• Aucun résultat trouvé

Les fondements axiologiques

134. Partir en quête de la « validité axiologique » de l’effet négatif conduit à mesurer sa « légitimité », son « acceptabilité »1. Ce critère, qui « entend apprécier la validité des actes

et normes juridiques à l‘aune de valeur méta-positives »2

, est déterminant. En effet, les critiques principales faites à l’encontre de l’effet négatif se concentrent sur ce terrain : la règle ne répondrait à aucune valeur, sinon à une foi aveugle envers l’arbitrage et en son autonomie, s’incarnant dans l’expression de favor arbitrandum ; pire, un véritable système de rente au bénéfice des arbitres, percevant systématiquement une rémunération, même pour constater leur incompétence3.

135. L’évaluation de la légitimité d’une règle de droit est essentielle : elle détermine l’acceptation de la norme par ses destinataires, condamne ou consolide les « attitudes

d‘allégeance et d‘adhésion »4

. Cependant, les États n’ont pas mis en place de mécanisme de contrôle de la légitimité à l’image des outils de contrôle de la légalité ou de l’effectivité5

des règles de droit. Toutefois, il serait erroné de croire que la recherche de la validité axiologique est absente. Elle est au contraire permanente, le plus souvent pratiquée par la doctrine à travers la recherche des fondements et justifications d’une règle, ou encore indirectement appréhendée par les contrôles de légalité et d’effectivité6

. On pourra toujours opposer que ces fondements et justifications sont proprement juridiques et qu’ils n’ont rien d’éthiques. Mais même réappropriés par l’ordre juridique, ces fondements trouvent fréquemment leurs origines au-delà du droit7. Cette remarque est d’autant plus valable pour le droit processuel au regard de la spécificité de son objet – le procès –, objet proprement juridique et non pas social : la découverte de valeurs méta-juridiques paraît impossible et la matière rivée à des fondements proprement juridiques. Aussi la validité axiologique des règles processuelles s’apprécie-t-elle essentiellement à l’aune de valeurs qui paraissent proprement juridiques.

136. Cette spécificité soulignée, il nous semble toutefois que l’on peut découvrir les formes de légitimité particulières au droit processuel. Deux pôles presque contradictoires de valeurs semblent aujourd’hui guider le procès, dont la balance permet la réalisation de la Justice, au sens éthique du terme : le droit au procès équitable d’une part – qui trouve ses origines dans l’équité, de même que dans la notion philosophie de Justice, requérant un tiers impartial et désintéressé –, et l’efficacité procédurale d’autre part, nouvel objectif de politique juridique aux frontières de la matière économique8.

1

F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 325.

2

Ibid., p. 337.

3

L’argument est rapporté par W. W. PARK, « The Arbitrator’s Jurisdiction to Determine Jurisdiction », op. cit., p. 44.

4

F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 361.

5

Concernant les procédures d’évaluation législative, ibid., pp. 329-333.

6

Ibid., p. 337 : « […] bien des examens de légalité et bon nombre d‘évaluations pratiques prennent en compte, au moins implicitement, la conformité de la règle (ou du contrat) à des exigences éthiques ».

7

Ibid.

8

Ce nouvel objectif de politique juridique marque ainsi les limites aux distinctions entre critères de validité, hypothèse dans laquelle les critères d’effectivité et d’efficience son absorbées par le critère de légitimité (sur ce phénomène de « réduction de la légitimité aux diverses formes de la performance » (F. OST et M. VAN DE

127

137. Quels sont les fondements de l’effet négatif du principe compétence- compétence, valeurs éthiques ou éthico-juridiques, qui justifient l’édiction de cette norme ? L’effet négatif répond-il à une logique théorique ou pratique innervant notre ordre juridique et au-delà, le monde éthique ? Loin de cette illégitimité prétendue, l’effet négatif prend appui dans des valeurs de notre ordonnancement juridique solidement assises, théoriques (section1) et pratiques (section 2).

Section 1.- Les fondements théoriques

138. Le principal fondement théorique invoqué au soutien de l’effet négatif du principe de compétence-compétence réside dans la force obligatoire de la convention d’arbitrage (§1). Ne résistant pas à l’analyse, il nous semble plus exact de rattacher l’effet négatif de la compétence-compétence à la théorie de l’apparence (§2), l’apparence de compétence arbitrale justifiant la règle de l’effet négatif.

