• Aucun résultat trouvé

Les formes d’action partenariale en faveur de l’innovation numérique dans le champ des

métropolitaines : analyse rétrospective et typologique

L’étude approfondie du cas rennais a permis de brosser un portrait exhaustif des activités qui sont rattachées à la politique de « smart city à la rennaise ». En effet, s’il est souvent fait mention dans les discours professionnels sur la smart city d’un « portefeuille de projets », l’intérêt a été de dépasser la simple énumération des projets pour comprendre leur nature et l’importance relative qu’ils peuvent avoir les uns par rapport aux autres. Dès lors, gouverner l’innovation renvoie certainement à une première étape de connaissance et de classification. Cette étape a été dans le cas de Rennes Métropole la principale tâche du COPIL Smart City pendant la période 2015-2020. Cependant, même si ces activités étaient connues de nos interlocuteurs, la recherche SmartRennes a produit une « mise en cohérence » de ces activités adossée à une catégorisation qui a été proposée par l’équipe de recherche.

Nous notons en préambule que la classification des activités a été à plusieurs reprises revue, suite, notamment, aux présentations qui en ont été faites dans diverses réunions acteurs-chercheurs. De même, les projets ou activités représentées ont été complétées au cours de l’enquête. Certaines ont été ajoutées suite aux entretiens réalisés qui ont permis d’identifier des actions qui n’étaient pas forcément repérées dans le périmètre du COPIL Smart City. Cette formalisation des projets dans le temps a permis d’échanger de manière fructueuse avec les acteurs de Rennes Métropole qui n’avaient finalement pas fait cet exercice de représentation et de classification des projets. Notre document a d’ailleurs été repris à l’occasion d’un travail de cartographie des projets lancé en 2020 par la direction déléguée à la smart city.

Avant de présenter les matériaux et d’en faire l’analyse, il paraît important d’expliciter la manière dont ils ont été réunis. Les projets cités en entretien ou dans les documents ont été systématiquement datés et classés en fonction de leur appartenance à différentes familles d’activité qui sont à l’œuvre dans le champ des politiques publiques :

1) Les démarches cadres (planification territoriale, stratégie territoriale) réalisées en interne,

2) Les réponses à appels à projets permettant de co-financer les ambitions politiques et les projets structurants pour le territoire, mais aussi de participer à des collectifs de travail régionaux, nationaux ou européens ;

3) Les actions/expérimentations menées en matière d’équipements et d’infrastructures de la ville (qui relèvent de l’aménagement urbain numérique),

4) Les actions/expérimentations menées en matière de gouvernance de la donnée (qui relèvent de la politique de la donnée),

5) Les actions/expérimentations menées en matière de partenariats avec les entreprises, start-ups et développeurs du territoire (réseau Fablab) et au-delà (qui relèvent de la politique de soutien à l’innovation)

6) Les actions/expérimentation de communication et de médiation numérique auprès de la population, y compris la concertation « augmentée » (qui relèvent de la politique culturelle et de la citoyenneté)

17/85

7) Les actions d’organisation et de pilotage interne de la démarche Smart City (qui relèvent d’une démarche de transition numérique de la collectivité).

Figure 2. Représentation simplifiée de la typologie d’activités relevant de la Smart City à la rennaise (source : enquête SmartRennes)

D’une manière simplifiée d’abord, a été produite une première typologie des projets et activités ayant été cités au cours de l’étude (Figure 2) puis une représentation détaillée et temporelle a été développée sous la forme d’une frise chronologique présentant une typologie plus détaillée (Figure 3) :

Ces travaux sur la classification des activités relevant de la Smart City nous permettent d’aborder la question de l’organisation de la démarche Smart City comme une politique à part entière. L’existence d’une politique de Smart City, entendue comme un démarche dont les ambitions seraient clairement formulées, avec une planification des actions et une organisation et des moyens spécifiquement dédiés n’est pas une évidence au moment où nous débutons le terrain. En effet, les référents métropolitains du projet de recherche nous parlent plutôt d’une « démarche Smart City » que d’une politique. Ce constat a donc attisé notre intérêt pour clarifier ce dont on parle lorsqu’il est question de politique d’innovation numérique sur ce territoire et en particulier de l’appellation « Smart City à la rennaise ». Le premier constat relève du foisonnement des domaines dans lesquels des innovations numériques sont intégrées :

