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Les fondements d'une croyance durable

Malgré les inefficiences induites par le modèle dominant et le faible pouvoir explicatif de ce

dernier (sections 2 des chapitres 1 et 2), il continue de se renouveler et d'avoir un impact réel

sur l'économie : il y a une performativité durable des conceptions de l'entreprise comme

réseau de contrats et comme objet de propriété des actionnaires (sections 3 des chapitres 1 et

3). Comment expliquer ce paradoxe ?

Au premier abord, cette survie du cadre constitutionnel et juridique libéral s'explique par

l'évolution du contexte historique : un phénomène d'inertie des institutions suivi d'une

évolution des rapports de pouvoir favorable aux défenseurs de l'idéologie dominante (1.).

Mais une telle explication ne permet pas de justifier l'ampleur du fossé entre théorie et réalité

et le niveau d'inefficiences atteint. À partir des travaux de Castoriadis, on peut considérer que

ce maintien de l'idéologie dominante provient de l'incapacité des Occidentaux à penser en

dehors des catégories occidentales contemporaines de la pensée : c'est la congruence du cadre

constitutionnel libéral avec les croyances fondamentales de la société contemporaine qui

permet à ce cadre de survivre malgré son inadaptation manifeste aux rapports

socio-économiques réels (2.).

1. Un phénomène d'ordre historique

Dans un premier temps, un effet d'inertie a retardé la prise en compte de nouvelles réalités qui

n'existaient pas lorsque le cadre originel a été créé : la figure socio-économique de l'entreprise

étant advenue dans un cadre institutionnel non vierge, les conceptions préexistantes perdurent

(1.1.). Cependant, on ne saurait expliquer le regain de ces conceptions dans les dernières

décennies : à l'inverse, cette hypothèse d'inertie devrait se traduire par le remplacement

progressif par un nouveau cadre. Cela devient compréhensible si on analyse l'évolution

historique des rapports de pouvoir entre les promoteurs de l'idéologie dominante et leurs

opposants (1.2.).

1.1. L'hypothèse d'inertie institutionnelle

Selon Hatchuel et Segrestin (2009), le maintien de l'emprise de l'idéologie libérale sur les

catégories qui structurent l'activité économique se traduit par des effets pervers durables qui

induisent une double crise : « une crise de légitimité d'une part, puisque l'entreprise est

accusée de ne plus assumer ses responsabilités, de provoquer des externalités négatives et de

causer des injustices ; une crise d'efficacité d'autre part, dans la mesure où le gouvernement

des entreprises est accusé de favoriser le court terme au détriment de la pérennité et du

développement de l'entreprise ». Ainsi, l'institution "entreprise" est critiquée autant en raison

de son efficience interne que de son impact sur son milieu. Comment peut-on expliquer que

malgré cette double crise, la conception dominante continue de se renforcer ?

Tout d'abord, on peut faire l'hypothèse d'un effet d'inertie : ce serait parce que l'entreprise s'est

développée dans un cadre juridique qui a été solidement construit à une époque où elle

n'existait pas, qu'elle serait contrainte de faire avec ce cadre inadapté. En effet, l'ensemble des

codes sur lesquels la régulation de l'économie repose est issu d'une période où la grande

entreprise n'existait pas et où la relation contractuelle entre individus était effectivement

dominante. « Lorsque le code du commerce introduit la notion de société anonyme en 1807

dans le droit, l'entreprise moderne n'existe pas. Pas plus qu'elle n'existe lorsque la SA est

libéralisée avec la loi de 1867 » (Hatchuel, Segrestin, 2009: 221). De même, le contrat de

travail n'a pas encore acquis de spécificité en 1867 : le contrat fait encore du travailleur « le

négociant de sa propre force de travail » (Supiot, 1994). Le modèle dominant reste le travail

et la rémunération à la pièce et les ouvriers, bien que rassemblés dans un même lieu où sont

stockées les machines, réalisent essentiellement des travaux individuels qui les placent dans

une situation proche d'un échange marchand bilatéral. La première loi sur les licenciements

collectifs n'intervient qu'en 1890. Auparavant, il existait des lois telles que sur le travail des

enfants dès 1841, mais ces lois venaient simplement réduire la liberté contractuelle entre deux

individus, sans dépasser pour autant la forme contractuelle.