§1.- Le fondement écarté : la force obligatoire de la convention d’arbitrage

139. Le premier fondement retenu par le père fondateur de la règle est l’effet négatif

de la convention d‘arbitrage. Ce dernier, qui fait interdiction aux juridictions étatiques de

connaître des litiges couverts par la convention, le fond du litige, interdirait « également de

connaître des contestations relatives à la compétence du tribunal arbitral […] tant que les arbitres eux-mêmes n‘ont pas eu l‘occasion de se prononcer sur ce sujet »1. Ainsi, l’effet

négatif du principe de compétence-compétence ne serait que le « prolongement » de l’effet négatif de la convention d‘arbitrage. Le rattachement de l’effet négatif de la compétence- compétence à la force obligatoire de la convention d’arbitrage est régulièrement repris par la doctrine2.

140. Ce rattachement théorique, si séduisant soit-il, n’emporte pas notre pleine adhésion.

Tout d’abord, nous pouvons faire appel à un argument déjà rencontré afin d’écarter toute incompatibilité de l’effet négatif du principe compétence-compétence avec le principe de la liberté contractuelle3 : l‘absence de pertinence de la force obligatoire des contrats. L’objectif du contrôle opéré par les juridictions étatiques ou par le tribunal arbitral est justement de

KERCHOVE, De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, op. cit., p. 338). Il ne faut cependant pas négliger le rôle particulier de l’efficacité en droit processuel : elle est liée à l’exigence même de Justice au sens éthique.

1

E. GAILLARD, note sous Cass. civ. 2ème, 10 mai 1995, Société Coprodag et autre c. dame Bohin, op. cit., p. 619.

2

M. DE BOISSÉSON, Le droit français de l‘arbitrage interne et international, op. cit. ; O. CACHARD, « L’effet négatif du principe compétence-compétence et les contentieux parallèles », op. cit., qui retient que « le principe d‘autonomie de la volonté paraît plutôt conforter l‘effet négatif de compétence-compétence que le fragiliser. La priorité reconnue aux arbitres, aussi longtemps que la clause n‘est pas manifestement nulle ou inapplicable, respecte la volonté des parties de recourir à l‘arbitrage » (ibid., p. 722, n° 21) et en conclut que « l‘effet négatif de compétence-compétence garantit la mise en œuvre de la parole donnée, ce qui, en droit des contrats n‘a rien de choquant » (ibid., p. 725, n° 29) ; J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE et S. CORNELOUP, Droit du commerce international, op. cit., p. 813, n° 1050 : « si la présence d‘une convention d‘arbitrage prive le juge de sa compétence éventuelle sur le fond du litige, elle le prive aussi de la possibilité de juger la contestation sur la compétence arbitrale » ; F. GONZALEZ DE COSSIO, « La ironía de compétence- compétence », op. cit., pp. 523 et 529.

3

128

vérifier l’existence ou l’absence d’un accord de volonté des parties sur le recours à l’arbitrage. On ne peut donc prétendre justifier l’effet négatif du principe compétence-compétence par le respect de la commune volonté des parties – la force obligatoire de la convention d’arbitrage, alors que l’objet de cette règle est de désigner l’organe compétent pour juger s’il existe ou non une volonté commune des parties de recourir à l’arbitrage. Effet négatif de la convention d’arbitrage et effet négatif de la compétence-compétence n’ont pas la même source : l’effet négatif de la convention d’arbitrage résulte de la convention d’arbitrage, prenant sa source dans la volonté des parties, au contraire de l’effet négatif du principe compétence- compétence, règle de conflit édictée par le droit judiciaire français afin d’éviter les conflits de compétence entre justice publique et justice privée.

Ensuite, dans la continuité de l’argument précédent, on remarquera que les compétences accordées au tribunal arbitral sur le fond du litige, en vertu de l’effet négatif de la convention d’arbitrage, et celle sur la compétence arbitrale, en vertu de l’effet négatif du principe de compétence-compétence, sont de nature distinctes. La compétence sur le fond du litige est exclusive, reconnue soit au profit du tribunal arbitral en présence d’une convention d’arbitrage, soit au profit de la justice publique en l’absence de convention d’arbitrage. Il n’y a pas de compétence partagée en matière. Ce n’est pas le cas de la compétence accordée au tribunal arbitral pour statuer sur sa compétence, qui est une compétence prioritaire, temporaire, non exclusive. On est alors en présence d’une compétence partagée, que le tribunal arbitral et le tribunal étatique exerceront chacun leur tour : le tribunal arbitral lors du procès arbitral, le juge étatique au stade des voies de recours ouvertes contre la sentence arbitrale.

