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C. Postulats de la formation SMAO

3. Une formation qui traite des priorités de santé publique

Orientations de l’association SMAO et de l’ONG

• Le choix de se focaliser sur la maladie mentale

Le chevauchement de la psychiatrie et de la santé mentale, élargissant ainsi son propre domaine d’intervention, encoure le risque d’un amalgame entre la maladie mentale et la médicalisation du mal être, et ceci au détriment de l’affection psychiatrique. L’extension de son spectre a pour conséquence d’envahir les demandes de consultation pour des moyens globalement constants dans leur insuffisance, augmentant les délais d’attente et repoussant petit à petit la maladie mentale, qui par définition est moins encline de par sa nature à demander des soins, et qui était déjà loin d’être prise en charge de manière optimale dans la majorité des pays du monde.

L’extension indéfinie de la discipline, naissant des soucis d’intégration de la situation de la personne dans sa globalité, ne serait-elle donc pas un frein à sa propre pratique avec une déviance de ses moyens vers une toute autre utilité ? Afin de ne pas tomber dans cette déviance, la formation SMAO a pris le parti de cibler uniquement les pathologies psychiatriques prioritaires en termes de santé publique. Malgré l’importance des avancées, notamment sur le plan scientifique, de l’ensemble des pratiques médicales, la psychiatrie est restée ambivalente, et continue de faire l’objet de perpétuels glissements de sens, cultivant, et cela souvent à son désavantage, l’équivoque entre la morale et la médecine.

La difficulté avec « la folie », c’est que du fait de ce double sens, elle est reprise, utilisée, revendiquée par plusieurs corps de métiers qui semblent en grande difficulté pour se croiser, échanger, partager, mais aussi délimiter leurs différents champs de compétences. Qu’il s’agisse du médecin, du psychologue, du psychanalyste, du sociologue, du philosophe, du judiciaire… Chacun apporte une lecture différente de la maladie mentale, tantôt de manière parcellaire et cloisonnée, tantôt de manière floue et très élargie. L’enseignement pour des praticiens de tout bord s’en trouve souvent relativement affecté, entre idéologies et difficultés de distinction entre « la folie », la « maladie mentale » la « moralité » … Les futurs praticiens peinent ainsi bien souvent à s’y retrouver.

181 Comme le suggère Hippocrate dans « De la maladie sacrée », le médecin ne peut rien quant aux phénomènes moraux. Son travail devient alors relativement complexe, si même au sein de son enseignement, la limite entre ce qui est de l’ordre de la morale et ce qui appartient au pathologique s’entremêlent. Ce conglomérat constitué de la pathologie mentale et du mal être sociétal s’entremêlent, se potentialisent souvent, au risque de conduire aux erreurs.

• Redistribution des rôles et compétences

Dans l’équipe thérapeutique, le médecin psychiatre a le plus souvent la responsabilité de l’établissement du diagnostic et des propositions thérapeutiques, et les psychologues deviennent les cliniciens du fait de la chute de la démographie médicale et de la nécessité de redistribution du travail et de délégation des tâches, en laissant la première ligne aux psychologues et infirmiers. Ce constat repose ainsi la question du rôle de chacun et de la formation reçue, qui n’est pas toujours de ce fait en adéquation entre ce qui est demandé en théorie à chacun de ces corps de métier, et ce qui sera la pratique quotidienne du personnel médical.

Avec la diminution de la démographie médicale ainsi que sa répartition peu homogène, cette problématique va de plus en plus se rencontrer, réquisitionnant notamment la redistribution des rôles de chacun, ainsi que de leurs formations qui doit les accompagner et les autonomiser dans la pratique quotidienne pour permettre des soins accessibles et de qualité.

• Une formation qui redonne une place à la psychiatrie médicale

Force est de constater l’importante stigmatisation de la profession à l’heure actuelle, y compris au sein même des professionnels, Il semble important de reréfléchir autour de pratiques et de thérapeutiques plus consensuelles, et adaptées de manière initialement universelle, y apportant dans un second temps les spécificités de chacun.

De même, au vu de la désertification médicale de certaines zones, il s’agira d’établir des façons de procéder plus protocolisées et standardisées en première ligne, afin de remettre du médical là où la médecine ne va pas/ne vas plus, notamment des zones peu peuplées, des zones où se concentrent des minorités qui sont en dehors du cercle des soins, …

182 La simplification et la diffusion des connaissances n’est donc pas un « abaissement » de la connaissance à un ensemble, mais plutôt une augmentation des compétences de l’ensemble qui exerce avec la sécurité des spécialistes, qui restent à leur place de 2ème et 3ème ligne.