Hatchuel et Segrestin notent en par ailleurs que le terme même "entreprise" ne connaît une

croissance qu'à partir de 1880 : alors que de 1500 à 1880, il y a moins de 20 ouvrages par an

qui comportent ce mot dans leur titre dans le catalogue de la BNF, ce nombre passe à 120

entre 1880 et 1920 : « c'est à cette époque que "l'entreprise" se développe à la manière d'un

raz-de-marée : toute l'activité économique et commerciale se décrit et s'organise autour de la

notion d'entreprise, depuis les plus petites organisations jusqu'aux gigantesques

conglomérats ». Ainsi, l'entreprise « s'est construite après et à côté du droit des sociétés, et en

se soustrayant aux régimes d'action de la société ». L'effort de constitution d'un droit moderne

ayant été réalisé avant le développement de l'entreprise comme réalité socio-économique

particulière, ce cadre législatif demeure malgré l'apparition de cette nouvelle réalité. L'État ne

reconnaissant pas de qualification juridique particulière à cette nouvelle forme

socio-économique, l'entreprise est contrainte de fonctionner à partir du droit commercial qui est un

écran, empêche de voir l'originalité de l'entreprise. L'inertie est importante : le droit maintient

« l'ancienne économie politique où les actionnaires sont ensemble propriétaires de l'affaire »

(Hatchuel et Segrestin, 2009: 229). Plus généralement, l'objectif du résultat comptable est

rarement contesté, même dans bon nombre d'approches critiques, comme si l'on s'accordait à

reconnaître que le résultat tel qu'il est calculé constitue toujours une bonne synthèse pour

évaluer la gestion. Quoique le décalage est immense entre une idéologie en termes de droits

de propriété et de contrats censés protéger les droits naturels et sacrés des individus et la

concentration colossale du pouvoir de décision dans les entreprises, la doctrine continue de

défendre le cadre idéologique originel en ne reconnaissant pas l'entreprise comme forme

socio-économique particulière, distincte de la société.

« Nous vivons donc toujours avec le schéma constitutionnel et juridique théorique hérité des

conceptions philosophiques du XVIIIème siècle – qui ne connaît que l'État comme instance

de pouvoir, arbitre des conflits pouvant surgir entre individus – alors qu'une de ses hypothèses

de base – l'absence de corps intermédiaires – a été invalidée par le développement des

entreprises » (Robé, 1999: 100). Pourtant, dans certains pays tels qu'en Grande Bretagne avec

la doctrine travailliste, un lobbying actif a tenté de promouvoir la notion d'entreprise afin de

défendre la légitimité des salariés à contrôler et sanctionner la gestion, ce qui n'est pas

possible dans un cadre sociétaire, dont ils ne font légalement pas partie. En France, certains

juristes tels que Savatier tentent péniblement de faire évoluer la doctrine à l'image de cette

citation de 1982 : « le chef d'entreprise, qui a la responsabilité de la bonne marche de

l'entreprise, doit disposer des pouvoirs nécessaires pour cela. Mais ces pouvoirs,

correspondant à une fonction sociale, ne peuvent être exercés que dans l'intérêt de

l'institution, c'est-à-dire de l'entreprise » (Savatier, 1982). Ces tentatives sont parfois intégrées

aux rapports officiels, tels que le rapport Viénot de 1995 qui parle d'un intérêt général

commun dans l'entreprise, qui est d'assurer la prospérité et la continuité de l'entreprise », mais

de tels propos ne débouchent pas sur des mesures concrètes. Pourtant des procédures peuvent

être pensées pour favoriser la prise en compte de l'ensemble des intérêts affectés dans

l'entreprise, par la construction d'un intérêt qui serait celui de l'entreprise dans son ensemble

et non celui des individus qui la composent. Le fonctionnement du système économique ne

reconnaît a priori que les normes officielles d'origine étatique, mais il est incompréhensible si

on n'intègre pas les entreprises comme productrices de droit

36

. Un tel écart ne saurait

s'expliquer uniquement par une hypothèse d'inertie. C'est donc ailleurs qu'il faut rechercher

une explication plausible.

