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3 – Être une femme dans une société d’hommes ?

Afin de se créer une légitimité politique, Mme Roland n’a d’autre choix que de graviter au sein d’une société uniquement composée d’hommes. Fréquentant certaines femmes au cours de sa vie, elle choisit de s’en éloigner, happée par la politique qui devient sa principale source de préoccupation. Mme Roland en est consciente : si elle veut avoir de l’influence, elle doit faire de son salon un foyer d’hommes.

3.1 – Huis clos et amitiés féminines : de l’attachement à l’éloignement

Les amitiés au couvent

L’amitié entre Mme Roland et les demoiselles Cannet ne se serait très certainement jamais produite si celles-ci ne s’étaient pas rencontrées dans l’enceinte isolée et spirituelle du couvent

1 Ibid., p. 511-512. 2 Ibid., p. 468.

des Dames de la Congrégation. En effet, n’étant pas issue du même milieu social que Sophie et Henriette, Manon ne fréquente donc pas la même société qu’elles : « Henriette, appartenant à une famille fidèle aux opinions monarchiques, avait vu avec peine son amie se précipiter dans la carrière de la Révolution, avec son rêve de République1 ». Cette grande différence d’opinions politiques ne doit cependant pas être considérée comme la cause de l’éloignement progressif des amies, principalement dû à la volonté de Mme Roland de n’inclure aucune femme dans son cercle politique. Si les trois femmes sont alors en désaccord, ne partageant pas la même vision à propos de l’avenir de la France, le couvent leur a permis de nouer des liens d’une toute autre nature. Il est devenu une source principale de rencontres spirituelles entre femmes, effaçant les origines sociales et privilégiant à la fois simplicité et sensibilité. À propos de Sophie Cannet, Mme Roland écrit :

Le calme d’une raison prématurée caractérisait Sophie ; elle ne sentait pas très vivement parce que sa tête était froide, mais elle aimait à réfléchir et à raisonner ; tranquille, sans prévenance, elle ne séduisait personne, mais elle obligeait tout le monde dans l’occasion et, si elle n’allait au-devant de rien, elle ne refusait rien non plus. Elle aimait le travail et la lecture2.

La jeune Manon se reconnaît alors en Sophie Cannet d’un point de vue spirituel et intellectuel. Éprouvant toutes deux le besoin de raisonner et de questionner le monde qui les entoure, elles deviennent inséparables, partageant « ouvrages, lectures, promenades3 ». Le calme du couvent leur permet de confronter leurs opinions dans le plus grand des sérieux. Toutes deux solitaires, il leur offre la possibilité de se livrer intimement, d’exposer leur cœur sans la moindre crainte :

Je n’avais de véritables communications qu’avec ma bonne amie, tout autre ne faisait que m’entrevoir, à moins que ce ne fut quelqu’un d’assez habile pour lever le voile dont, sans prétendre me cacher, je m’enveloppais naturellement4.

S’attachant alors avec « cet abandon qui suit le besoin d’aimer à la vue de l’objet propre à le satisfaire5 », Manon éprouve pour Sophie une amitié qui grandit au fur et à mesure du temps passé au couvent. C’est grâce à cet espace qu’elles peuvent s’exprimer en toute sincérité et ne pas prétendre à de faux centres d’intérêts comme l’exige la société. La mondanité n’y ayant pas

1 Lettres en partie inédites de Madame Roland (Mademoiselle Phlipon) aux demoiselles Cannet avec une introduction et des notes par C.A. Dauban, Paris, Henri Plon, Imprimeur-Éditeur, 1867, t.1, p. xiii.