Les spécialistes ainsi ne seront chargés que de la maladie mentale, ce qui permettrait de désamorcer le processus en cours de délaissement de la pathologie psychiatrique au profit de la santé mentale.

• Humanitaire et ingérence

L’humanitaire en général, quel que soit son domaine d’action, est l’objet de multiples questionnements et revendications. Son objectif est d’améliorer la condition des hommes, de porter assistance aux personnes en danger. Il s’agit d’une intervention dont les acteurs doivent veiller à respecter une certaine neutralité, et à ne pas s’immiscer sans limite dans les problématiques des pays ciblés.

Après la mise en œuvre des chartes universelles des droits fondamentaux humains, le principe d’ingérence reste cependant régulièrement transgressé, pour révéler au grand public des violations des droits humains (détournements de biens, abus de personnes…).

L’humanitaire est de règle globalisée, et concerne chaque individu, peu importent les frontières politiques, géographiques ou culturelles. Pourtant, les contestataires de ce modèle y opposent que l’anormal qui est condamnable dans un groupe ne l’est pas nécessairement dans un autre. Cette idée véhicule le concept que l’anormal psychiatrique d’ici ne serait pas forcément celui d’ailleurs. Un tel constat validerait d’une part que la maladie mentale n’est pas une entité pathologique commune à l’ensemble de l’humanité mais la cliverait en « races », mais également pourrait amener à considérer que les violences précédemment retrouvées dans l’étude sont justifiées et efficaces sur certaines catégories de personnes.

183 Des campagnes de sensibilisation et de reconversion professionnelle pour les tradithérapeutes ou dirigeants de centres de prières pourraient être organisées, leurs revenus reposant souvent sur la prise en charge des malades mentaux. Ce type d’actions existe déjà par exemple pour les exciseuses dans certains pays. Cet exemple d’intervention reflète la possibilité de modifier des pratiques inacceptables en termes de droit humain. Cependant, ce type de projet ne peut être mené à bien qu’avec l’existence d’un réseau de soins de premier recours, avec des thérapeutiques accessibles à la population.

La question de la création à l’échelle mondiale pour un accès favorisé est garantie pour les traitements psychotropes essentiels et peu coûteux pour les pathologies psychiatriques prioritaires en termes de santé publique se pose, en association avec une démystification de la psychiatrie et un engagement de ses professionnels dans l’accessibilité des prises en charge. Si la demande l’emporte constamment sur l’offre, c’est la fonction qui a créée l’organe qui « invite au fonctionnement ».

• Le respect des cultures locales

La réflexion autour de la culture est fréquemment engagée dans les missions des ONG, notamment médicales. L’objectif est d’avoir une meilleure connaissance du terrain, et d’adapter les prises en charge pour qu’elles ne soient pas mises en échec en raison de différentes représentations ou d’une mauvaise communication. Prendre connaissance des spécificités de l’autre dans son rapport à l’environnement de manière respectueuse ne doit cependant pas, sous prétexte de différences culturelles, effacer les points communs qui nous lient les uns aux autres, de notre « humanité » commune. Ces caractéristiques communes, émanant de l’appartenance de chaque homme et femme au genre humain, ne peuvent être remises en question ou contestées.

Dans le champ de la santé mentale, cette réflexion a pourtant souvent tendance à se déplacer vers une interprétation des symptômes, fonction d’une identité qui diffèrerait selon les lieux de son expression. Ne pas se « sentir autorisé à modifier » (Nathan, 2000) des prises en charge, en partageant avec des soignants internationaux des connaissances « occidentales » ne devient-il pas une marque de hiérarchisation et de différenciation entre les différents groupes humains ? D’autant que l’échange entre professionnels a toujours, de tout temps, été généralement marque de progrès et d’ouverture.

184 Des éléments d’intérêt peuvent être retrouvés dans tous les cercles de connaissance. Il ne s’agit pas de condamner ou d’idéaliser des pratiques au détriment ou au profit d’autres, mais dans le contexte actuel du Bénin et du Togo, les bafouements répétés et fréquents des droits humains fondamentaux auprès des malades mentaux ne peuvent être défendus en termes d’appartenance à un domaine culturel, et ne doivent pas faire l’objet d’« une timidité excessive dans l’action » (BiadiImhof, 2006), sous prétexte de respect de pratiques culturellement admises.

Formation et priorités de santé publique : en résumé

- Intérêt centré sur la maladie mentale.

- L’action de soin n’est pas nécessairement synonyme d’ingérence. - Respecter l’autre c’est aussi agir en faveur de ses droits fondamentaux. - Simplification et redistribution des compétences et des rôles de chacun.

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