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La formation du groupe de parents interviewés a fait l’objet d’une sélection intentionnelle de la part de la directrice visant une composition variée : mères et pères, parents plus et moins

engagés, anciens et nouveaux. Finalement, le groupe a été composé majoritairement par des

parents avec un discours assez structuré autour des sujets concernant la participation, le rôle

éducatif des parents, la méthode montessorienne et les particularités du model éducatif

proposé par la structure.

A noter comme remarque générale qu’à l’occasion de cet entretien, la plupart des participants

parle immédiatement de leurs expériences, en abordant d’emblée plusieurs sujets. Le résultat

est que le temps de présentation se confond avec le reste et que quelques participants restent

beaucoup de temps à l’écart, prenant finalement la parole sans trop de présentation.

Tableau n°10 : Groupe de parents interviewés, JE « Alicura » (CEC2) Prénom Enfant(s) dans la structure Ancienneté dans la

structure Remarques Pedro Garçon, 2 ans, 1 fille dans le passé 7 ans

Menuisier, il a collaboré pendant 3 ans à la mise en place d’un atelier de menuiserie pour les enfants. Actuellement il suit la formation montessorienne requise pour

éventuellement devenir éducateur au sein de la structure. Angélica Garçon, 4 ans, 1 autre dans le passé 7 ans

Luis Fille, 2 ans 1 an Profession libéral a temps partiel Manuel Garçon, 2 ans 1 an

Betty Garçon, 2 ans, 1 fille dans le passé 6 ans Participation marginal à l’entretien

Charo Fille, 4 ans 1 an Elle ne prend la parole que vers la moitié de l’entretien Lola Garçon, 3 ans 2 semaines Elle ne prend la parole qu’après une heure d’entretien Jimena Sexe et âge inconnue 1 an Elle ne prend la parole qu’après une heure d’entretien

6.1Valorisations du projet éducatif et du modèle pédagogique développé

Très tôt dans l’entretien, les parents parlent des caractéristiques qui font du JE un lieu

d’accueil « différent ». En évoquant des processus de recherche d’un espace « alternatif »,

certains d’entre eux soulignent les différences par rapport à des schémas plus

« traditionnels », axés sur la planification rigoureuse, les routines strictes, la

« compétition individuelle » ; des structures « qui mettent la pression aux enfants ». Au

contraire, cette structure serait marquée par une approche plus « libre », « humaine » et

« sociale », respectueuse des processus individuels, soucieuse des valeurs morales – le

respect, la solidarité –, visant « le développement intégral de la personne » plus que la

performance en ce qui concerne les apprentissages disciplinaires :

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Luis : J’avais commencé à chercher différentes types d’éducation. Et pour moi ici, l’approche Montessori est fondamentale (…). Parce qu’elle n’est pas fondée seulement sur la… discipline, mais aussi sur des aspects humains, du développement de la personne (…). C’est différent de ce qu’on trouve comme valeur centrale dans cette société (…), de former des personnes en fonction de compétences, pour la réussite économique, comme des chevaux de courses (…). Ici, c’est plutôt… la relation entre les personnes, c’est quelque chose de centrale que tu veux transmettre à ton enfant, une chose plutôt oubliée par la société actuelle.

* * *

Manuel : A l’école… ce sont 40 enfants par maîtresse !, n’est-ce pas ? Et elle ne peut pas être occupée de ce qui se passe avec chacun ! Et puis tout le temps, “Assieds-toi !, Tais-toi !”… Alors qu’ici, ils [les enfants] peuvent se distraire et… Peut-être qu’à l’école c’est tout le temps, “Étudie !” (…), et peut-être qu’ils apprennent plus des choses, mais ici… ils partent avec… d’autres choses, plus de valeurs, plus de l’amitié peut-être (…). Ici ils ne sont pas sous pression, c’est ça la différence.

* * *

Angélica : C’est un JE très social, avec les tout petits ils travaillent déjà… à aider le prochain, aux plus petits ; ici l’enfant plus grand aide le plus petit (…).

* * *

Charo : Je savais plus ou moins de quoi il s’agissait un JE traditionnel. Parce qu’ici, pour moi ce JE n’est pas… commun, rigide, qui s’attache comme ça… à quelque chose de, “Voilà aujourd’hui on va faire ceci, demain cela”. Non, ici c’est plutôt… On arrive et on fait des choses, voilà… euh, disons, ce n’est pas un cadre si rigide.

* * *

Angélica : [En parlant de ses enfants] En tant que frères aussi, parce qu’ils savent (…) qu’ils ne peuvent pas s’emparer du jouet de l’autre comme ça, qu’il faut demander (…), et que si l’autre ne veut pas, il faut respecter ! Alors moi je pense que ça, ils l’ont appris ici. Et moi j’apprécie beaucoup, parce que ça fait de mes enfants… des gens humaines, respectueux.

Dans le même sens, c’est la dimension spirituel, voire religieuse du model éducatif qui est

soulignée, en tant qu’aspect qui donne aux enfants la possibilité d’éprouver un « sentiment

d’appartenance à une communauté » (Pedro) et d’appréhender notamment la valeur de la

solidarité :

Pedro : Ici on vit des processus spirituels (…). Les rituels par exemple, sont très significatifs… Le rituel de l’anniversaire, ils s’en souviennent pour toujours…! Et ça c’est lié au sentiment d’appartenir à quelque chose… Je veux dire, un enfant qui marche avec un globe terrestre tout au tour de sa salle, il développe un sentiment d’appartenance ! “Ça c’est moi, et voilà toutes les tours qui a fait la terre autour du soleil pour arriver à mon âge”… Tu vois ? C’est cosmique !