Les innovations numériques dans le domaine de la gestion urbaine

Les équipements et infrastructures urbaines (transport, énergie, voirie, espaces publics, bâtiments, déchets, mais aussi qualité de l’air et de l’eau) qui sont des domaines opérationnels de gestion de la ville et de ses actifs (périmètre du Pôle Ingénierie et Services Urbains), sont marqués par les délégations de services publics à des opérateurs privés qui participent pleinement à la recherche et au développement des innovations numériques. Dans le cas de Rennes, c’est le délégataire de transport (Keolis Rennes) qui a été le premier à participer à une réflexion avec la métropole qui donne lieu dès 2010 à une publication des données de mobilité des TCSP, mais aussi à la publication de jeux de données en temps réel dès 2013. Les investissements en termes d’infrastructures (véhicules électriques, rames nouvelle génération) ne sont pas forcément indiqués dans ce schéma puisqu’ils sont portés par l’acteur privé, mais Kéolis Rennes participe activement au déploiement du réseau Lora et au déploiement decapteurs dans l’espace public (signalisation, compteurs, géolocalisation des véhicules, etc.) ainsi qu’à l’équipement de la ville en réseaux 4G et 5G.

Un second délégataire est fortement impliqué dans ce thème des infrastructures intelligentes : Enedis.

Grâce notamment au programme SMILE qui a permis de financer différentes expérimentations en matière de Smartgrid, les relations de plus en plus régulières entre Enedis et Rennes Métropole ont permis d’enclencher des démarches de partenariats sur ladonnée énergétique. Aujourd’hui Enedis est un acteur du projet de Service Public Métropolitain de la Donnée. Dans le cas des services en régie (eau, signalisation, éclairage et déchets) les innovations numériques ont surtout concerné la mise en place de capteurs et d’outils de gestion temps réel et à distance. Le projet du réseau LoRA (financé en partie dans le cadre de Open Energy Data) qui permet d’équiper à moindre coût les infrastructures et bâtiments de capteurs a beaucoup contribué au développement de leurs usages par les services techniques.

La logique de la gouvernance de l’innovation numérique dans ce champ d’intervention est fortement marquée par la recherche de gains de productivité et d’efficacité du service aux habitants et usagers.

Les partenariats public-privés sont très développés, les services techniques souhaitant profiter des meilleures technologies disponibles. Pourtant, une dimension expérimentale se fait jour dans le cas rennais avec le projet du réseau LoRA : réseau de transmission de faible intensité, favorisant le

déploiement de l’internet des objets en faisant appel à une technologie produite en France et maîtrisée localement. Ce « réseau IoT maison »6est une innovation qui s’est appuyée sur deux entreprises locales (Alkante et Wi6labs) avec des partenariats académiques (IRISA) et associatifs (réseau Labfab). Les usages sont envisagés ou en cours sur tous les domaines de la gestion urbaine.

Dans la lignée de ces démarches, deux projets ont été montés et proposés en 2019 à l’appel à projet PIA 3 « Territoire d’Innovation de Grande Ambition », l’un portant sur la mobilité intelligente, l’autre sur la gestion de l’eau. Il est intéressant de noter que le territoire rennais possède aujourd’hui une capacité d’innovation relativement large, sur diverses thématiques.

La gouvernance de la donnée territoriale

Ce thème renvoie aux actions qui relèvent de la production (ou l’acquisition), du traitement, des usages et du partage de la donnée. Dans ce domaine, les actions ont été concentrées sur trois projets aux objectifs différents. Le plus ancien est le portail open data de la métropole de Rennes (ouverte en 2010). Le second est le projet de jumeau numérique de la métropole qui a donné lieu à de très anciennes collaborations (depuis les années 1990) qui se sont actualisées à partir de 2014 dans un partenariat avec l’entreprise Dassault Systèmes, pourvoyeuse de services numériques variés (traitement de données, cartographie, modélisation 2D-3D, outils de collaboration, réseau social d’entreprise) combinés dans une plateforme adaptée aux enjeux des collectivités urbaines : 3D ExperienCity. Le troisième projet est intitulé Service Public Métropolitain de la Donnée et actualise la question de l’open data public en ouvrant l’ambition d’ouverture et de partage des données à l’ensemble des producteurs de données sur le territoire qu’ils soient issus du secteur public, du secteur privé, du secteur associatif, ou des citoyens.

Dans ces trois projets, l’ambition de l’innovation numérique doit être au service de la connaissance du territoire (les données décrivent les réalités du territoire, permettent de mieux les analyser et de mieux les prédire) et de son partage avec les acteurs territoriaux (publics, privés, académiques, citoyens).

