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2. Apports théoriques : les voies de l’imaginaire en didactique du FLE

2.2. La fiction

Au cours des paragraphes précédents, nous avons plusieurs fois évoqué la fiction, sans préciser de définition plus rigoureuse de celle-ci. La fiction étant intimement liée à la question de l’imaginaire, il convient de la définir et de relever les multiples liens qu’elle entretient avec notre sujet.

2.2.1. Définition

La définition de la fiction varie selon les domaines d’étude. Dans le Trésor de la Langue Française Informatisé, on trouve ainsi plusieurs définitions : la fiction est d’abord « le produit de l’imagination qui n’a pas de modèle complet dans la réalité ». Puis rapidement, la fiction soulève la méfiance : « Mensonge, dissimulation faite volontairement en vue de tromper autrui », « Construction imaginaire consciente ou inconsciente se constituant en vue de masquer ou d’enjoliver le réel » ou, en didactique, « Hypothèse dont on ne sait à l’avance si elle est juste ou fausse, qui permet l’élaboration d’un raisonnement ».

La fiction a un statut provisoire, incertain, soit parce qu’elle est une entourloupe, une tromperie, soit parce qu’elle est une construction pour « masquer », « enjoliver », donc tromper aussi mais à des fins moins malintentionnées. En didactique, elle a un statut provisoire, en attente, et c’est la confrontation avec le réel qui la validera, ou l’invalidera. C’est peut-être la définition spécifique du domaine artistique qui correspond finalement le mieux à notre situation : « Création imaginaire, souvent anecdotique, dans une œuvre artistique, littéraire ou cinématographique le plus souvent, constituant un code de lecture entre le créateur et son public ». Ne s’agit-il pas d’un même « code », un contrat implicite autour de la feintise, que l’on passe en situation de classe ?

2.2.2. La fiction en classe de langue

En effet, le cadre de la classe est bien réel mais de nombreuses activités qui s’y déroulent sont soumises à un contrat de fiction. C’est le cas des jeux de rôle où l’on feint d’être serveur, agent immobilier, vendeur de vêtements, on feint d’acheter, de négocier, d’être servi. Le cadre de la classe n’étant pas destiné à être le cadre réel d’échanges en langue-cible, il nous faut convoquer des espaces fictifs, ou imaginaires.

34 L’un des buts de l’enseignement d’une langue étrangère est de permettre à un

sujet donné de s’exprimer dans des situations variées de la culture étrangère. Or, ces situations étant absentes dans le cadre de la classe de langue, elles ne peuvent être construites que par le moyen de la fiction (Cicurel, 2011, p. 65)

L’imaginaire comble l’absence des situations authentiques. Il rend possible, via la fiction, la création d’espaces faux, inventés, recrées. Ainsi, dans cet épisode de « feintise ludique » (Muller, 2014) l’imaginaire de l’apprenant est développé, voire révélé. En effet, l’apprenant imagine pendant qu’il joue, mais son jeu révèle aussi ce qui est, pour lui, caractéristique d’une situation, donc son imaginaire. En quoi la fiction est-elle alors une manifestation de l’imaginaire ? Cette question sera développée dans notre analyse.

Le consensus autour de la fiction est du même ordre que le consensus théâtral : on s’accorde sur le fait que l’action qui se déroule est fausse mais on accepte, implicitement, ce consensus. Cependant, comme au théâtre, on peut aussi jouer avec les codes, jouer des codes, au cours de la fiction. Les apprenants jouent-ils des codes de la fiction ? Acceptent-ils ce cadre factice avec aisance ou avec méfiance ? Jouent-ils avec réalisme ou créent-ils un personnage pour cet espace fictionnel ? Jouer, faire comme si, se mentir joyeusement et délibérément dans l’espace gratuit et ludique qu’est la fiction est un processus traditionnel de l’apprentissage. On apprend en faisant semblant, cette technique est utilisée dans de nombreux domaines. Mais, hors de ces espaces déterminés, l’apprentissage entier est sous le signe de la fiction. Apprendre, c’est se projeter, s’imaginer en tant qu’expert dans le domaine que l’on apprend. Quel imaginaire intervient alors ? Comment les apprenants se projettent-ils dans des espaces francophones ? Comment, en classe, donner vie à cet imaginaire projeté ?

La fiction est omniprésente, même si le jeu de rôle est l’espace qui la privilégie le plus. L’explication d’un terme nécessite très souvent le recours à la fiction. Cicurel propose ainsi deux situations placées sous le contrat de la fiction : la « fiction comme mode d’interaction » (Cicurel, 2011, p. 66) avec des « débrayages d’un monde réel vers un monde possible » comme c’est le cas des blagues, de l’ironie, des anecdotes ou encore des histoires imaginaires ; et « la classe comme espace de production fictionnelle » (Cicurel, 2011, p. 68). Quels sont alors les embrayeurs de la fiction ? Un code précis permet-il de reconnaître l’espace fictif de l’espace réel ? Comment l’enseignant introduit-il ces espaces et quel crédit leur accorde-t-il ? Est-ce que des accessoires sont utilisés ? Est-ce que les gestes assument aussi la fiction ?

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2.2.3. L’e seig a t, ce si ulateu

Reprendre ici la notion de « simulateur » est un moins grand risque que d’adopter une terminologie théâtrale qui qualifierait l’enseignant de « comédien ». L’enseignant n’est-il pas moins comédien que metteur en scène ? Mais la classe, soumise à de nombreux aléas, pourrait aussi être qualifiée de mise en scène collective ? Nous reviendrons sur ces différentes questions terminologiques par la suite. Pour l’heure, il est intéressant de s’arrêter sur la notion de « simulateur » empruntée à Porcher. En effet, pour ce didacticien, une des fonctions de l’enseignant est celle de simuler. La communication en classe est forcément basée sur un rapport inégal au savoir puisque l’un (l’enseignant) maitrise mieux le savoir linguistique que l’autre (l’apprenant). « En même temps, bien entendu, [l’enseignant] montre qu’il fait semblant, puisqu’il est celui qui sait. [… Il] fait comme s’il ne savait pas tout ce qu’il fait, il se place à un degré inférieur de savoir, il fait semblant » (Porcher, 1984, p. 78). Faire comme si, faire semblant sont des termes qui montrent bien le côté fictif de l’enseignement. L’enseignant feint ainsi l’ignorance pour engendrer « un comportement maïeutique » (Porcher, 1984, p. 78), il pose des questions afin d’arriver à la réponse alors qu’il connait déjà cette dernière. Ainsi, le dialogue socratique, fondé sur un contrat de simulation et de fiction, est une dimension prépondérante d’une forme de pédagogie active où l’apprenant cherche par lui-même. Fiction et enseignement se fréquentent donc assidument, imitant quelques codes du jeu théâtral que nous allons étudier à présent.

2.3. Théâtre et classe de langue : de la mise en scène de la classe vers des

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