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Section 1. Proposition d’un modèle qui explique le choix entre une absence totale, une

1.1. La fonction d’utilité du travailleur

Supposons un individu qui subit un choc de santé partiellement incapacitant et qui, compte tenu de la nature de la maladie m, est capable d’estimer a priori la durée de l’épisode de maladie tm. Cette dernière correspond à la durée de convalescence ou de repos que l’individu doit

respecter pour recouvrer son état de santé initial36. Cette durée théorique tm varie en fonction

des individus. Elle peut notamment dépendre de leur état de santé général, dont on peut supposer qu’il influe sur la vitesse à laquelle les individus peuvent récupérer. Face à cette durée tm, l’individu doit choisir tp, qui correspond au nombre de jours de présentéisme. Il peut décider :

i) d’affecter l’intégralité de tm au repos (tp = 0) ; il s’agit alors d’une absence totale,

ii) d’affecter l’intégralité de tm au travail (tp = tm) ; il s’agit alors d’une présence totale,

iii) de combiner travail (présence) et repos (absence) et choisir tp tel que tp ]0 ; tm[ ; il s’agit

alors d’une présence partielle.

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Notre modèle suppose que l’individu estime de façon fiable sa durée d’absence. Cette hypothèse est confirmée par Johns (2009), qui cite plusieurs études mettant en évidence le fait que les patients prédisent mieux que les médecins la durée de leurs absences (p. 14).

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Comme nous allons l’expliquer en détail ci-dessous, l’utilité de l’individu dépend de trois facteurs : son niveau de revenu de long terme Y, sa santé de long terme S et la pénibilité (désutilité) du travail à court terme, notée D.

U (Y, S, D) = u (Y) + v (S) - f (D),

u (.) et v (.) sont croissantes et concaves (u ’ > 0, u ’’ ≤ 0, v ’ > 0, v ’’ ≤ 0) et f (.), qui représente

le coût de la désutilité du travail, est croissante et convexe (f ’> 0, f ’’≥ 0). Ces hypothèses signifient, d’une part, que les utilités marginales du revenu et de la santé sont positives et décroissantes à mesure que les niveaux de revenu et de santé augmentent et, d’autre part, que la pénibilité du travail a un coût marginal (en termes d’utilité) croissant à mesure que le temps de travail augmente. Nous allons maintenant décrire en détail les trois arguments de la fonction d’utilité.

Le niveau de revenu de long terme

Le niveau de revenu de long terme Y dépend du salaire de base37 w0 et de la productivité P :

Y = w0 + π P,

où π est une prime à la productivité P du travailleur. Cette productivité est une moyenne de la productivité du salarié en bonne santé p0 (pondérée par le temps de travail où l’individu travaille

en étant en pleine forme, c'est-à-dire tc - tm) et de la productivité du salarié en mauvaise santé pm

(pondérée par la durée du présentéisme), avec pm < p0. Ainsi, la productivité P est définie de la

manière suivante :

P = (tc - tm) p0 + tp pm ,

où tc est le temps de travail contractuel.

Le fait que la productivité intervienne dans le niveau de revenu est motivé par deux constatations. D’une part, on observe souvent que la rémunération des travailleurs incorpore des bonus, versés généralement au terme de l’année, en fonction des résultats obtenus. D’autre part, les travailleurs peu performants, à cause notamment de leurs absences, ont de moins bonnes

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W0 correspond ici au produit entre le taux de salaire de base (c'est-à-dire versé pour le niveau de productivité que

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perspectives de carrière ou un risque de chômage accru, ce qui se traduit ici par de moins bonnes perspectives pour Y. L’employeur détermine la valeur de π en fonction de la politique managériale qu’il souhaite mettre en œuvre. S’il ne souhaite pas inciter au présentéisme, alors π sera faible. Dans le cas contraire, le salarié, s’il ne considère que sa rémunération, a intérêt à être le plus performant possible38.