1.2. Évolutions des rapports de force des promoteurs et de leurs

opposants

La période actuelle est caractérisée par l'emprise incontestée du libéralisme économique

comme mode dominant d'organisation des rapports socio-économiques. Elle se distingue donc

des périodes précédentes où soit des structures sociales traditionnelles, soit des idéologies

alternatives constituaient des obstacles à cette emprise. On peut lire cette succession de

périodes comme le passage d'une croyance radicale (Dieu) à une nouvelle croyance radicale

(la Raison). En effet, selon Castoriadis, toute société est caractérisée par une croyance qu'il

appelle institution imaginaire radicale. La Raison constitue l'institution imaginaire radicale de

la société moderne occidentale : il s'agit de « la représentation sociale d'une origine

extra-sociale de l'institution de la société (origine imputée à des êtres surnaturels, à Dieu, à la

nature, à la raison, à la nécessité, aux lois de l'histoire ou l'être-ainsi de l'Être) » (Castoriadis,

1975: 537) :

• cette croyance en l'organisation rationnelle du monde contribue à ordonner les

activités humaines (« institution »),

• elle détermine les schèmes (paragraphe 2.), structures mentales sous-jacentes qui

constituent une manière systématique de se représenter le réel et d'agir, c'est-à-dire qu'elle

constitue les « racines » des représentations,

• elle est un produit de « l'imagination » et non une donnée du réel.

Une croyance peut avoir deux facettes : à la fois un facteur d'émancipation et un facteur

d'auto-aliénation. La dimension créatrice, l'imagination, permet de penser autre chose que ce

qui existe, c'est-à-dire d'émanciper l'être humain des contraintes de son environnement. C'est

36 Ajoutons à cet aspect d'inertie la prise en compte de l'intérêt bien compris des entreprises et des Etats. Les

entreprises ont intérêt à rester dans cette situation relativement informelle puisqu'elles peuvent ainsi édicter

des normes globales sans en assumer les conséquence et sans soumettre leur pouvoir à un processus

démocratique reconnaissant les intérêts des individus impactés par leurs normes. Quant aux États et à leurs

hommes politiques protègent ainsi leur souveraineté officielle (Robé 1999: 102).

d'ailleurs là une caractéristique fondamentale des êtres humains que de pouvoir penser

au-delà du réel pour le transformer selon Castoriadis. Mais ils tendent à naturaliser les croyances

qu'ils posent, de sorte que leur imagination les conduit paradoxalement à s'auto-aliéner :

certes ils construisent eux-mêmes leur prison, mais cela reste une prison. Ainsi, concernant la

société occidentale contemporaine, Castoriadis (1978: 169) affirme que « l'homme de la

science positive est naïvement prisonnier d'une vieille métaphysique, si bien assimilée qu'il en

a oublié non seulement le nom, mais jusqu'à l'existence » : la rationalité du monde est

totalement naturalisée. Ou encore, « comme toute institution, la science est inertie soutenue

par un mythe : (…) mettre en question sa valeur, ses méthodes, son orientation, ses résultats

équivaut à l'iconoclasme » (1978: 282). Plus généralement, « il est impossible de mettre en

question le monde propre de la tribu. Cela non pas parce qu'il y a violence et répression, mais

parce qu'une telle mise en question est psychiquement et mentalement inconcevable pour les

individus fabriqués par la société en question » (1997: 205).

Toute période de transition entre une institution imaginaire et une autre peut permettre de

faire l'expérience de l'autonomie. L'hétéronomie dominante étant critiquée, son emprise

devient limitée, tandis que les nouvelles hétéronomies sont encore peu stabilisées de sorte

qu'on peut participer à leur constitution. La période de construction des nouvelles normes est

une période de grande créativité, mais cette créativité n'induit pas nécessairement de

changement structurel dans le rapport des êtres humains à leurs institutions : elle est une

période conjoncturelle de transition de structures anciennes à des structures nouvelles. Le fait

de changer d'hétéronomie donne l'illusion de l'autonomie, mais « ce qui est en jeu n'est pas

seulement le contenu de ce qui doit changer (…) mais autant et plus notre rapport à

l'institution ; aucun changement n'est désormais concevable qui ne serait en même temps

changement de ce rapport » (1978: 285).

