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Chapitre V. Interprétations et discussion

2. Formation de minéraux secondaires et conditions d’oxygénation

En conditions réductrices et anoxiques, la combinaison du H2S (produit par l’activité bactérienne anaérobie) et du Fe2+ (issu de la dissolution des oxydes de fer) peut mener à la formation de sulfures de fer, dont le stade le plus réduit et stable est la pyrite (Berner, 1970). Le soufre peut également s’accumuler sous forme de soufre élémentaire ou s’associer à de la matière organique pour former des composés organo-soufrés authigènes (Suits et al., 2000 et figure 16). Les mesures des différents composés soufrés dans une séquence sédimentaire du BSB couvrant les derniers 4 ka, ont montré qu’au-delà de quelques centimètres, la majeure partie du S total est accumulée sous forme de pyrite, les composés organo-soufrés et le soufre élémentaire étant progressivement transformés en pyrite (Schimmelmann and Kastner, 1992). Reimers et al. (1996) ont montré que dans les sédiments actuels, la synthèse de pyrite s’effectue dans les premiers 4 cm de sédiments et que ce minéral devient le composé soufré dominant entre 2 et 4 cm. Ce processus s’applique aussi aux sédiments de la carotte ODP 893A dans lesquels la pyrite concentre la majorité du soufre. En outre, ce minéral s’accumule préférentiellement dans les lamines, tandis que les composés organo-soufrés sont relativement plus importants (mais toujours minoritaires) dans les sédiments bioturbés (Brüchert et al., 1995).

Les mesures élémentaires de la carotte MD03 ont révélé de fortes concentrations en S total dans les intervalles laminés pauvres en minéraux magnétiques à 11-11,2 et 13-15 ka BP. Les caractéristiques de la diagénèse des composés soufrés dans les sédiments du BSB,

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présentées ci-dessus, montrent que le soufre est principalement accumulé sous forme de

pyrite dans ces intervalles. Notre étude magnétique a également révélé l’existence de

nombreux niveaux enrichis en sulfures ferrimagnétiques, dans des sédiments laminés et non laminés (figure 7) caractérisés par de fortes quantités de fer et de faibles quantités de soufre.

La formation de sulfures de fer est déterminée par les disponibilités en fer dissous (rarement limitant) et en H2S, qui dépendent du taux d’oxygénation et des apports en MO (Suits et al., 2000 et figure 16). La présence de pyrrhotite (Fe7S8), de greigite (Fe3S4) ou de pyrite (FeS2) caractérise des quantités croissantes de H2S Berner et al. (1970).

Figure 16 : Diagramme schématique de formation des différents types de composés soufrés dans les sédiments. L’appellation « S organique » signifie ici « composés organo-soufrés ».

Schematic diagram of formation of the different species of sulfur compounds in the sediments: sulfides, elemental S, authigenic organic S, relict organic S. Organic S means here organic-bounded sulfur.

Ces observations amènent à se poser la question suivante : dans la MD03, la présence de pyrite entre 13 et 15 ka BP et de sulfures ferrimagnétiques pendant l’Holocène résultent elles de variations des apports en matière organique ou des conditions d’oxygénation ?

La reconstitution des flux de matériel biogénique dans le BSB depuis le dernier maximum glaciaire a été établie à partir des enregistrements de carbone organique et de carbonates biogéniques de la carotte ODP 893A (figure 10 et Gardner and Dartnell, 1995). Ces deux composantes sont peu concentrées dans les sédiments jusqu’à 11 ka BP, puis la quantité de

S minéral Fe7S8 Fe3S4 FeS2 (+ H2S) 02 Corg + (SO4) 2-Fe2+ Dissolution oxydes H2S Activité Bactérienne S élémentaire S organique authigène S organique hérité

Conditions d’oxygénation et apports terrigènes dans le Bassin de Santa Barbara 108 anoxique 16 16.7 17.2 17.7 18-18.5 21 22.3 29.6-30.4 30.8-31.2 32.2-32.1 <0.1 ml/l >0.3 ml/l dysoxique oxique anoxique <0.1 ml/l >0.3 ml/l dysoxique oxique 20 40 60 80 100 120 140 Sulfures Ferrimagnétiques (a) 0 5 10 15 20 25 30 35 ARI/ K (A/m) 0 2000 4000 6000 8000 S Total (c) S (coups/s) 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4 Indice de bioturbation (b)

Figure 17 : Comparaison de l’indice de sulfures ferrimagnétiques ARI/K (a), de l’indice de bioturbation de Behl et Kennett (1996) (b) et de la quantité relative de soufre total (c). Les intervalles contenant des accumulations de pyrite sont sous-lignés en rose, ceux contenant des sulfures ferrimagnétiques sont sous lignés en bleu. Les compléments proposées de l’indice de bioturbation basés sur les sulfures ferrimagnétiques sont matérialisées par des pics pointillées marron dont l’âge est précisé.

Comparison of the index of ferrimagnetic sulfides IRM/K (a) with the bioturbation index (Behl and Kennett, 1996) and the relative content of total sulfur (c). The intervals containing pyrite accumulations are underlined in pink, those containing ferrimagnetic sulfides are underlined in blue. Complements of the bioturbation index, based on ferrimagnetic sulfides identification, are indicated as brown broken lines whose ages are precised.

