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Source : Chesbrough (2003)

L’intérêt porté à l’innovation ouverte est lié à une prise de conscience des entreprises de leur

capacité à utiliser la technologie issue de l’environnement externe dans leurs activités. Les

multinationales (Merck, Cisco, Apple, Procter&Gamble, etc.) se sont approprié cette pratique

et en tirent des bénéfices. L’innovation ouverte présente de nombreuses opportunités qui

justifient son intégration dans les pratiques des entreprises. Chesbrough avance plusieurs

arguments en sa faveur.

D’abord, l’entreprise n’est pas la seule entité à générer des « connaissances et compétences ».

Dans le cas de l'innovation fermée, les phases sont plutôt séquentielles allant des projets de

recherche au marché et les frontières fermées (trait continu, cf. figure 4). Le modèle de

l'innovation ouverte, en revanche, montre une certaine perméabilité des frontières.

L'entreprise traverse les frontières clairsemées (en pointillé) pour explorer et exploiter son

environnement. Il ne s'agit plus seulement de produire et valoriser par la voie habituelle, mais

aussi d'explorer de nouvelles pistes (cf. figure 4). Chesbrough (2003 : 53) donne l’exemple de

Merck, acteur majeur de l’industrie pharmaceutique et chimique : « Merck représente environ

un pour cent de la recherche biomédicale dans le monde. Afin de puiser dans les autres 99

pour cent, [l’entreprise tend] la main aux universités, aux instituts de recherche et

entreprises du monde entier pour apporter les meilleures technologies et produits potentiels à

Merck. La cascade des connaissances découlant de la biotechnologie […] est bien trop

complexe pour être gérée par une entreprise seule ».

Les entreprises assument cette volatilité de la main-d’œuvre et cette impossibilité de disposer

des meilleures ressources en interne. Au lieu de chercher à recruter à tout prix les

« meilleurs », elles travaillent désormais avec les « meilleurs », dans et en dehors de

l’entreprise.

Ensuite, la « R&D externe », loin d’être une concurrence, est un potentiel créateur de valeur.

Pour tirer profit de cette R&D, le business model de l’entreprise doit être repensé dans sa

totalité. Pour accéder à la R&D externe, l’entreprise doit à son tour céder des « actifs ». La

propriété intellectuelle représente dans ce cas un enjeu capital et doit être véritablement

connectée à la fonction d’innovation. Si dans l’innovation « fermée », l’attitude des

entreprises était « défensive », le contexte de l’innovation ouverte s’accompagne d’une

posture « offensive ». Les entreprises peuvent redouter l’ouverture, par crainte pour leur

business ou leurs savoir-faire spécifiques, mais ces craintes sont contrebalancées par les

avantages indéniables tirés d’une exploitation des ressources externes. Par ailleurs,

l’ouverture n’est pas synonyme d’abandon, pour l’entreprise, de ses droits exclusifs sur ses

connaissances. Elle est plutôt le signe de renforcement d’une position ou d’une amélioration

d’une technologie (Jullien et Pénin, 2014).

Enfin, l’entreprise peut tirer avantage d’une innovation qu’elle n’a pas initiée. Depuis le

milieu des années 80, la part de R&D aux mains des entreprises américaines n’a cessé de

décroître. Dans le même temps, les investissements des grandes entreprises, en pourcentage

du PIB américain, a constamment évolué jusqu’aux années 2000. Les entreprises n’hésitent

plus à réduire ou sous-traiter leurs efforts de R&D, leurs partenaires s’étant dotés de capacités

à la hauteur des défis de l’innovation. Le groupe Procter&Gamble est cité comme un exemple

réussi d’une R&D ouverte. Confronté à un contexte économique difficile (augmentation de

ses coûts de R&D, alors que ses résultats sont en baisse), le groupe a décidé de changer de

stratégie dans son activité de R&D

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, par le lancement d’un programme d’innovation ouverte

baptisé « Connect + Develop ». Des experts et petites entreprises de technologie étaient

invités à relever les défis techniques auxquels le groupe se heurtait. Ces partenariats fructueux

se sont développés au point qu’aujourd’hui 50 % des nouveaux produits intègrent des

éléments élaborés hors de l’entreprise, contre 15 % en 2000. Dans le même temps, la R&D du

groupe a affiché une productivité en hausse de 60 %, alors même que son poids dans le chiffre

d’affaires est passé de 4,8 % à 3,4 % (Enkel et al. 2009).