141. Bien qu’écarté, le fondement tiré de la force obligatoire de la convention d’arbitrage nous guide vers une autre assise. Certes, l’effet négatif du principe compétence- compétence ne commande pas que le juge étatique constate l’existence de la convention d’arbitrage ; mais il requiert tout au moins que le juge étatique ait caractérisé l‘apparence d’existence de convention d’arbitrage, théorie vers laquelle nous devons à présent nous tourner.

§2.- Le fondement retenu : la théorie de l’apparence

142. Peut-on imaginer qu’un juge étatique renvoie les parties à mieux se pourvoir, afin que le tribunal arbitral puisse statuer sur la compétence juridictionnelle générale – attribution du litige à la justice publique ou à la justice privée –, en toutes circonstances et de manière automatique ? Une telle solution est inenvisageable, improbable : tous les litiges n’ont pas à être renvoyés devant le tribunal arbitral pour que ce dernier juge de l’attribution du litige soit à la justice publique, soit à la justice privée. En l’absence évidente de convention d’arbitrage ou en l’absence d’exception d’incompétence tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage, il revient à la justice publique et à elle seule de connaître de la compétence et du fond du litige, sans que l’effet négatif ou ses exceptions ne soient mis en cause. C’est d’ailleurs une grande part du contentieux. Comme l’expose une auteure, « [l]a preuve des

129

qui est anormal, extraordinaire »1. La compétence ordinaire, normale, est celle de la justice publique, non pas en ce que le recours à la justice privée serait anormal en soit, mais parce qu’il requiert le consentement des parties au litige. Or, « [e]n principe, nul ne doit rien à son

prochain »2 ; « les sujets de droit sont en principe libres et ne dépendent pas les uns des

autres. Celui qui demande l‘exécution d‘une obligation doit donc détruire cette apparence de liberté et établir qu‘elle ne correspond pas à la situation réelle »3. C’est d’ailleurs ce qu’il

résulte de l’article 1315 du Code civil, selon lequel « [c]elui qui réclame l‘exécution de

l‘obligation doit la prouver ».

La question précédemment posée est à la vérité absurde. Mais elle permet de souligner le fait que la neutralisation du pouvoir de statuer sur leur compétence par les juridictions publiques n’est pas automatique, et ainsi, de mettre en exergue la nécessité de subordonner la mise en œuvre de l’effet négatif à une condition qui consiste dans l‘apparence de compétence

arbitrale qui crée corrélativement l’apparence d’incompétence de la justice publique.

L’apparence de compétence de la justice publique, situation ordinaire, doit être combattue par une contestation sérieuse résultant de l’apparence de compétence de la justice privée. En l’absence d’une telle apparence, le litige doit rester devant les juridictions publiques et la règle de l’effet négatif du principe compétence-compétence être écartée.

143. La règle de l’effet négatif de la compétence-compétence trouve ainsi son fondement et sa raison d’être dans la théorie de l’apparence. Certains auteurs l’avaient d’ailleurs pressenti4

. A l’image du langage courant, la notion juridique d’apparence est polysémique. Des différentes acceptions dont elle fait l’objet (A), seule l’apparence vraisemblable (B) rend compte du phénomène étudié.

A.- Les différentes acceptions de la notion juridique d’apparence

144. L’apparence a plutôt retenu l’attention des juristes dans une situation particulière, celle de l’ « apparence trompeuse »5

, la « construction trompeuse sans

coïncidence avec la réalité »6. La question est alors de déterminer si cette apparence, simple illusion, peut produire des effets de droit, notamment dans l’objectif de protection des tiers à la situation apparente. On citera à titre d’exemple la théorie du mandat apparent, permettant « au contractant d‘un mandataire sans pouvoir d‘opposer au mandant l‘acte passé par cet

intermédiaire peu fiable »7. La conséquence est que le mandant est engagé « comme si le

mandataire avait agi dans la limite des pouvoirs qui lui avaient été conférés »8. De nombreux

1

A. RABAGNY, L‘image juridique du monde, Paris, PUF, Droit, éthique, société, 2003, p. 211.

2

Ibid., p. 213.

