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Figure 2 : Pyramide des âges des encadrants de proximité (MDL, MPL, animateurs et autres encadrants de proximité) en 2007

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0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 14000

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40-44

45-49

50-54

55-59

60-64

0 200 400 600 800 1000 1200 1400 1600

Ces données ne fournissent qu’un tableau imprécis de l’ensemble des encadrants de

proximité. Je reviendrai plus loin sur les distinctions internes à cette population, et en particulier,

sur les différentes formes de travail d’encadrement qu’elle comporte, qui correspondent également à

des différences de trajectoires (cf. infra, chapitre 4).

3. Conditions d’enquête et problématisation

Enquêter sur le travail d’encadrement requiert d’entrer dans le détail quotidien des relations

des encadrants avec ceux qu’ils encadrent, et avec leurs propres chefs. Il s’agit d’observer une

pratique : la méthode ethnographique semble donc la plus pertinente, dans la mesure où elle

consiste à comprendre progressivement les principes de la pratique des enquêtés, même lorsque ces

derniers ne les formulent pas explicitement, en se plongeant dans un univers étranger (Beaud,

Weber, 2003). Rattaché comme « chercheur associé » à la DRH Groupe d’EDF

1

(cf. infra), je n’ai

pu entrer dans les unités opérationnelles (centres de production, centres d’appel, etc.) que

momentanément, pour réaliser des entretiens et des observations sur une période de quatre jours

consécutifs, au mieux. Pour enquêter en ethnographe dans le monde du travail, il faut en effet avoir

de bonnes raisons de « déranger », et se faire une place dans des groupes où chacun occupe un poste

et coopère à un ensemble de tâches avec d’autres agents. En l’absence de compétence

professionnelle dans les métiers de mes enquêtés (la production d’électricité, la maintenance ou

encore la comptabilité), la seule bonne raison que je pouvais avancer pour ma présence sur leur lieu

de travail tenait à l’objet de ma recherche (étudier les transformations du travail du management de

proximité) et à mon rattachement institutionnel (une équipe de la DRH Groupe qui alimentait en

réflexion l’« Observatoire national de la qualité de vie au travail »). J’ai donc été conduit, sans

l’avoir complètement choisi, à limiter la plus grande partie de mon travail d’observation aux

directions des ressources humaines

2

, et à enquêter par entretiens, la plupart du temps, auprès des

1

La DRH Groupe est le nom que porte, à partir de l’été 2010, la direction à laquelle je suis rattaché en tant que

chercheur, puis dont je deviendrai salarié en septembre 2010. Elle a connu d’autres dénominations auparavant, qui

correspondent à un découpage institutionnel légèrement différent. J’emploie ici, par commodité, le terme de « DRH

Groupe » sans entrer dans le détail de ces réorganisations et des changements de nom qui les accompagnent.

2

Le pluriel s’impose car j’ai été amené à rencontrer de multiples interlocuteurs dans les directions RH des

« métiers », c’est-à-dire des directions opérationnelles.

encadrants de proximité.

Ce biais méthodologique n’invalide pas complètement les résultats obtenus. La limite

intrinsèque de l’entretien comme technique d’enquête tient à ce que l’enquêté y exprime un « point

de vue » sur ce qu’il vit, alors même qu’une bonne part de ce qu’il fait, dans son travail, ne peut pas

être explicité, ou du moins, qu’il s’agit là de dispositions pratiques qui ne s’actualisent que dans la

pratique elle-même, et échappent au discours

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. Mais l’encadrement, en tant que pratique, s’incarne

toujours dans des actes de discours. Encadrer une équipe, c’est s’adresser à des personnes qui

partagent, au moins en partie, un ensemble de significations communes (langagières et

infra-langagières) qu’ils comprennent, et dont ils sont capables de discuter, explicitement. En effet, le

travail de l’encadrement est toujours susceptible d’être apprécié en fonction de principes de justice,

qui sont formulés de manière à pouvoir être discutés entre plusieurs personnes (cf. infra, chapitre 4).