Dans ces projets est apparue assez rapidement la question de la valeur des données urbaines et de leurs usages quasi exclusifs par des opérateurs spécialisés (GAFAM, etc.) pour une finalité de services qui entrent parfois en compétition avec les ambitions d’aménagement (exemple de Waze ou d’Airbnb). La gouvernance de la donnée territoriale est ici une thématique à investir afin de maîtriser les services numériques issus de la donnée territoriale (y compris la donnée personnelle), et leurs développements exponentiels ces dernières années, en les orientant vers l’intérêt général et leur pertinence par rapport aux enjeux du territoire. Ces objectifs sont différemment formulés dans le cas de la plateforme 3D ExperienCity. En effet, le jumeau numérique est ici dédié à la meilleure connaissance du territoire, à l’efficacité de la donnée territoriale au service du projet de territoire (dans toutes ses dimensions).

Ainsi, la question de l’interaction avec un géant du numérique comme Dassault Systèmes est relativement plus classique. Même si le partenariat vise à expérimenter et développer un produit logiciel afin de vérifier sa pertinence pour la collectivité, il s’agit d’un partenariat de type maître d’ouvrage-prestataire. Dans le cas du SPMD, le partenariat est une finalité en soi. Les actions menées visent à faire adhérer le plus possible d’opérateurs de la donnée aux objectifs de la politique de donnée de l’acteur métropolitain (tels qu’énoncés ci-dessus). Il s’agit d’un partenariat de type « communauté

6 https://www.journaldunet.com/economie/services/1445821-rennes-reseau-iot/

21/85

épistémique locale » (Bossy et Evrard, 2014), qui vise en premier lieu le partage des enjeux et des objectifs d’une politique de la donnée sur le territoire métropolitain.

Le soutien à l’écosystème d’innovation numérique

La politique de soutien à l’écosystème de l’innovation numérique est portée par le service stratégie, veille et marketing territorial du PSDA (pôle dédié à la stratégie et l’aménagement). La politique majeure au cours de notre phase d’enquête était celle liée à la démarche InOut visant à favoriser les expérimentations en matière de mobilité intelligente. Ce soutien à l’innovation est représentatif de la vision que peuvent avoir les élus et services de la collectivité en matière de partenariat public-privé sur les services numériques urbains. L’acteur public impulse les expérimentations par un appel à projet spécifique qui donne lieu à la réception et la sélection de candidats (TPE ou start up) qui sont ensuite accompagnés pour développer leur application ou leur service afin de tester sa pertinence. Ces appels à expérimentation existent depuis le mandat précédent (2008-2014) et sont inscrits dans la stratégie de développement économique de 2013. Ce type de démarche ne doit pas masquer le rôle majeur des réseaux d’entreprises qui sont très actifs à Rennes en matière numérique : French Tech Rennes-Saint Malo (Le Poool), les pôles de compétitivité Images&Réseaux et ID4CAR, mais aussi les « fablabs » des industriels : excelcar pour PSA, fablab d’Enedis Bretagne, fablab de Keolis Rennes, etc. La métropole fourni des cas d’usage aux entreprises et facilite l’accès aux populations pour tester (esprit du « living lab »).

L’innovation numérique est définie dans ce type d’actions par les compétences des acteurs en présence : l’appel à projet joue le rôle d’attracteur de « talents », mais la démarche d’accompagnement nécessite une grande disponibilité des services techniques notamment et pousse à améliorer la qualité des jeux de données qui sont proposés à ces développeurs. C’est à ce titre que le lien doit être fait entre la politique de soutien à l’écosystème d’innovation et la politique de la donnée.

Ces entreprises innovantes sont des utilisatrices des jeux de données territoriales. Dès lors les expérimentations soutenues ne le sont pas financièrement, mais bien techniquement (accès aux systèmes techniques, aux données et aux décideurs-clés). Le bilan de ces expérimentations est difficile à faire car il n’est pas rare qu’une innovation passe par plusieurs appels à expérimentations avant d’être suffisamment « mature » pour passer au stade du produit. C’est pourquoi dans ce domaine d’activité, il nous a semblé important de montrer dans la figure des appels à projets multiples : ceux de Rennes Métropole (InOut), mais aussi ceux des pôles de compétitivité (CADO) ou du DIVD (appel conjoint RM-DS-Images&Réseaux).