3

Ibid., p. 211. Dans le même sens, A. DANIS-FÂTOME, Apparence et contrat, préface G. VINEY, LGDJ, 2004, p. 13, n° 14 : « [i]l est […] normal que les individus ne soient pas liés les uns par rapport aux autres ce qui implique que c‘est à celui qui se prévaut d‘un contrat valable d‘en prouver l‘existence ».

4

E. LOQUIN, note sous Cass. civ. 1re, 23 mai 2006, Mme Alhinc et autres c. Banque de France et autre, op. cit., p. 73 : « [i]l n‘en est pas moins vrai que la saisine du juge étatique est contraire à l‘apparence du droit, en raison de l‘existence d‘une convention d‘arbitrage, dont la nullité ou l‘inapplicabilité n‘est pas évidente. Il est donc admissible que le juge apparent, à savoir l‘arbitre, reste compétent pour vérifier sa compétence ».

5

V° « Apparence », par M.-N. JOBARD-BACHELLIER, in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.

6

A. RABAGNY, L‘image juridique du monde, op. cit.

7

A. DANIS-FÂTOME, Apparence et contrat, op. cit., p. 4, n° 6.

8

130

autres exemples illustrent la théorie de l’apparence trompeuse, dans les domaines les plus variés : depuis la reconnaissance du fonctionnaire de fait en droit romain – l’esclave Barbarius Philippus, ayant dissimulé sa qualité d’esclave afin d’exercer la charge de prêteur –, à sa reconnaissance en droit contemporain par la théorie de l’héritier apparent1

, la théorie de l’apparence trompeuse a su démontrer son ubiquité en s’illustrant dans toutes les branches du droit2. L’apparence trompeuse trouve d’ailleurs sa place en droit de l’arbitrage dès l’époque romaine, le code justinien acceptant que « la sentence rendue par un arbitre, réputé libre

alors qu‘il était esclave, devait conserver son autorité »3

en dépit de l’impossibilité pour les esclaves d’être arbitres édictée par le Code.

145. La théorie de l’apparence semble se réduire alors à l’apparence trompeuse4. Nombre d’ouvrages consacrés à la question se limitent à cet aspect de la théorie de l’apparence5

. Pourtant, cette forme d’apparence ne doit pas éclipser les autres acceptions de la notion juridique d’apparence, la polysémie de la notion ayant été initialement mise en exergue par une étude menée dans le champ de la matière pénale6. La théorie de l’apparence limitée à l’apparence trompeuse est « insuffisante » : « ramener l‘apparence à une erreur, c‘est

confondre la cause et l‘effet »7. En effet, le droit prend en compte l’apparence aussi bien

lorsqu’elle « dissimule la réalité », que lorsqu’elle la « révèle »8

. On aurait pu penser cette étude restreinte au champ d’étude sélectionné, compte tenu des spécificités de la matière pénale, mais une auteure a, dans le sillage ainsi tracé, élaboré une nouvelle théorie générale de l’apparence en droit privé9. La notion d’apparence consiste à s’interroger sur « le rapport du

droit à la réalité »10 : « [l]‘apparent désigne ainsi soit la représentation d‘un fait qui exprime

la réalité qui se donne à voir, soit une construction trompeuse sans coïncidence avec la réalité »11. L’apparence est aussi « ce qui paraît aux yeux »12, « ce qui est visible et non ce qui

est trompeur »13.

146. On peut alors distinguer, aux côtés de l’apparence trompeuse, deux autres acceptions juridiques de l’apparence, en correspondance avec les acceptions du langage courant.

1

M. BOUDOT, « Apparence », Rép. droit civil, Paris, Dalloz, 2009, nos 2 et 91.

2

Pour un tour d’horizon, cf. M. BOUDOT, « Apparence », op. cit.

3

Ibid., cf. Code justinien (C.J. 2. 7. 75).