2 Mme Roland, Mémoires, op.cit., p. 349-350. 3 Ibid., p. 350.

4 Ibid., p. 350-351. 5 Ibid., p. 350.

sa place, elles sont en mesure de continuer à s’éduquer intellectuellement et spirituellement. Si Mme Roland continue son éducation politique parmi des hommes, c’est avec des femmes qu’elle continue à s’abreuver des choses de l’esprit. Son amitié avec Sainte-Agathe, une religieuse du couvent, est également très forte. Sainte-Agathe prend Manon sous son aile et lui donne secrètement une clé de sa cellule afin que la jeune fille puisse « y entrer en son absence » et lire « les livres de sa petite bibliothèque »1. Il se noue alors au couvent des relations sérieuses et intellectuelles qui, pour Mme Roland, apparaissent impossibles à construire avec des mondaines. Un passage des Mémoires indique qu’elle apprécie toutefois les rares mondanités qui y ont lieu :

Il faut avouer que dans ces fêtes de pauvres recluses, où l’on pouvait trouver de l’enfantillage, il régnait aussi ce je ne sais quoi d’aimable, d’ingénu, de gracieux, qui n’appartient qu’à la douceur des femmes, à la vivacité de leur imagination, à l’innocence de leurs ébats lorsqu’elles s’égayent entre elles, loin de la présence d’un sexe qui les rend toujours plus sérieuses quand il ne les fait pas délirer2.

C’est dans le but de revoir Sainte-Agathe qu’elle retourne au couvent durant une fête donnée pour la supérieure. Si Mme Roland s’emploie à critiquer la superficialité des mondanités, elle affiche ici un regard différent, teinté d’admiration pour ces femmes qui profitent du cours de la vie en toute simplicité et avec une profonde innocence. Ayant passé la plus grande partie de sa vie entourée d’hommes, Mme Roland nous montre avec ces quelques lignes que l’influence de l’homme peut s’avérer néfaste pour la femme. La fréquentation de ce huis clos lui permet de goûter à l’insouciance que procure alors l’innocence, loin des affres d’une société qui est dirigée par des hommes et dont elle doit se rapprocher afin de se créer une légitimité en tant que femme. Dans un premier temps, Mme Roland se montre fidèle envers ses amies du couvent. Très attachée à Sainte-Agathe, elle continue ses visites régulières au couvent : « Son caractère et son affection m’ont inspiré pour elle l’attachement le plus vrai ; je me suis honorée de le lui témoigner sans cesse. Dans les dernières années de l’existence des couvents, ce n’était plus qu’elle seule que j’allais voir dans le sien3 ». Mais cette amitié, à la manière de celle avec les demoiselles Cannet, s’amenuise au fur et à mesure que l’intérêt politique de Mme Roland gagne en ampleur. En effet, plus Mme Roland s’engage dans les travaux de son mari, plus les échanges avec Sophie Cannet se font rares. Dans son introduction aux lettres échangées entres les jeunes filles, C.A. Dauban

1 Ibid., p. 352. 2 Ibid., p. 377. 3 Ibid., p. 353.

rapporte les paroles de M. Auguste Breuil, qui était un avocat à la cour royale d’Amiens : « Si, postérieurement à leur séparation, ces deux dames échangèrent encore quelquefois des confidences amicales, il est probable qu’après 89, et à mesure que la Révolution fit des progrès, ces confidences devinrent de plus en plus rares1 ». Ainsi, selon les lettres que nous avons en notre possession, Mme Roland en écrit 6 à Sophie en 1780, 1 en 1782, 1 en 1783, puis aucune jusqu’en 1793, année de sa mort. Malgré la promesse que s’étaient faite les deux jeunes filles de ne jamais s’oublier, et dont leurs mères avaient été témoins, le profond désir de Mme Roland de prendre part à la Révolution fut la cause de cet éloignement. Si pour Mme Roland les différences de leur morale ont relâché leur amitié sans pour autant la rompre, elle tient cependant à prévenir Sophie que leur amitié n’est plus aussi importante : « Je fus avant tout amie franche et dévouée, toujours aimante et sincère ; je suis épouse aujourd’hui, cette relation devient la première, et tu n’es plus qu’au second rang2 ». L’amitié féminine devient alors une douce parenthèse avant le tumulte de la vie révolutionnaire profondément masculine. Si les sentiments de Mme Roland pour les demoiselles Cannet et Sainte-Agathe sont intenses, ils ne peuvent prévaloir sur ceux qu’elle éprouve pour son mari ainsi que sur ceux qu’elle éprouve plus largement pour sa patrie. Une nouvelle amitié féminine fait pourtant son apparition : celle avec Sophie Grandchamp.