La manière dont les encadrants réalisent leur travail ne peut être appréhendée en-dehors de ce que

les agents encadrés en disent, pas plus qu’elle n’est complètement étanche aux prescriptions qu’ils

doivent appliquer (et notamment aux prescriptions qui relèvent du bon travail de manager). Enfin,

une partie de ce travail consiste en un « sale boulot » (Hughes, 1996) qui, en l’occurrence, ne peut

pas être délégué à d’autres, mais qui n’est pas réalisé en public : annoncer à un agent qu’il n’aura

pas d’augmentation, en « recadrer » un autre (c’est-à-dire expliquer qu’une règle a été enfreinte et

qu’il s’agit d’une faute), « s’arranger » pour qu’une prescription soit temporairement contournée,

tous ces actes passent par une communication entre l’encadrant et l’agent (ou les agents)

concerné(s), mais celle-ci ne se déroule pas en public, et surtout pas devant un enquêteur extérieur,

fût-ce un familier. En revanche, tous ces actes peuvent être expliqués et commentés dans le secret

de la situation d’entretien. Celle-ci est également un moment privilégié pour les encadrants

lorsqu’ils expliquent ce que taisent les manuels de management : comment se débrouiller avec les

« cas sociaux », comment « avaler des couleuvres », comment s’accomoder d’un chef qu’on ne peut

plus supporter, etc.

Pour toutes ces raisons (l’encadrement comme pratique discursive, l’ensemble d’attentes et

de justifications auxquelles il donne lieu, et la part de travail indigne qu’il comporte), l’entretien est

une technique d’investigation qui permet de recueillir un matériau riche, et qui permet en outre de

rapporter celui-ci à la trajectoire sociale du locuteur. Cependant l’immersion, pendant plusieurs

années, au sein des équipes de la DRH Groupe et de plusieurs unités opérationnelles, m’a apporté

tout ce qui aurait pu faire défaut à une enquête décontextualisée : une connaissance intime de la

culture d’entreprise, de son organisation, mais aussi des enjeux économiques et politiques associés à

1

Je reprends ici les termes de la critique de G. Kunda et S. Barley : « « Although useful for studying points of view

and meaning, such techniques are less adequate for studying work because most work practices are so

contextualized that people often cannot articulate how they do what they do, unless they are in the process of doing

it ». Cf. également Martinez Perez, 2011 : chapitre 1.

mon objet de recherche. Dans la mesure où les conditions de réalisation de l’enquête déterminent la

possibilité de parvenir à des résultats significatifs, il est nécessaire de les présenter en détail. Une

recherche sociologique n’est jamais le produit du travail linéaire d’une seule personne, à partir

d’une seule question. La manière dont l’enquête se déroule, les « alliés » sur lesquels l’enquêteur

peut compter sur son terrain, mais aussi les théorisations partielles déjà disponibles à propos de

l’objet de recherche, contribuent à déterminer à la fois le terrain d’enquête (ce qu’il est permis

d’observer) et les instruments d’analyse pertinents (Beaud, Weber, 2003). Mon travail échappe

d’autant moins à cette règle que j’ai été accueilli, durant quatre ans, au sein de l’entreprise que

j’étudiais, d’abord en tant que « chercheur associé », puis en tant que salarié. Dès le début de mes

recherches, j’ai trouvé à EDF des interlocuteurs intéressés à la production d’une recherche sur « le

management de proximité », dont la connaissance de l’entreprise, les contacts personnels, les

documents qu’ils ont pu me fournir, et les réflexions (parfois très proches de l’analyse sociologique

du travail et des organisations) ont déterminé ce que je pouvais observer et, pour partie, quels

instruments d’analyse pouvaient être pertinents pour mettre de l’ordre dans ces observations.

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