4

J. CARBONNIER, Droit civil, t. 1, Introduction, PUF, 2004, pp. 328-329, n° 163.

5

Sur ce point, cf. par ex. J.-P. ARRIGHI, Apparence et réalité en droit privé : contribution à l‘étude de la protection des tiers contre les situations apparentes, thèse, Nice, 1974 ; M.-N. JOBARD-BACHELLIER, L‘apparence en droit international privé. Essai sur les représentations individuelles en droit international privé, Préface de Paul Lagarde, LGDJ, Paris, 1984 ; C.-W. CHEN, Apparence et représentation en droit positif français, Préface de J. Ghestin, LGDJ, 2000 ; M. BOUDOT, « Apparence », op cit., n° 13 : « la définition juridique retenue oppose la réalité d‘un droit ou d‘une qualité à la perception erronée ou la croyance fausse – l‘apparence – de cette réalité : elle suppose une situation vraisemblable mais inexacte en droit ».

6

Ph. CONTE, L‘apparence en matière pénale, Thèse, Grenoble, 1984.

7

P. CONTE, « Un aspect de l’apparence vraisemblable au stade policier de la procédure pénale (aperçus sur la notion d’apparence en procédure pénale) », RSC, 1985.471, spéc. p. 473, n° 4.

8

P. CONTE, L‘apparence en matière pénale, op. cit., p. 11, n° 6.

9

A. RABAGNY, Théorie générale de l‘apparence en droit privé, thèse, Paris II, 2004 ; cf. en particulier p. 13, n° 26.

10

A. RABAGNY, L‘image juridique du monde, op. cit., p. 18.

11

Ibid., p. 17.

12

V° « Apparence », in G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., sens 1.

13

131

Tout d’abord, « ce qui apparaît peut être conforme à la réalité juridique »1. C’est ce que

l’on désignera sous l’expression de « l‘apparence, caractère ostensible d‘une chose »2

ou « apparence ostentatoire ». D’aucuns doutent de ce que l’on puisse parler d’apparence alors que l’apparition à l’origine de l’apparence est parfaitement conforme à la réalité3

. Nous ne suivrons pourtant pas ce raisonnement. Le recours à la notion d’apparence est justifié. C’est ici le rôle de l’agent, de l’observateur qui explique que l’on puisse parler d’apparence : il peut ou doit « s‘en tenir à l‘aspect extérieur des choses »4. « La notion d‘apparence à laquelle il

est ici fait référence est donc l‘aspect extérieur d‘une chose, ce qui se voit, ce qui apparaît à première vue »5. Un des exemples classiquement donné de cette situation consiste dans les vices apparents, l’article 1642 du Code civil prévoyant que « [l]e vendeur n'est pas tenu des

vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même »6.

Ensuite, « l’apparence est « le caractère plausible, vraisemblable d‘une chose » »7. En effet, « ce qui apparaît peut aussi rendre seulement vraisemblable la conformité de

l‘apparition à la réalité juridique »8. C’est ce que l’on dénomme « l’apparence, caractère

vraisemblable d‘une situation »9. Sa particularité est qu’elle « permet un certain doute sur la

réalité juridique ». Ce n’est « ni la conviction erronée, ni le doute pur et simple »10. L’apparence vraisemblable indique une forte probabilité de conformité avec la réalité, en laissant une dose d’incertitude. Comme l’expose le premier auteur à avoir théorisé la notion, « il est parfaitement concevable que l‘apparition puisse être suffisamment ressemblante pour

évoquer telle réalité, sans pour autant emporter la conviction totale de l‘observateur qui, par conséquent, conserve présent à l‘esprit un certain doute : ce seuil où l‘erreur disparaît, mais où l‘apparence subsiste, c‘est la vraisemblance »11

. Les exemples les plus probants foisonnent dans la matière pénale12. Plus précisément, le domaine de prédilection où le droit accepte de faire produire des effets juridiques à une apparence vraisemblable indépendamment de la réalité est la procédure pénale, « domaine où, à l‘évidence, l‘agent est

en effet souvent contraint de procéder sur le fondement sinon de la réalité – puisqu‘il l‘ignore et que ses opérations ont précisément pour but de l‘établir -, du moins d‘une vraisemblance dont le législateur a donc à juste titre décidé qu‘elle devait parfois suffire à justifier les actes

1

V° « Apparence », par M.-N. JOBARD-BACHELLIER, in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit.

2

A. DANIS-FÂTOME, Apparence et contrat, op. cit., p. 4, n° 6.

3

Sur ce point, v. P. CONTE, « Un aspect de l’apparence vraisemblable au stade policier de la procédure pénale (aperçus sur la notion d’apparence en procédure pénale) », op. cit., p. 473, n° 6 ; L‘apparence en matière pénale,

Documents relatifs