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Dans ses formes fléchies, le verbe devenir implique une intentionnalité imposée à soi-même (je deviendrai, je suis devenu) ou à autrui (tu deviendras = j’ai l’intention que tu deviennes)

ou encore comme une intention prêtée à autrui (tu es devenu = tu avais l’intention de

deve-nir)

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. L’énoncé Je vais devenir peintre, artiste, pompier  implique une promesse, un

engage-ment auprès d’une instance extérieure, ne serait-ce qu’à un soi dédoublé (je me promets X

à moi-même).

La collocation devenir mère marque une visée subséquente à l’injonction de

reproducti-vité. La valeur d’obligation de cette visée est perceptible dans la forme infinitive (devenir

mère) et plus encore dans la forme nominalisée (le devenir mère) qui atténuent la relation

entre le sujet parlant et le prédicat. La maternité est alors « une forme qui se soustrait à la

saisie, un quasi-objet » exprimée par un « corps percevant, un non-sujet » (Coquet 2011

: 104). Ces femmes s’observent et ne se décrivent pas, se perçoivent mais ne s’objectivent

pas. « Corps percevant » ou « corps parlant », tous deux expriment « une vérité refoulée,

proscrite, par le langage » et « une “réalité” qui échappait au sujet » (Coquet 2011 : 105).

Les agents énonciatifs peinent à se définir comme mères, être mère impliquant avoir un

bébé ; or soit ce bébé est décédé, soit il n’est pas reconnu comme leur enfant par les mères.

149. Lorsque j’ai compris que j’allais pouvoir accoucher par voie basse, avec des contractions et toutes les étapes d’un accouchement normal, je suis redevenue mère de mon bébé. (en gras dans le texte, Martineau, après l’annonce du décès in utero de l’enfant, p 60, o-mèr-1)

Dans l’énoncé [149], le procès [devenir mère], exprimé par une forme aspectuée (le passé

composé), n’apparaît pas comme actualisé, la forme composée s’associant le plus souvent à

une valeur imperfective(Mellet 1981 : 6). On notera cependant la présence du préfixe re-, le

« préfixe aspectuel par excellence du français » (Martin 1971 : 82

8

). Dans l’énoncé [149], la

présence du préfixe re-, qui exprime l’itération, modifie l’aspect du verbe devenir qui devient

perfectif

9

puisqu’il implique que le procès en question a déjà été accompli une première fois.

Dany Amiot parle de « schéma à trois temps : /1

re

occurrence du procès/→/interruption/ →

2

e

occurrence du procès/ où les deux premiers temps sont présupposés et le troisième posé »

(Amiot 2002 : 4). Le procès [devenir mère] ne semble donc pouvoir être posé que de façon

implicite, même lorsqu’il a été actualisé. Il aura donc fallu un préfixe (re-) pour associer le

lexème mère à un état et nous faire voir le procès [devenir mère] jusqu’à son étape ultime.

La femme se doit de devenir mère à tout prix (voir ci dessus en [146] et [148]), quitte à

s’engager pour plusieurs années sur le chemin aléatoire de la PMA. La sociologue Laurence

Tain a étudié le cas de ces femmes confrontées à une double obligation : « Les itinéraires de

femmes qui ont recours à l’hôpital pour faire face à des difficultés à enfanter concentrent,

en effet, une double norme : le devoir d’enfant et le devoir de médecine » (Tain 2009 : § 3).

Mais le respect de cette norme ne dépend pas uniquement d’elles, c’est l’autorité médicale

qui octroie ou non le droit à une grossesse médicalisée (fécondation in vitro) :

Les femmes qui n’obtiennent pas ce droit ne peuvent donc s’acquitter de cette dette

d’en-fantement. Selon Laurence Tain, c’est d’ailleurs pour en être quitte que les femmes se plient

aux dures exigences de la procréation médicalement assistée et médicalisent leur corps au

profit du corps-espèce : « avoir tenté tout ce qui était humainement possible » les libère

de l’injonction reproductive (Tain 2009 : § 15). Le long parcours de la PMA amène ces

femmes à concevoir la maternité comme quelque chose qui se mérite (plus loin en [151])

et se conçoit comme une épreuve (voir plus bas en [177] : Forte comme le sont tous ceux qui

ont affronté la souffrance et l’épreuve) qui constitue selon la sociologue Geneviève Daudelin

l’une des cinq représentations des techniques de reproduction (Daudelin 1999 : 64, 79-80).

8 C’est un postulat que conteste Dany Amiot 2010 : l’itération observée dans l’interprétation des verbes préfixés par

re- ne concernant pas toujours le procès, re- ne peut être considéré comme un préfixe aspectuel.

9 Selon Bernard Comrie, « la perfectivité désigne la saisie d’une situation comme un tout, sans distinguer les diffé-rentes phases qui constituent cette situation ; tandis que l’aspect imperfectif porte sur la structure interne de la situation » (Comrie 1976 : 16 ; je traduis).

150. Forum doctissimo, 13-04-2005, f-mèr-3, http://forum.doctissimo.fr/grossesse-bebe/ fertilite-infertilite/hormone-mullerienne-amh-sujet_170138_1.htm, onglet «  fertilité/ infertilité ; dosage hormone AMH », f-mèr-3)

151. (Forum doctissimo, Tests-symptomes-grossesse, http://forum.doctissimo.fr/grossesse-be-be/Tests-symptomes-grossesse/gygy-sujet_39558_1.htm, 23-02-2013 à 10:18:44, f-mèr-2)

Le corpus de cette étude présente lui aussi la grossesse médicalisée comme un droit et

quelque chose qui se mérite. En [150], l’agent énonciatif analyse sa situation et celle de son

interlocutrice en termes de refus et de droit (gygy refuse PMA, tu as eu droit à une FIV)

tandis que l’énoncé [151] présente par l’emploi du verbe mériter un jugement évaluatif sur

le fait de tomber enceinte (tu le mériterais). Le syntagme verbal avoir droit (à une FIV) et

le verbe mériter (un enfant) positionnent la maternité comme quelque chose hors de la

volonté des agents énonciatifs.

152. coucou ma belle, tu as passé de bonnes fêtes ?// Je suis allée en Auvergne faire du ski et initier mon petit loulou au ski. Il a réussi le niveau piou piou et il adore le ski ! Fini les vacances pépères au coin du feu ! Sinon pour le réveillon du nouvel an, des amis de ma mère nous ont demandé la question habituelle «  à quand la petite sœur ? ». Alors mon homme a expliqué ses problèmes zozos (enfin par complètement il a dit que la moitié était mort) et là il y a eu un blanc dans la conversation. Super l’ambiance ! (Forum mamandco, On aura notre plus, N°4, page 121, 3 janvier 2009, 12h31, f-rédupli-26)

Lorsque la femme a satisfait à l’obligation d’enfanter, il s’écoule souvent peu de temps avant

qu’on ne la soumette à nouveau à l’injonction, comme le souligne le commentaire évaluatif

de l’énoncé à quand la petite sœur, présenté comme une question habituelle.

Ces énoncés montrent que la femme doit répondre à l’injonction de maternité, du devenir