Les rapports de force ont historiquement évolué en faveur des promoteurs de l'idéologie

libérale. D'une part, ces promoteurs se sont heurtés à l'inertie des structures sociales

traditionnelles. Mais ces dernières se sont progressivement estompées : les individus se sont

émancipés de leurs familles, communautés villageoises, rapports féodaux, corporatismes et

autres institutions d'appartenance, que ce soit grâce aux nombreuses institutions et techniques

précisément destinées à la mobilité sociale des personnes ou en raison de périodes de forte

mobilité telles que les guerres mondiales. Le pouvoir de formation des esprits par la religion a

également fondu face à la montée de l'école laïque nourrie sur du scientisme. D'autre part,

l'idéologie libérale a longtemps été en concurrence avec plusieurs idéologies alternatives. Ces

idéologies alternatives revendiquant souvent la notion de progrès se sont d'ailleurs trouvées

alliées du libéralisme économique pour accélérer la disparition des structures traditionnelles.

Mais elles étaient également en concurrence entre elles. En effet, le 19ème siècle a été

marqué par l'émergence de plusieurs courants idéologiques dans un contexte d'effervescence

des mouvements sociaux, grisés par la possibilité de remplacer un cadre institutionnel par un

nouveau cadre. Les structures traditionnelles ayant progressivement perdu toute emprise

suffisante pour faire société, le libéralisme économique n'a plus eu qu'à triompher des

idéologies concurrentes de sorte qu'il n'y a plus eu d'opposition significative à ce libéralisme.

Les syndicats, coopératives et mutuelles nées de l'associationnisme du 19ème siècle ont

longtemps pris en charge ce qui était ignoré par les institutions du libéralisme économique. Or

ces institutions n'ont progressivement plus bénéficié des dynamiques des mouvements

sociaux, soit parce qu'ils s'en étaient coupés, soit parce que les mouvements sociaux

eux-mêmes se sont éteints. Dans la deuxième moitié du 20ème siècle, l'atonie sociale (Prades

2006) fait que le libéralisme économique devient livré à lui-même sans contestation. En effet,

on peut faire l'hypothèse que la période d'effervescence liée au renversement progressif des

anciennes structures sociales et à la concurrence des nouvelles structures sociales entre elles

se clôt avec la domination durable d'une structure dominante, en l'occurrence l'idéologie

libérale. On assiste alors à un renforcement du pouvoir et de l'emprise des institutions

économiques (Lebaron 2000). Les Trente Glorieuses peuvent être comprises comme une

période d'institutionnalisation accélérée du libéralisme économique, à l'issue de laquelle la

Raison comme nouvelle institution imaginaire radicale bénéficie d'un ancrage incontesté. En

effet, le libéralisme économique est une manifestation directe de cet imaginaire (paragraphe

suivant).

2. Un phénomène d'ordre civilisationnel : la puissance du

référentiel rationnel

Alors que le scientisme hérité des Lumières consistait à penser que l'homme allait s'affranchir

des croyances grâce à sa raison, Castoriadis montre que ce parti pris relève toujours d'une

croyance : la croyance que le vivant est réductible à une approche rationnelle. Dans toute

société, le rapport des êtres humains à leur vécu est systématiquement intermédié, organisé,

filtré par un ensemble de schèmes (structures mentales sous-jacentes). Intermédié car le

rapport n'est pas direct : il faut un langage et des codes sociaux pour interagir avec

l'environnement, or le langage et les codes sociaux ne sont pas transparents mais participent

de la structuration du réel. Organisé car, par leur action sur leur environnement, les êtres

humains formatent celui-ci selon leurs propres croyances de ce que le réel est. Filtré car les

phénomènes qui sont les moins réductibles à ces schèmes tendent à ne pas trouver place dans

les catégories construites et se retrouvent donc ignorés : les êtres humains sont aveugles à

certaines manifestations du réel phénoménologique

37

.

Selon Castoriadis (1975: 327-335), le fait que l'institution imaginaire radicale de la société

occidentale moderne soit la Raison se manifeste par une combinaison particulière de schèmes,

constituant la logique ensembliste identitaire :

• La séparation : tout élément peut être sorti de son contexte pour être replacé ailleurs,

tout lien entre plusieurs éléments est révocable. La séparation consiste à dire, nommer un

élément (« legein » chez Castoriadis) de sorte qu'il puisse être bien distingué des autres

éléments et traité séparément, réduit à quelques traits. Il s'agit de définir l'identité d'un

élément : la séparation fonde la dimension identitaire de la logique ensembliste identitaire.