La santé de long terme

La santé de long terme du salarié dépend de son niveau de santé initial S0, de la durée de

présence tp (reflétant le fait que l’individu ne respecte pas la durée de repos nécessaire pour

recouvrer son état de santé initial), de la durée de la maladie tm et de deux autres paramètres de

la maladie lm et sm :

S = S0 - tm lm + (tm - tp) sm

Les intuitions derrière ces deux paramètres sont les suivantes. D'une part, il est vraisemblable de considérer qu’en général, plus une maladie est longue, plus elle risque d’avoir des conséquences à long terme sur la santé. La perte de santé est donc supposée s’accroître en fonction de la durée de la maladie, et est représentée par le terme tm lm, où lm est une constante

positive. Il est évidemment possible que certaines maladies longues n’aient pas un impact majeur sur la santé à long terme. Dans ce cas, le paramètre lm aura une valeur proche de zéro. D'autre

part, si l’individu se repose, il pourra à terme recouvrer tout ou partie de sa santé initiale. Cette récupération de santé dépend du temps de repos (tm - tp) et du rythme de convalescence sm, qui

est inférieur ou égal à lm. Si lm = sm, cela signifie qu’un individu peut recouvrer toute sa santé s’il

se repose pendant l’entièreté de sa période de maladie. En fonction de sa décision de présentéisme, l’individu peut donc récupérer (tm - tp) sm unités de santé.

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Pour tenir compte de l’impact financier de l’absence, nous aurions pu choisir d’introduire dans le modèle, à la place de πP, un salaire de remplacement inférieur au salaire w0, fixé par la législation nationale en matière de sécurité

sociale. Notre choix se justifie, d’une part, par la volonté de proposer un modèle théorique qui soit le plus proche possible de la réalité luxembourgeoise (or, au Luxembourg, le taux de remplacement en cas de maladie est de 100%) et, d’autre part, par le fait que c’est bien au niveau de l’entreprise que doit être mesuré le risque de perdre son emploi ou de ne pas bénéficier à terme d’une promotion ou d’une augmentation de salaire.

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La pénibilité de court terme

Enfin, le travailleur tient compte de la pénibilité (désutilité) du travail : D = (tc - tm) d0 + tp dm

où d0 est la désutilité à travailler en bonne santé et dm représente la désutilité à travailler en

étant malade, avec dm > d0.

On notera que la pénibilité prise en compte dans notre modèle ne correspond pas à la seule pénibilité temporaire liée à la maladie mais à la somme (pondérée par les temps de travail) des pénibilités spécifiques à chaque état de santé de l’individu (en bonne santé et malade). Ainsi, nous tenons compte du fait que, selon nous, c’est le cumul entre la pénibilité de base et la pénibilité temporaire liée à la maladie qui intervient dans la décision. De ce fait, un même niveau de pénibilité totale peut correspondre tout aussi bien à une personne très malade (pm très élevé)

mais bénéficiant habituellement d’excellentes conditions de travail (p0 très faible), qu’à une

personne moins malade (pm faible) mais subissant quotidiennement des conditions de travail très

pénibles (p0 très élevée).

Cette proposition s’inspire des travaux de Nicholson (1977) qui assimile, dans son approche théorique, la décision de s’absenter au fait que la pression ressentie par les individus dépasse un certain seuil ; ce seuil étant défini par un ensemble d’éléments propres à l’individu, il diffère pour chaque individu. Nicholson envisage donc cette notion de seuil comme étant une mesure théorique de la pression maximale qu’un individu va accepter de supporter avant de s’absenter. On pourrait opposer à notre proposition le fait que les situations où pm est faible peuvent tout

aussi bien être assimilées à un absentéisme abusif. La limite est en effet ténue entre, d’une part, un individu utilisant sa maladie peu incapacitante pour prétexter une absence et, d’autre part, un individu incapable de supporter une pression supplémentaire et pour qui la maladie, aussi peu incapacitante soit-elle, constituera l’élément de trop qui le fera basculer au-delà de son seuil de tolérance. Dans la partie empirique, nous testerons cette hypothèse de cumul des pénibilités en spécifiant un effet croisé entre d0 et dm.

87 Les paramètres du modèle sont les suivants :

i) la maladie est caractérisée par une durée tm, un impact négatif sur la santé à long terme (si lm,

le rythme de récupération de la santé initiale sm, un accroissement de pénibilité au travail dm

et une productivité réduite pm. On résume donc la maladie par l’ensemble de paramètres

M = (tm, lm, sm, pm, dm) ;

ii) l’emploi, quant à lui, se caractérise par le temps de travail contractuel tc, le salaire de base w0,

la performance p0 et la pénibilité de base d0 ; E = (tc, w0, p0, d0) ;

iii) enfin, le salarié est caractérisé par ses préférences U et son état de santé général S0.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous allons maintenant définir l’optimum du salarié concernant son choix entre absence totale, présence totale ou présence partielle.