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Chapitre 2. État de l’art

D. Description des forces en jeu lorsqu’un champ électrique alternatif est appliqué

2. Force de diélectrophorèse

a) Description théorique de la force de diélectrophorèse

Sous l’effet d’un champ électrique non uniforme, des particules neutres mais polarisables en suspension dans un liquide sont soumises à une force qui les attire ou les repousse des électrodes. Ce phénomène a été théorisé par Pohl dans les années 50 [108], qui lui donné le nom de diélectrophorèse (DEP). Cette force est basée sur la différence entre les propriétés électriques des particules (permittivité et conductivité), et celles de leur milieu. La plupart des objets biologiques se polarisent et se comportent ainsi comme des dipôles induits sous l’effet d’un champ électrique. La moyenne temporelle de la force diélectrophorétique FDEP qui

s’applique sur une particule sphérique de rayon r dans un champ électrique E est exprimée de la façon suivante :

〈𝑭𝑫𝑬𝑷〉 = 2𝜋𝜀𝑚𝑟3𝑅𝑒[𝐶𝑀]∇|𝑬|² Équation 2-26

Où εm est la permittivité du milieu liquide, et Re(CM) est la partie réelle du facteur

de Clausius-Mossotti (CM), qui s'exprime de la façon suivante :

𝑅𝑒(𝐶𝑀) = 𝑅𝑒 (𝜀𝑝 ∗ − 𝜀 𝑚 ∗ 𝜀𝑝+ 2𝜀 𝑚 ∗ ) Équation 2-27 Avec 𝜀∗ = 𝜀 − 𝑗𝜎 𝜔 Équation 2-28

Où 𝜀𝑝∗ et 𝜀𝑚∗ représentent respectivement les permittivités complexes des particules

et du milieu, qui dépendent des permittivités 𝜀 , des conductivités 𝜎 et de la fréquence angulaire du champ électrique 𝜔. La DEP permet donc de manipuler sans contact des objets en suspension dans un milieu liquide, avec une force proportionnelle au gradient du champ au carré et dans un sens dépendant du signe

44 de la partie réelle du facteur de CM (donc de la fréquence du champ électrique et des propriétés diélectriques de l’objet et de son milieu d'immersion).

La Figure 2-14 [109] illustre les deux cas de diélectrophorèse qui se présentent en fonction du signe de la partie réelle du facteur de Clausius-Mossotti.

Figure 2-14 : pDEP, la particule est plus polarisable que son milieu d'immersion. Le champ électrique étant non uniforme, la force sur chaque pôle du dipôle induit est asymétrique. Il en résulte une force dirigée vers les zones de fort champ électrique. B : nDEP, la particule est moins polarisable que le milieu. La force de DEP est dirigée vers les zones de faible champ électrique. Adapté de [109]

Si ce terme est positif (particule plus polarisable que le milieu), le moment dipolaire est dirigé vers la zone de faible champ, et les objets sont attirés par la force de Coulomb vers les zones de fort champ électrique, c’est-à-dire à proximité de l’électrode la plus petite (Figure 2-14A). Lorsque ce terme est négatif, le moment dipolaire est dirigé vers la zone de fort champ et les objets sont repoussés vers les zones de faible champ électrique, c’est-à-dire loin de la petite électrode (Figure 2-14B). Ces cas sont respectivement nommés diélectrophorèse positive (pDEP) et diélectrophorèse négative (nDEP). La fréquence pour laquelle la courbe de la partie réelle du facteur de Clausius -Mossotti en fonction de la fréquence passe par zéro est appelée fréquence de transition. Pour cette fréquence, la force de DEP est nulle. Si deux types d’objets ont des propriétés électriques suffisamment différentes (i.e. un facteur de Clausius-Mossotti différent), il est possible de trouver une fréquence pour laquelle FDEP n’a pas le même sens pour chaque objet. Cet effet est utilisé pour

le tri d’objets biologiques et la séparation de particules notamment [79], [110], [111]. Savoir évaluer le facteur de Clausius-Mossotti est donc essentiel si l’on veut modéliser le comportement d’objets biologiques sous l’effet de la diélectrophorèse. Pour des particules simples comme des billes de latex, l’Équation 2-27 suffit à estimer CM.

45 Pour des particules plus complexes comme des cellules, il faut prendre en compte le fait qu’une cellule n’est pas composée d’un seul matériau aux propriétés électriques uniformes, elle possède une structure hétérogène. En première approximation, une cellule est souvent présentée comme une membrane isolante entourant un cytoplasme conducteur, comme le décrit la Figure 2-15 [112].