L’amitié avec Sophie Grandchamp

Ce n’est que bien plus tard, en 1791, que les deux femmes se rencontrent par le biais de leur ami, Bosc. Cette amitié se noue à la campagne, plus précisément au Clos de La Platière. Mme Roland est persuadée qu’une forte intimité peut s’établir entre elles grâce aux charmes de sa campagne pittoresque qu’elle souhaite lui faire découvrir. Et c’est précisément au sein de cette campagne isolée, loin de l’agitation de la ville et du tumulte de la Révolution, que les deux femmes vont créer et consolider leur amitié. Sophie confie alors dans ses Souvenirs les forts sentiments qu’elle a éprouvés pour Mme Roland :

C’est dans ce lieu agreste, dans cette profonde solitude que je sentis le prix d’un commerce avec la plus séduisante des femmes. Je voyais naître et finir la journée sans former de désirs qui lui fussent étrangers. […] Recueillies,

1 Lettres en partie inédites de Madame Roland (Mademoiselle Phlipon) aux demoiselles Cannet avec une introduction et des notes par C.A. Dauban, op.cit., p. vii.

nous demeurions souvent dans un religieux silence, pour nous livrer ensuite aux épanchements que la confiance, l’amitié, les rapports rendaient si doux1.

La manière dont Sophie Grandchamp dépeint cette amitié peut susciter chez le lecteur certaines interrogations, notamment à propos de la nature de ses sentiments. Aurait-elle éprouvé plus que de l’amitié envers cette femme qu’elle admirait passionnément ? S’occupant uniquement « des moyens de la rendre plus heureuse2 », étant d’une dévotion extrême, Sophie se livre aux soins d’une amitié sincère et intense. Son bonheur « commençait à dépendre du sien3 ». La campagne offre véritablement un espace qu’il est possible de définir comme un huis clos puisque les deux femmes se retrouvent coupées du monde extérieur, vivant alors un rêve éveillé et éprouvant la douceur d’une retraite amicale. L’arrivée de Roland au sein de ce huis clos propice à l’amitié est vécue comme un premier élément déclencheur de l’éloignement progressif entre les femmes, venant troubler « cette douce existence4 ». La participation à la vie politique de son mari éloigne une nouvelle fois Mme Roland de ses amies :

Après l’intimité qui avait régné entre nous, je fus surprise de la contrainte, de la froideur que je crus apercevoir dans les lettres de Mme Roland. J’y trouvai

de l’esprit. De l’esprit à quelqu’un qu’on dit aimer, dont on a pleuré le départ, qu’on désire rejoindre, qui va tout entreprendre pour notre bonheur5 !

Ne reconnaissant plus l’amie avec qui elle avait partagé cette parenthèse campagnarde, Sophie ne cesse de lui reprocher son manque de sensibilité causé, selon elle, par son entrée en politique. Sophie éprouve alors un vif sentiment de frustration et se laisse progressivement gagner par la jalousie :

Je reçois du bureau de la diligence un billet par lequel elle me priait de ne point me trouver à leur arrivée, son mari et sa fille ayant besoin de repos. Ce trait m’accabla. Depuis plusieurs jours je n’avais cessé de m’occuper d’eux, et ce n’est pas moi qu’ils désirent embrasser la première ! Je suis de trop, ils m’éloignent6 !

Écrivant ses Souvenirs treize ans après la mort de Mme Roland, Sophie demeure profondément marquée par leur éloignement. Le style utilisé, notamment avec le choix du verbe « accabler »

1 Sophie Grandchamp, « Souvenirs » dans Mémoires de Mme Roland contenant des fragments inédits et les lettres

de la prison, éd. Claude Perroud, Paris, Plon, 1905, p. 465. 2 Ibid., p. 464.