CaCO3 augmente abruptement et reste forte durant l’Holocène tandis que celle de Corg augmente graduellement. L’abondance et la composition des coccolithes (nanoplancton carbonaté) dans les sédiments de la MD03 ont été interprétées comme des indicateurs de productivité primaire (Cuven, 2003) et montrent un signal similaire à celui du profil de

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Corg, interprété comme marqueur des flux de matière organique (Ivanochko and Pedersen, 2004). Il apparaît donc que ces données sont convergentes et seront utilisées comme indice d’apports de matière organique pour l’intervalle temporel considéré, bien que l’intégration des variations de quantité de silice biogénique soit nécessaire à une reconstitution synoptique des variations de productivité primaire.

L’étude de Behl and Kennett (1996) puis celle d’Ivanochko and Pedersen (2004), basée sur des mesures de métaux sensibles aux conditions redox, ont montré que les eaux du BSB étaient plus pauvres en O2 durant l’intervalle 13-15 ka BP que pendant la majeure partie de l’Holocène. Ceci est conforté par l’observation de lamines dans la MD04 (sur le seuil du bassin) à la même période, indiquant une remontée de la redox-cline (limite entre les eaux oxiques et dysoxiques) à une profondeur inférieure d’au moins 425 m.

Le BSB a donc vraisemblablement connu des conditions d’anoxie particulièrement sévères (sans augmentation des apports organiques) entre 13 et 15 ka BP et des conditions suboxiques à anoxiques (accompagnées de quantités plus importantes en matière organique) durant l’Holocène. Ceci suggère que la formation de sulfures de fer plus ou moins réduits dépend principalement du taux d’O2 dissous : les conditions anoxiques de l’intervalle 13-15 ka BP ont conduit à la formation de pyrite tandis que les conditions suboxiques de l’Holocène ont conduit à la formation de sulfures ferrimagnétiques. En revanche, les quantités de matière organique apportées ne présentent pas de liens cohérents avec la formation des différents types de sulfures de fer.

Sur la base de cette hypothèse, l’indice de sulfures ferrimagnétiques ARI1T/K (figure 17a) a été comparé à l’indice de bioturbation de Belh and Kennett (1996) (17b) et à la quantité relative de soufre total (16c) dans la séquence MD03. Il apparaît que :

i) les niveaux enrichis en sulfures ferrimagnétiques de la période Holocène correspondent aux phases d’amélioration de l’oxygénation, c’est à dire au faciès 3 ([O2] ~0,2 ml/l) ;

ii) les niveaux enrichis en soufre total (et donc en pyrite) correspondent à des phases anoxiques, c’est à dire au faciès 2 ([O2] ~0,15 ml/l) ;

iii) des niveaux enrichis en sulfures ferrimagnétiques ont également été détectés entre 32,2 et 29,6 et entre 22,3 et 16 ka BP, dans des sédiments bioturbés, à faciès oxiques (faciès 4 où [02] > 0,3 ml/l d’après Belh et Kennett, 1996). Nous proposons que ces niveaux se soient plutôt formés dans des conditions environnementales proches de celles

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du faciès 3 (comme dans les niveaux holocènes). Un complément de l’indice de bioturbation de Behl and Kennett (1996) peut être ainsi proposé en figure 17.

La présence de pyrite peut aussi être suspectée dans les niveaux laminés dysoxiques à anoxiques (faciès 3 et 2) entre 32,1 et 27,7 ka BP, entre 23,2 et 24 ka BP et entre 10,2 et 6 ka BP, sans sulfures ferrimagnétiques et où le soufre n’a pas pu être mesuré.

Synthèse

L’utilisation conjointe des propriétés magnétiques et des concentrations relatives d’éléments majeurs et traces dans les sédiments de la carotte MD03 procure un enregistrement indépendant et précis des conditions d’oxygénation au cours des derniers 35 mille ans. Cette reconstitution est en accord avec les travaux de Behl et Kennett (1996) au cours des derniers 15 ka : la période du Bölling-Allerod (15-13 ka BP) est caractérisée par une forte anoxie (qui s’étend jusqu’à une profondeur d’environ 400 m) et est suivie par une phase de bonne oxygénation pendant le Dryas récent (12,5-11 ka BP). L’Holocène (de 11 ka BP à l’actuel) est marqué par une alternance de phases anoxiques et dysoxiques. En revanche, nous avons détecté entre 33 et 29 ka BP et entre 23 et 16 ka BP de nombreux niveaux dysoxiques, dans des sédiments non-laminés (bioturbés) et initialement classés comme oxiques. Le développement de conditions dysoxiques dans des sédiments non laminés implique un des processus suivants:

i) les conditions de nutrition et de températures étaient favorables au développement d’une faune benthique ayant bioturbé ces sédiments, bien que les taux d’oxygènes soient aussi faibles que durant l’Holocène,

ii) la saisonnalité était très réduite et les dépôts ne se faisaient plus selon une dynamique saisonnière marquée, ne formant plus de lamines,

iii) les apports en matière organique étaient réduits et ne permettaient pas la formation des lamines (qui est liée aux variations de conditions rédox induite par la minéralisation de la matière organique, voir van Geen et al., 2003). Enfin, l’intervalle anoxique à 28 ka BP semble particulièrement sévère puisqu’il s’étend à des couches d’eau plus superficielles (comme indiqué par la présence de lamines à 28 ka BP dans la MD04).

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