de réactions entre espèces dissoutes sont de l’ordre du centième de seconde (Jupin, 1996). Les différentes formes de DIC dans les systèmes aquatiques sont donc en équilibre permanent. Toute modification de la concentration d’une de ces espèces déplace les équilibres et modifie l’abondance des autres formes. Par exemple, lors d’un ajout de CO2*, la quantité d’HCO3- augmente tandis que celle du CO32- diminue (déplacement de l’équilibre vers la droite de l’Eq. 10).

L’alcalinité totale (TA) permet également de décrire le système des carbonates. TA est une forme de conservation de la masse pour l’ion hydrogène. Elle est rigoureusement définie (Dickson, 1981) comme « …le nombre de moles d’hydrogène équivalente à l’excès d’accepteur de protons (bases formées à partir d’acides faibles avec une constante de dissociation K ≤ 10-4.5 à 25 °C et une force ionique de zéro) par rapport aux donneurs de protons (acides avec K > 10-4.5) dans un kilogramme d’échantillon ». Ainsi :

TA = [HCO3-] + 2[CO32-] + [OH-] + [B-] - [H+] (Eq. 11)

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21 Où,

[B-] représente dans les eaux marines l’ensemble des bases faibles autres que les ions carbonate et bicarbonate, soit les ions borate, sulfate, fluorure. Dans les eaux continentales drainant des sols très organiques [B-] représente également les acides organiques humiques et fulviques (Abril et al., 2015).

Cependant, dans les systèmes aquatiques continentaux les concentrations en B-, OH -et H+ sont généralement négligeables par rapport aux ions carbonate et bicarbonate. Ainsi, dans de nombreuses eaux continentales (mais pas toutes) l’alcalinité totale devient l’alcalinité carbonatée (CA) :

TA = CA = [HCO3-] + 2[CO32-] (Eq. 12)

DIC et TA sont des paramètres conservatifs, i.e., leurs concentrations mesurées en unités gravimétriques (mol kg-1) ne sont par exemple pas affectées par des changements de pression ou de température, et en l’absence de réaction apportant ou retirant l’une des 3 formes CO2*, HCO3- ou CO32-, obéissent à une loi de mélange linéaire (Zeebe, 2012). Parmi toutes les concentrations des différentes espèces du système carbonate et ses différents paramètres, seulement pCO2, pH, DIC et TA peuvent être déterminés analytiquement (Dickson et al., 2007). De plus, les concentrations en OH- et la pression partielle en CO2

(pCO2) peuvent être facilement déterminées avec la constante de dissociation de l’eau et la loi de Henry. En utilisant ensuite la première (Eq. 7) et la seconde (Eq. 9) constante de dissociation de l’acide carbonique, ainsi que la définition du DIC (Eq. 4) et de TA (Eq. 12), on obtient quatre équations avec six inconnues. En conséquence, si deux de ces paramètres (i.e., pCO2, pH, DIC et TA) sont connus, le système se simplifie en quatre équations à quatre inconnues. Ainsi, tous les autres paramètres (pCO2, [CO2*], [HCO3-], [CO32-], pH, DIC et TA) peuvent être calculés pour une température, une salinité et une pression données (Zeebe and Wolf-Gladrow, 2001). Néanmoins, dans certains milieux aquatiques comme les rivières acides (pH < 6) drainant des podzols avec une forte concentration d’acides organiques, le calcul à partir de pH et TA surestime très largement les valeurs de pCO2 (i.e., de +864 à +3,180 % pour des eaux avec un pH < 6) (Abril et al., 2015). Notamment car les acides organiques sont chargés négativement et ont alors une influence sur la valeur de TA, mais aussi car dans ces eaux peu alcalines et acides, l’effet des équilibres du système carbonate sur le pH devient minoritaire par rapport à celui des acides organiques.

I. Les systèmes aquatiques continentaux et le cycle global du carbone

TA dans les eaux continentales provient majoritairement de l’altération chimique des roches silicatées et carbonatées sur le bassin versant (Meybeck, 1987; Ludwig et al., 1998; Amiotte-Suchet et al., 2003). Lors de l’altération chimique des roches silicatées, la totalité du DIC produit provient du CO2 issu directement de l’atmosphère ou indirectement au travers de la respiration de carbone organique dans le sol :

3H2O + 2CO2 + CaSiO3 (ou MgSiO3) Ca2+ (ou Mg2+) + 2HCO3- + Si(OH)4 (Eq. 13)

Lors de l’altération chimique des roches carbonatées une moitié du DIC produit vient de l’atmosphère, l’autre provient de la roche (ou du minéral) elle-même :

CaCO3 + CO2 + H20 Ca2+ + 2HCO3 -(Eq. 14)

La fraction CO2 du DIC provient de la respiration aérobie (autotrophe ou hétérotrophe) de carbone organique (i.e., CH2O) :

CH2O + O2 CO2 + H2O (Eq. 15)

Le CO2 dans les eaux continentales peut être ainsi issu de la respiration aquatique (Duarte and Prairie, 2005; Battin et al., 2008), de la respiration du sol (Raich and Schlesinger, 1992), de la respiration dans les nappes phréatiques (Craft et al., 2002) ou des échanges gazeux avec l’atmosphère (voir partie I.2.2 le dégazage de carbone vers l’atmosphère).

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