II.2 Le Monachisme ou la vie proche de la nature
II.2.3 La figure emblématique de l ’ environnement : Saint François d ’ Assise
Saint François81 est arrivé à la fin du XIIe siècle en 1182 ; lui-même fils d’un riche marchand
d’étoffes, il décide d’embrasser la radicalité d’une vie dans la solitude et l’extrême pauvreté ; nommé le Poverello, il épouse Dame Pauvreté; il est très vite suivi par bon nombre de ses anciens amis et aussi de Sainte Claire d’Assise qui fonda l’ordre féminin approuvé par Saint
François dans la pauvreté absolue avec d’autres moniales. On pourrait penser que la radicalité
de vie choisie par François d’Assise était déjà une réponse à une société d’opulence de son époque avec l’émergence de riches marchands. Saint François écrit une règle de vie et plusieurs prières dont une prière vouée à la création, le Cantique des créatures dont voici le texte en entier :
77 Frédéric Barberousse 78 1098- 1179
79 Physica ou De la nature, publié en 1160 80 Cf. glossaire
« Très Haut, tout puissant et bon Seigneur, à toi louange, gloire, honneur, et toute bénédiction ; à toi seul ils conviennent, O Très-Haut, et nul homme n’est digne de te nommer. Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère Soleil, par qui tu nous donnes le jour, la lumière ; il est beau, rayonnant d’une grande splendeur, et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Lune et les étoiles : dans le ciel tu les as formées, claires, précieuses et belles. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Vent, et pour l’air et pour les nuages, pour l’azur calme et tous les temps : grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures. Loué sois-tu, Seigneur, pour notre sœur Eau, qui est très utile et très humble, précieuse et chaste. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère Feu, par qui tu éclaires la nuit : il est beau et joyeux, indomptable et fort. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la Terre, qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits, avec les fleurs diaprées et les herbes. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ; qui supportent épreuves et maladies : heureux s’ils conservent la paix, car par toi, le Très Haut, ils seront couronnés. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre sœur la Mort corporelle à qui nul homme vivant ne peut échapper. Malheur à ceux qui meurent en péché mortel ; heureux ceux qu’elle surprendra faisant ta volonté, car la seconde mort ne pourra leur nuire. Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâce et servez-le en toute humilité. »
Thomas de Celano et Saint Bonaventure rapportent, dans l’ouvrage de référence qui rassemble son œuvre82, que les animaux sauvages approchaient Saint François ; une biche ne
voulait plus le quitter; il aurait même réussi à apprivoiser un loup qui semait la terreur dans un village, le loup de Gubbio. Toujours dans ses biographies, il est relaté qu’il aurait maltraité son
propre corps en le traitant de « frère âne » mais qu’il lui aurait demandé pardon à la fin de sa
vie de l’avoir ainsi traité car ce corps lui a permis de vivre cette vie. Enfin, il nomme même la mort « sœur » car elle fait partie de la vie et permet d’accéder au but suprême de la vie en Dieu ; il a demandé à ses frères de le déposer nu à même la terre au moment de mourir à l’âge de 44 ans.
Fabien Revol83 nous dit que les deux grandes figures de l’Eglise qui parlent de l’écologie sont
Saint Thomas d’Aquin et Saint Augustin ; Saint François d’Assise n’étant pas assez
82 http://www.observatoiredesreligions.fr/spip.php?article299
« rationnelle » ni assez « ordonnée » que les deux précédents ; cependant Saint François a été
déclaré Patron de l’écologie par le Pape Jean Paul II et le Pape François donne une place particulière à François d’Assise en choisissant de prendre ce nom pour sa fonction papale, fait inédit dans l’histoire de la papauté et en utilisant le titre d’une prière bien célèbre de François pour son encyclique, Laudato si’ « loué sois tu ».
Saint François d’Assise a été nommé patron de l’écologie le 29 novembre 1979 par une bulle84
pontificale :
« Parmi les saints et admirables hommes qui ont respecté la nature comme
un merveilleux don de Dieu à la race humaine, Saint François d’Assise
mérite une considération particulière. Car d’une manière spéciale, il avait un sens profond des travaux universels du Créateur ; et rempli d’un certain esprit divin, il chantait le très beau Cantique des Créatures »
Etienne Masquelier85 le dit à juste titre : « comme Monsieur Jourdain faisait de la prose en
l’ignorant, les moines et les moniales vivent de manière écolo sans le savoir ni l’avoir voulu » ;
en effet par le jeûne et la prière, l’esprit de pauvreté en toute chose, les circuits courts, le partage des biens, les vêtements usés jusqu’à la corde, la sobriété de vie, la stabilité de lieu, les faibles désirs matériel et ces motivations ne sont absolument pas liées à l’écologie mais à la volonté de suivre le Christ par un vœu de pauvreté.
La culture chrétienne86 a toujours reconnu dans les créatures qui entourent l’homme autant de
dons de Dieu à cultiver et à garder avec un sens de gratitude envers le Créateur. En
particulier les spiritualités bénédictines et franciscaines ont témoigné de cette sorte de parenté de l’homme avec toute la création, en alimentant en lui « une attitude de respect envers chaque réalité du monde environnant ».
Aujourd’hui encore de nombreuses abbayes vivent sur ce rythme de vie monastique et vivent
de la vente de leur production agricole, viticole ou autre87 ; il existe aujourd’hui en France une
entreprise de cosmétique dont la production dépend entièrement du monastère alors qu’il est dirigé par des laïcs non croyants ; cette entreprise repose sur une production liée au rythme de la vie des moniales car il s’agit de femmes ayant une relation particulière avec l’extérieur comme l’absence de négociation des prix à la vente ; les sœurs bénéficient d’une marge raisonnable de
84 https://eglise.catholique.fr/actualites/dossiers/jubile-de-la-misericorde/411200-quest-ce- quune-bulle-pontificale/
85 Annexe 6 Etienne Masquelier. Il n’y a pas plus écolo qu’un moine 86 Compendium 464
25% ; au sein du monastère, le travail est intégré dans la vie des moniales qui ne travaillent que
cinq heures par jour, alliant ces heures à la vie du couvent ; elles bénéficient d’une grande autonomie dans leur travail et ne sont pas victimes de discrimination quant à leur âge et nous pouvons voir des religieuses de quatre-vingt ans encore travailler quelques heures par jour avec leurs sœurs cadettes.
Ce modèle de management entre parfaitement dans l’esprit d’une économie écologique qui pourrait être développée dans d’autres contextes ; il reste à savoir si cela est concevable aujourd’hui et à l’avenir.