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4 DISCUSSION DES RESULTATS

4.2 Fonction écologique des métabolites secondaires des potamots

Les plantes aquatiques ont besoin de se protéger des organismes herbivores et des pathogènes, mais également de se défendre contre les algues épiphytes. En colonisant la surface des feuilles, celles-ci diminuent en effet leur photosynthèse en réduisant l’intensité lumineuse et le taux de prélèvement du carbone dans le milieu aquatique. Sand-Jensen (1977) a par exemple montré que les épiphytes pouvaient réduire la photosynthèse de Zostera marina L. (Zosteraceae) d’une valeur de 30 %, et représenter ainsi un stress important pour cette plante. Les métabolites secondaires semblent être un des moyens de défense des macrophytes contre la colonisation algale. Nakai et al. (1996) ont par exemple montré que les macrophytes Elodea densa (Planch.) Casp. (Hydrocharitaceae), Cabomba caroliniana A.Gray (Nymphaeaceae) et Myriophyllum spicatum L. (Haloragaceae) excrétaient des composés polaires inhibant la croissance des algues unicellulaires Raphidocelis subcapitata et Microcystis aeruginosa. Gross et al. (1996) ont en outre démontré que les composés actifs de Myriophyllum spicatum étaient des polyphénols hydrolysables complexant les enzymes algales extracellulaires. Dans les potamots, certains diterpènes labdanes remplissent sans doute cette fonction, étant donné leur potentiel algicide démontré dans ce travail et celui de Cangiano et al. (2002) par leur activité envers Raphidocelis subcapitata. Bien que le composé O n’ait pas révélé ici d’effet algicide envers cette espèce, Aliotta et al. (1996) ont mis en évidence que des

espèces microalgales. Une légère activité inhibitrice du pinorésinol (H) envers Raphidocelis subcapitata a également été observée (DellaGreca et al., 1998).

Pour tous ces composés, il n’est cependant possible que de parler de potentiel algicide, puisque ceux-ci ne peuvent exercer leur effet que s’ils sont excrétés des plantes. Pour établir une relation entre activité potentielle et fonction écologique, il serait donc nécessaire de mesurer la concentration effective de ces composés à la surface des feuilles ou dans le milieu aquatique. De Nys et al. (1998) ont par exemple développé une procédure pour l’extraction et la quantification de métabolites secondaires apolaires de la surface des algues rouges marines Delisea pulchra (Greville) Montagne et Laurencia obtusa Lamouroux. Le protocole expérimental, basé sur l’immersion des algues pendant 30 secondes dans l’hexane, a permis de démontrer que la concentration de métabolites n’était pas obligatoirement corrélée à la concentration totale dans la plante. Il serait donc particulièrement intéressant d’adapter cette méthode aux potamots pour la quantification des labdanes et des acides gras à leur surface, afin de mieux comprendre le rôle écologique de ces composés.

Il faut également souligner que l’activité algicide des labdanes a été essentiellement testée contre une seule espèce, Raphidocelis subcapitata, qui ne se trouve pas en Europe. Pardos (1996) a comparé la réponse de cet organisme à celle du nanoplancton (<20 µm) du Léman lors de divers tests écotoxicologiques. Le nanoplancton est la fraction phytoplanctonique généralement la plus représentée dans les lacs méso-eutrophes ; il est considéré comme le plus sensible et représente la principale classe d’algues disponible pour le broutage du zooplancton. Pardos (1996) a mis en évidence dans un test de toxicité aiguë (4h) que, par rapport au nanoplancton, la sensibilité au zinc de la monoculture algale de Raphidocelis subcapitata était significativement plus élevée dans la majorité des cas, et nettement moins variable. La variabilité des résultats du nanoplancton dans ce test était probablement dû en partie aux différences de composition phytoplanctonique au cours du temps, certaines espèces algales étant plus moins sensibles au zinc. Il apparaît donc que Raphidocelis subcapitata peut être considéré dans le cas présent comme un bon organisme modèle pour évaluer l’activité algicide des composés isolés, d’autant plus qu’il est couramment utilisé dans les laboratoires, ce qui permet des comparaisons plus fiables.

Les ent-labdanes isolés des potamots ont également un effet sur divers organismes invertébrés, rotifères et crustacés, ce qui montre que ces composés pourraient jouer un rôle écologique à différents niveaux trophiques (Cangiano et al., 2002). Ohta et Nawamaki (1978) ont par ailleurs démontré une action répulsive des acides daniellique (B) et polyalthique (L) envers l’escargot marin Monodonta neritoides. L’acide linoléique, dont l’activité molluscicide contre Biomphalaria glabrata a été reportée par Keller et al. (2002), pourrait de même avoir une fonction de défense contre des consommateurs. Des métabolites secondaires sont en effet certainement utilisés pour prévenir la consommation des plantes aquatiques par des herbivores, dont l’impact sur la biomasse, la productivité et la composition spécifique des macrophytes est loin d’être négligeable (Lodge, 1991). Des expériences de nutrition devraient cependant être effectuées avant de pouvoir éventuellement conclure à une relation de cause à effet entre la présence de labdanes ou d’autres composés dans les potamots et les préférences d’un herbivore. De telles expériences ont par exemple permis d’établir que l’écrevisse Procambarus clarkii évite de consommer les plantes Saururus cernuus L. (Saururaceae) et Habenaria repens Nutt. (Orchidaceae), car celles-ci produisent des composés répulsifs envers cet animal (Wilson et al., 1999 ; Kubanek et al., 2001).

Les composés caractérisés dans ce travail n’ont montré aucune activité antifongique, mais des métabolites de structure proche, isolés de plantes aquatiques, ont montré un effet contre divers pathogènes. Shimura et al. (1983) ont ainsi déterminé que parmi des substances antifongiques synthétisées dans des feuilles de plants de riz (Oryza sativa L., Poaceae) se trouvaient l’acide α-linolénique et l’acide 13(S)-hydroxy-octadéca- (9Z,11E,15Z)-trièn-oïque, l’énantiomère du composé O. Une flavone sulfatée dérivée du lutéoline-7-O-glucoside semble de même être utilisée par la plante marine Thalassia testudinum Kon. (Hydrocharitaceae) pour réduire la capacité de colonisation de ses feuilles par les thraustochytrides, un groupe de microorganismes marins épiphytes (Jensen et al., 1998).

Il faut enfin souligner que l’acide α-linolénique est considéré comme le produit de départ de la biosynthèse de l’acide jasmonique, un composé ubiquitaire du règne végétal qui a une fonction centrale dans les réactions de défense des plantes en tant que messager

oxygénés comme O pourraient donc être à la fois impliqués dans la production de métabolites de défense et faire partie eux-mêmes de ces composés.

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