Une particularité rennaise réside également dans les activités du service numérique du PSDA en matière de soutien à l’innovation numérique citoyenne. La structuration d’un réseau des fablabs universitaires et citoyens dans leréseau Labfabpermet d’animer un écosystème plus ouvert, avec des développeurs « en herbe », des « makers » qui contribuent totalement à la réflexion sur l’innovation urbaine, mais dans une philosophie non dirigée par/vers le marché. Les hackathons très nombreux organisés chaque année, ainsi que l’événement grand public « Fabrique ! » permettent de soutenir une innovation numérique plus « émergente ». Le réseau LabFab (16 lieux dans toute la métropole) permet notamment d’assurer un lien fort avec la population, les élèves et étudiants, et les lieux d’enseignement et de recherche. L’innovation dont il est question ici n’est pas forcément 100 % numérique, mais relève

d’une démarche de partage des idées et de collaboration forte avec les usagers et citoyens (de tous âges). Le réseau Labfab participe fortement de cette politique de soutien à l’innovation numérique, même s’il dépasse la simple question des services numériques urbains pour développer les usages numériques et l’autonomie par rapport aux technologies (le réseau Labfab rennais est une politique en continuité de la politique des Espaces Publics Numériques).

La médiation urbaine et numérique

Les actions menées dans ce domaine relèvent d’initiatives portées par la Direction Communication (innovation numérique), du service Participation citoyenne (Ville de Rennes), ou encore des chargés de concertation attachés à des projets urbains (Rennes Métropole, SPLA). Le territoire rennais est marqué par une longue histoire d’expérimentations en matière de médiation numérique des projets urbains. Les usages « en concertation » d’outils de représentation (maquette 3D), d’outils interactifs (jeux vidéos), ou d’applications de réalité augmentée, sont développés depuis le début des années 2000.

Sur le dernier mandat, la mise en place d’un budget participatif a été l’occasion de développer une plateforme numérique permettant de déposer et de voter pour des projets (civic tech). Ces innovations numériques en matière de médiation urbaine devront à terme être incluses dans les plateformes : la plateforme 3D ExperienCity Virtual Rennes (2 projets DIVD ont conduit à des innovations en matière de médiation, qui n’ont pas pour l’instant été incluses), mais aussi dans la future plateforme de données territoriales (association de la démarche Rennescraft - jumeau numérique basé sur la plateforme de jeu minecraft - aux réflexions sur le SPMD).

L’action partenariale en faveur de l’innovation numérique est ainsi très multiforme. C’est certainement ce qui explique une difficulté à décrire à l’externe et à afficher une politique Smart City. En effet, le développement des expérimentations est finalement un phénomène courant dans les services de la métropole même si elles ne poursuivent pas les mêmes objectifs : efficacité du service, mise en réseau des acteurs, soutien à l’économie, animation locale, démocratie. Les partenariats publics-privés-citoyens en matière d’innovation numérique sont également très différents d’un domaine à l’autre.

Nous tentons ici de les résumer par une tentative de typologie (Tableau 3)  :

Domaine d’activité Type d’action Parties prenantes Type de partenariat

Infrastructures

Soutien à l’écosystème

Appel à innovations (I&R) Entreprises locales Financier, technique, cas d’usage (test)

Tableau 3. Typologie des activités et des types de partenariats en fonction du domaine d’intervention concerné (source : enquête SmartRennes)

Les types de partenariats identifiés ici ne le sont que sur la base d’un premier niveau d’analyse qui s’attache aux projets menés, à leurs thématiques et aux dispositifs. Nous n’intégrons pas ici le point de vue des acteurs sur ces partenariats (qui sera développé dans les chapitres suivants). Nous pouvons cependant faire le constat qu’en matière d’innovation numérique, il n’existe pas une seule culture de l’innovation, mais bien une diversité de modalités qui sont déployées en fonction des moyens disponibles, des compétences disponibles ou de l’avancement de l’expérimentation, mais aussi des finalités visées. Par rapport aux travaux précédents (programme POPSU Territoire 2013 ; Houillier-Guibert et al., 2017), nous retrouvons les 3 formes déjà identifiées à l’époque de soutien à l’innovation (le Tiers-lieux, le living lab et le réseautage/label) mais aussi la forme plus classique de la prestation de services qui montre que dans certains domaines, les technologies sont arrivées à maturité, et peuvent faire l’objet demarchés avec la collectivité. Ces premiers résultats vont être complétés par la suite par les apports de l’enquête de terrain qui permet de dépasser la démarche typologique pour entrer plus précisément dans les représentations de ces réseaux d’acteurs (chapitre 3) et les valeurs et conflits de valeurs autour de la Smart City (chapitre 4).

Chapitre 3. Le « réseau » vu par les parties prenantes de la