On peut également parler de dimension analytique (du grec ana-luein qui signifie décomposer

en plus petits éléments ou, mot à mot, couper en remontant). Elle se manifeste notamment

dans les phénomènes de mobilité (l'individu est détachable de son environnement), de

spécialisation (séparation vie professionnelle/vie privée, division du travail, externalisation),

de protection de la propriété privée, de quantification (définir précisément la valeur d'un

élément), etc (paragraphe 2.2.1.).

• La réunion : les éléments entretiennent entre eux des rapports de moyens et de fins.

Chaque élément séparé est ré-uni à un ou plusieurs autres éléments par un lien qui se limite

strictement aux fonctions qu'il remplit vis-à-vis de l'autre élément. Il s'agit de mettre

ensemble des éléments pour pouvoir faire, mener des activités (« teukhein » chez

Castoriadis) : la réunion constitue la dimension ensembliste de la logique ensembliste

identitaire. On peut également parler de dimension synthétique (du grec sun-theein qui

signifie réunir ou, mot à mot, tenir-ensemble). Elle se manifeste notamment dans le niveau de

qualification et de professionnalisation (capacité à optimiser une relation), les calculs de

ratios (rentabilité, productivité, etc), le poids de la technologie, la marchandisation (le contrat

37 Par phénoménologie, j'entends l'idée d'un réel non médiatisé, donc par définition inaccessible aux êtres

humains, mais dont l'être humain peut tout de même s'approcher en se basant sur ses intuitions et perceptions

plutôt que sur sa conscience, cette dernière étant plus directement soumise aux croyances fondées sur

l'institution imaginaire radicale.

bilatéral met en équation un prix avec un ou plusieurs biens ou services strictement définies),

la hiérarchie (l'unilatéralité de la relation permet son univocité), etc (paragraphe 2.2.2.).

Cette croyance en la réductibilité exhaustive du monde à la logique ensembliste identitaire

« revient à dire que ce qui est peut et doit toujours pouvoir être bien défini et bien distinct,

composable et décomposable en des totalités définies par des propriétés universelles et

comprenant des parties définies par des propriétés particulières » (1978: 269). Dans ce

travail, la notion de séparation se manifeste dans le principe de réactivité et notamment

par la mobilité (tout lien est susceptible d'être détruit pour que les éléments ainsi déliés

puissent être reliés à d'autres éléments) et la notion de réunion par le principe de

rationalité (capacité à justifier un comportement ou une décision par des références

techniques, professionnelles ou académiques).

Ceci étant posé, le paragraphe 2.1. analyse d'abord en quoi la logique ensembliste identitaire

est source d'inefficiences. Puis le paragraphe suivant montre malgré tout qu'en raison de la

congruence des piliers de la logique libérale – le contrat et la propriété – à la logique

ensembliste identitaire, l'idéologie de l'entreprise comme réseau de contrats et objet de

propriété des actionnaires bénéficie systématiquement d'un a priori favorable dans la société

occidentale moderne : sa congruence avec la logique ensembliste identitaire fait qu'elle relève

d'une sorte d'évidence qui n'a pas besoin d'être légitimée. Autrement dit, les solutions

institutionnelles alternatives se retrouvent certes en concurrence à la solution libérale mais

derrière cette dernière solution, c'est tout l'imaginaire radical de la société occidentale

moderne qui est en jeu, de sorte que le concurrence institutionnelle est radicalement faussée :

il faut que la balance des avantages des différentes solutions institutionnelles soit

extrêmement défavorable à la solution libérale pour que celle-ci se retrouve dominée en

pratique (2.2.).

Les évolutions de l'emprise de la logique ensembliste identitaire sur les rapports

socio-économiques sont ensuite analysées. Malgré les critiques dont le système économique fait

l'objet en raison des nombreuses crises contemporaines (alimentaires, environnementales,

sanitaires, financières, etc), la domination de la logique ensembliste identitaire ne semble pas

en recul. L'ancrage radical de la croyance en la rationalité du réel permet de « présenter le

régime comme à la fois inévitable et optimal » (Castoriadis, 1999: 76). Il est donc possible

d'assister à une régression durable des conditions de vie sans que cela vienne déstabiliser

significativement le modèle dominant (2.3.).

2.1. La logique ensembliste identitaire source d'inefficiences

Par quel mécanisme fondamental, l'emprise de la logique ensembliste identitaire est

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