3 Ibid.

4 Ibid., p. 466. 5 Ibid., p. 469. 6 Ibid.

ainsi que les nombreuses exclamations, apportent un effet de dramatisation. Sophie, prise dans les tourments de la jalousie, exagère alors la situation. Se montrant possessive envers son amie, elle ne conçoit pas que celle-ci puisse avoir d’autres préoccupations. Cependant, si Sophie nous paraît dramatiser les événements, il est incontestable de voir une véritable prise de distance qui s’opère de la part de Mme Roland. Cette prise de distance coïncide naturellement avec son entrée en politique, à la suite de la nomination de son mari au ministère de l’Intérieur. C’est ainsi que, du jour au lendemain, Mme Roland se sépare de son amie : « Notre intimité était si connue, ils avaient parlé avec tant d’enthousiasme de mon dévouement, de leur reconnaissance, que Mme Roland continua quelque temps à venir tous les deux jours un quart d’heure ; une circonstance lui fit supprimer ces visites1 ». Sophie semble suggérer que Mme Roland, malgré ses occupations diverses, s’obligeait à entretenir cette amitié qui ne lui paraissait plus aussi importante qu’elle ne l’avait été. La brièveté des visites, premier facteur de l’altération de l’amitié, se transforme en une rupture brutale, Sophie écrivant alors que les deux femmes cessèrent de se voir. Il nous faut également noter une absence quasi-totale de Sophie Grandchamp au sein des Mémoires. En effet, Mme Roland ne la mentionne qu’une seule fois et ne prend pas la peine de citer son nom, la désignant comme une « femme intéressante2 ». N’évoquant pas dans ses Mémoires l’heureuse amitié vécue au Clos, elle fait uniquement allusion à la visite de Sophie à Sainte- Pélagie dont nous serons amenés à parler par la suite. Si elle ne veut pas désigner Sophie comme une ancienne amie, c’est dans le but d’atténuer, comme elle l’a fait au cours de sa vie, la présence des femmes dans son entourage. Il semble que notre mémorialiste continue à marquer une distance avec les femmes, même avec celles qui sont devenues proches à un moment précis de sa vie, afin de conserver une légitimité à laquelle elle a tant travaillé.

La fidélité malgré l’éloignement

L’éloignement de Mme Roland provoqué par l’arrivée de la Révolution, son mariage avec Roland ainsi que son entrée en politique n’empêchent pas les amies qu’elle a rencontrées dans ces lieux isolés de lui vouer une fidélité sans failles et ce, jusqu’aux derniers instants de sa vie. Henriette Cannet, malgré de profonds dissentiments politiques, « tint en assez haute estime les vertus de madame Roland pour lui conserver un attachement inviolable et vouloir lui faire le

1 Ibid.

sacrifice de sa vie1 ». La visitant à la prison de Sainte-Pélagie, Henriette propose alors à son amie de prendre sa place :

J’étais veuve, disait-elle, et sans enfants : Madame Roland, au contraire, avait un mari déjà vieux, une petite fille charmante, et tous deux réclamaient ses soins d’épouse et de mère. Quoi de plus naturel que d’exposer ma vie inutile pour sauver la sienne, si précieuse à sa famille ! – Je voulais changer d’habits avec elle, et rester prisonnière, tandis qu’elle aurait essayé de sortir à la faveur du déguisement… Eh bien, toutes mes prières, toutes mes larmes, n’ont pu rien obtenir. – Mais, on te tuerait, ma bonne Henriette, me répétait-elle sans cesse ; ton sang versé retomberait sur moi : plutôt souffrir mille morts que d’avoir à me reprocher la tienne !... La voyant inébranlable, je lui dis adieu… pour ne jamais la revoir2 !...