Dans ce modèle, le cytoplasme (𝜎𝑖𝑛, 𝜀𝑖𝑛) est contenu dans une membrane (𝜎𝑚𝑒𝑚𝑏, 𝜀𝑚𝑒𝑚𝑏) d’épaisseur e et de rayon Rcell. La permittivité complexe de la cellule s’exprime de la façon suivante [113]:

𝜀𝑐𝑒𝑙𝑙∗ = 𝜀𝑚𝑒𝑚𝑏∗ { ( 𝑅𝑐𝑒𝑙𝑙 𝑅𝑐𝑒𝑙𝑙 − 𝑒) 3 + 2 ( 𝜀𝑖𝑛 ∗ − 𝜀 𝑚𝑒𝑚𝑏 ∗ 𝜀𝑖𝑛∗ + 2𝜀𝑚𝑒𝑚𝑏∗ ) (𝑅𝑐𝑒𝑙𝑙 − 𝑒𝑅𝑐𝑒𝑙𝑙 ) 3 − 2 ( 𝜀𝑖𝑛 ∗ − 𝜀 𝑚𝑒𝑚𝑏 ∗ 𝜀𝑖𝑛+ 2𝜀 𝑚𝑒𝑚𝑏 ∗ )} Équation 2-29

Pour retrouver le facteur de Clausius-Mossotti et la force diélectrophorétique correspondante qui s’exerce sur une cellule, il suffit de remplacer 𝜀𝑝 par l’Équation

2-26 dans l’Équation 2-24. Dans ce manuscrit nous utiliserons le logiciel MyDEP [114], développé au laboratoire Ampère en collaboration avec l'EPFL, pour calculer ce facteur sur une plage de fréquences choisie.

Dans le cas des bactéries, la composition de leur membrane est très différente de celle des cellules. Le modèle d’une membrane entourant un cytoplasme ne suffit pas. Il faut utiliser un modèle à deux ou trois membranes, selon le type de bactérie

Figure 2-15 Modèle de la cellule monocoque composée d’une membrane et d’un cytoplasme. Adapté de [109]

46 étudié. La modélisation de bactéries sera décrite plus en détail dans le chapitre consacré aux simulations.

b) Cas des petites particules : prise en compte de la conductivité de surface

Dans le paragraphe précédent, nous avons décrit la force diélectrophorétique comme dépendant des conductivités de la particule et du milieu seulement. Or, dans le cas de particules de taille inférieure à 1 µm, le comportement diélectrophorétique peut être fortement affecté par des effets de mouvements d’ions à la surface des particules. En 1999, Hughes et al. [115] étudient le comportement diélectrophorétique de billes de latex de 216 nm de diamètre dans le même milieu de suspension, mais avec différentes modifications chimiques de surface. Les trois types de billes étudiées dans cette expérience sont :

• des billes telles que fournies par le fabricant, sans modification

• des billes avec activation de surface par EDAC (1-ethyl-3-(3- dimethylaminopropyl) carbo- diimide)

• des billes fonctionnalisées avec des anticorps IgG.

Pour chaque type de bille, la Figure 2-16 montre la fréquence de transition déterminée expérimentalement en observant le mouvement des particules sur le bord d’électrodes crénelées. Pour des fréquences suffisamment basses, le champ électrique perturbe la charge de la double couche ionique à l’interface particule/milieu, ce qui affecte la polarisation de la particule. La conductivité effective d’une particule sphérique σp s’exprime en fonction de la conductivité

interne la particule σpbulk, de la conductance de la couche diffuse Kds, et la

conductance de la couche de Stern Kis :

𝜎𝑝 = 𝜎𝑝𝑏𝑢𝑙𝑘+2𝐾𝑠

𝑖

𝑟 +

2𝐾𝑠𝑑

𝑟 Équation 2-30

Dans le cas de billes de latex, σpbulk est négligeable. Les effets de conductivité de

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Figure 2-16 : Fréquence de transition en fonction de la conductivité pour des billes latex de 216 nm de diamètre. (i) : billes sans modification de surface. (ii) : billes avec activation par EDAC. (iii) : billes fonctionnalisées IgG. [115]

La modification chimique de surface d’une particule modifie sa charge surfacique, et donc l’adsorption de contre-ions dans la couche de Stern [116]. Cela explique les différences dans les fréquences de croisement observées en Figure 2-16.

Dans le cas d’objets biologiques de plusieurs microns de diamètre comme des cellules eucaryotes, la contribution de la conductance de surface à la conductivité totale de la cellule est négligeable. Cette conductivité devient prépondérante dans le cas de nano-objets tels que des virus, des brins d’ADN ou biomolécules. Les bactéries, qui ont une taille de l’ordre du micromètre, sont un cas intermédiaire. À notre connaissance, la conductance de surface des bactéries dans la littérature est négligée lorsque la force diélectrophorétique est calculée [117]. Négliger ce paramètre peut expliquer en partie les divergences entre la fréquence de croisement calculée théoriquement, et celle trouvée expérimentalement [118].