* * *

Angélica : Dans cette communauté (…) les enfants avant de manger remercient pour leurs aliments ! Alors qu’ailleurs on ne fait pas ça. Et en fait le repas est tout un rituel, n’est-ce pas ? Pedro : Tout un rituel.

Angélica : Voilà (…), alors ce sont des valeurs… qui maintenant se perdent un peu quoi (…). Par exemple l’autre jour, nous étions autour de la table [au JE], et moi j’ai dis, “Merci Seigneur pour ce repas qu’on va manger”, et un petit, “Je veux prier pour mon papa qui en ce moment est au travail” ! Non mais c’est un truc…

Pedro : Les enfants ont incorporé le fait de prier pour autrui, en fait… C’est très important pour eux. Pour leurs copains, etc.…

Or tout en valorisant ce schéma, la structure est aussi perçue comme une espèce de « bulle »

séparée du « monde », de la société hostile autour des enfants, « qui n’est pas faite pour eux »,

qui ne se soucie pas d’une formation plus « sociale et humaine » mais des aspects purement

« techniques » de l’éducation. Cependant, même face à la crainte d’une « sortie dans le

monde » traumatisante, la formation des enfants sur le plan éthique et psycho-social est

perçue comme un important atout qui leur servira pour faire face aux nouvelles réalités, moins

protégées :

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Angélica : Mon ainé est au collège, très stressé (…). J’aimerais bien avoir les moyens de l’envoyer dans un collège Montessori, mais malheureusement je ne peux pas. Voilà un truc que j’ai toujours dit aux filles [les éducatrices], que ça me fait un peu la peine, euh, que les enfants viennent ici où ils sont… Pour moi c’est comme une bulle, tu vois ? (…) Après ils sortent au « monde », qui les absorbe (…). Ici, on dirait qu’ils avaient un éclat… qu’ensuite est détruit par la société quoi, parce que cette société est faire pour les adultes, elle ne regarde pas les enfants. C’est un système obsédé avec l’idée de faire des robots (…), mais l’aspect social, humain, s’est perdu. Alors c’est un peu triste quand ils partent vers le « monde » [elle rit un peu], moi je parle du « monde » parce qu’ici pour moi c’est un monde appart pour les petits, qui est malheureusement un peu brisé quand ils partent quoi. N’est-ce pas… ?

Pedro : Oui, ça se brise un peu [sa fille a déjà quittée la structure]… Mais l’important c’est qu’ici, les enfants développent leur personnalité. Je veux dire, être surs d’eux mêmes. Ma fille est comme ça tu vois, mais en même temps, elle est capable d’aider ses copains, de se soucier d’eux… Et ça, oui, moi je pourrais aussi le lui apprendre, “Tu sais ma chérie, il faut respecter les autres, se mettre à leur place” et tout… Mais le pratiquer et l’incorporer, c’est une autre chose quoi. Alors… Même si je sais que le système va… l’égaliser avec les autres, mais un peu… pour le pire, pour le dire ainsi… C’est un peu fort, mais c’est vrai quoi, à l’école on lui enseignait à lire alors qu’elle l’avait déjà appris ici, à quatre ans !...155 Alors ça devient ennuyant… Mais bon, à un moment donnée il y aurait quand même des choses nouvelles à apprendre, je sais… Mais finalement, voilà, je suis sur que tout ce qu’elle a vécu ici, ça va lui servir pour le reste de sa vie.

Il y a aussi une valorisation de l’approche « non-assistantialiste »

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du JE concernant

l’éducation préscolaire, conçue non comme la simple mise au point d’un dispositif d’accueil

mais plutôt comme le processus d’intégration de l’enfant et de la famille à un model

socio-éducatif relevant d’une éthique. La notion d’un « pari » pour « une éducation à égalité de

chances », dans un contexte de diversité, y est également présente :

Luis : Parce qu’ici tu te rendes compte que ce n’est pas de l’assistantialisme, de garder ton enfant pour que tu ailles travailler ; elles ne s’occupent pas d’un « problème », mais… elles essayent de compléter ce dont tu crois en matière d’éducation ! Pour moi ça c’est fondamentale dans le développement de la famille, de la personne…

* * *

Luis : Ici, on comprend que tu peux travailler dans le bâtiment, ou être un cadre, l’important c’est ton pari pour que ton enfant grandisse en égalité avec les autres ; tout le monde est reconnu comme un égaux. Alors voilà, c’est bien de sentir que l’on construit… peut-être une opportunité que tu n’as pas eue, mais qui peut se réaliser pour eux [les enfants], pour d’autres personnes.

6.2L’importance de la communauté

Toujours en relation avec l’approche éducative développée, les parents soulignent le caractère

« communautaire » du centre et sa relation avec la communauté locale. Plusieurs dimensions

y sont évoquées. Il y a d’abord la perception d’un endroit très apprécié et respecté, auquel « le

quartier tient beaucoup », qui fait partie de son histoire du fait notamment d’avoir accueilli

nombre de ses habitants :

Angélica : Dans le quartier, on apprécie beaucoup le JE. Comme tu le vois par exemple, il n’y a pas des grilles sur les vitres [elle rit] (…). Ben, c’est un peu parce que… avec tant d’enfants qui sont passés par là…

Pedro : En 18 ans d’histoire quand même !

155 Il est intéressant de noter que les avis des parents sur le « niveau » de la structure en termes d’apprentissages « formels » sont partagés : il n’est pas clair que la performance des enfants soit « meilleure » ou « pire » que dans d’autres types d’établissement. C’est qui parait clair en tout cas c’est qu’il ne s’agit pas de l’aspect plus important pour ces parents.

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