Le concept d’innovation ouverte doit toutefois faire l’objet de nuances. La pratique de

l’innovation ouverte est restreinte au secteur industriel et celui des services (OCDE, 2008b :

55-56). De plus, les frontières ne sont pas si perméables puisque les fournisseurs et les clients

restent les partenaires privilégiés dans les collaborations. Dans ce rapport (ibid. 2008b : 81), il

apparaît que les trois quarts des entreprises interrogées consacraient 80 % de leur budget

R&D à la R&D interne (selon des données de l’enquête du Fourth Community Innovation

Survey). La plupart des entreprises ont engagé des pratiques d’innovation ouverte : 51 % de

ces entreprises consacrent jusqu’à 5 % de leur budget R&D à la recherche dans d’autres

entreprises, tandis que 31 % en allouent plus de 10 %. En France, 40 % des entreprises

pratiqueraient l’innovation ouverte. 65 % des entreprises interrogées ont tissé des relations

avec leurs fournisseurs, 50 % avec leurs clients, 36 % avec leurs concurrents, 26 % avec des

universités et d’autres établissements d’enseignement supérieur, 18 % avec la recherche du

secteur public. Par ailleurs, l’innovation ouverte ne concerne pas les core competencies

considérées comme stratégiques. Les industriels restent ainsi assez méfiants. L’identité du

partenaire est également déterminante. Lorsque les relations sont anciennes ou en tout cas

« régulières », les partenariats se tissent plus facilement. Dans ce cas, la confiance s’est

installée, les cultures sont connues. En revanche, les collaborations sont moins naturelles

lorsque les individus ne fréquentent pas naturellement les mêmes cercles (des collaborations

plus rares avec les non-concurrents : entreprises-universités). Enfin, certains facteurs

structurels (de longs cycles de technologies, une innovation incrémentale, l’entrée de

l’industrie dans une phase de maturité) sont défavorables à l'innovation ouverte. De plus, les

industries ne sont pas toujours animées des meilleures intentions. Derrière l’innovation

ouverte peut se cacher une volonté de groupes de maîtriser le « processus d’innovation »

(Isckia et Lescop, 2011 : 96).

Ces nuances apportées à l’innovation ouverte n’empêchent pas de constater la propension des

entreprises à s’ouvrir à des ressources externes pour être plus performantes. Les motivations

profondes ne sont pas toujours explicitées, pour autant la preuve que cette ouverture est une

richesse n’est plus à faire. L’aspect strictement économique n’est pas le seul déterminant dans

la décision de s’engager dans l’innovation ouverte. L’humain y occupe une large part

puisqu’à travers les échanges se révèlent des tensions et dans le même temps un

enrichissement par d’autres cultures, d’autres méthodes de travail, de nouvelles compétences,

de nouveaux points de vue, de la capitalisation, etc. (Gratacap, 2011).

Le concept d'innovation ouverte, telle que décrite, éclaire l'innovation dans les pôles de

compétitivité. Notre recherche contribue à asseoir une collaboration inter-organisationnelle

efficace dans les PIC. Dans ce cas, l’enjeu est d’arriver à bâtir en amont une vision partagée

autour d’acteurs qui ont tout à apprendre les uns des autres.

Par ailleurs, le rôle des États a parfois été déterminant dans l’engagement des acteurs

économiques dans l’innovation. Certains États ont eu historiquement une politique favorable à

l’innovation et encouragé la collaboration entre des organisations différentes, d'autres sont en

train de rattraper leur retard, d’autres encore commencent tout juste à esquisser des politiques

ambitieuses dans cette direction.

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