Cette déclaration, rapportée par M. Auguste Breuil, nous permet d’assister à la profondeur et à la sincérité d’une amitié à laquelle Henriette se dévoue corps et âme. La vie de son amie lui importe alors bien plus que la sienne. N’étant pas une simple proposition dictée par l’émotion du moment, Henriette se démène pour que son amie l’accepte et nous expose une scène emplie de pathos. L’extrême dévouement d’Henriette n’aura raison de Mme Roland qui, aussi altruiste et généreuse que son amie, ne peut accepter que leurs places soient échangées, préférant alors endurer les plus atroces souffrances. Toutes deux font preuve d’un extrême courage, laissant le lecteur pleinement admiratif face à cette force hors du commun. À propos de ce dévouement, M. Auguste Breuil nous explique : « Les Mémoires ne contiennent qu’une phrase relative à ce dévouement admirable ; mais Henriette, que nous avons beaucoup connue à Amiens, surtout dans les dernières années de sa longue existence, nous a plusieurs fois entretenu de cette visite à Sainte-Pélagie3 ». En effet, Mme Roland ne mentionne qu’une seule fois le sacrifice qu’était prête à faire son amie : « Henriette, libre, toujours vive et affectueuse, est venue me voir dans ma captivité, où elle aurait voulu prendre ma place pour assurer mon salut4 ». Comme ce fut le cas pour Sophie Grandchamp, Mme Roland ne s’épanche guère sur le dévouement d’Henriette alors que celle-ci n’hésite pas à en entretenir son entourage. Cette fidélité sans failles que nous pouvons constater chez Henriette est également présente chez Sophie Grandchamp qui, comme elle l’écrit, ne peut être indifférente au sort d’une femme qu’elle a « tendrement aimée5 ». Elle nous livre alors, a posteriori, sa réaction lorsqu’elle apprend la nouvelle de l’arrestation de Mme

1 Lettres en partie inédites de Madame Roland (Mademoiselle Phlipon) aux demoiselles Cannet avec une introduction et des notes par C.A. Dauban, op.cit., p. viii.

2 Ibid., p. vii. 3 Ibid.

4 Mme Roland, Mémoires, op.cit., p. 515.

5 Sophie Grandchamp, « Souvenirs » dans Mémoires de Mme Roland contenant des fragments inédits et les lettres

Roland : « Mon premier mouvement était de courir vers elle : son malheur effaçait ses torts, mais ces mêmes torts me faisaient craindre que ma démarche ne froissât plus son amour-propre qu’elle ne satisfît mon cœur1 ». Si Sophie apparaissait profondément marquée par les tourments que provoquèrent cette amitié, elle n’en garde pourtant aucune rancune. Malgré leur séparation, son amour ne s’est pas éteint et apparaît toujours aussi tendre et puissant qu’auparavant. Sophie, « frappée de surprise et de douleur2 », demande à voir Mme Roland qui lui répond avec toute la sincérité de son cœur :

Si je vous appréciais moins, il m’en coûterait beaucoup de vous voir en ce moment. Je crois donc vous donner une preuve non équivoque de mes sentiments en acceptant vos offres, et vous choisissant pour un dépôt qui demande une confiance sans bornes3.

Malgré la volonté de notre mémorialiste d’instaurer une distance avec ses amies, il apparaît évident que les sentiments sont toujours partagés. Sainte-Agathe continue elle aussi de vouer une forte amitié à sa protégée :

Elle végète non loin des lieux de notre ancienne demeure et de ceux où je suis prisonnière et, dans les disgrâces d’une situation mal aisée, elle ne gémit que de la détention de sa fille, car c’est ainsi qu’elle m’appelle toujours. Âmes sensibles, vous cesserez quelquefois de me plaindre en appréciant les biens que le ciel m’a conservé. Mes persécuteurs, au milieu de leur puissance, n’ont pas celui d’être aimés par une Agathe qui les chérit [sic] plus encore s’ils tombaient dans l’infortune4 !

Nous sommes de nouveau face à cette ambivalence qui caractérise si fortement Mme Roland. En effet, témoignant sans cesse de sa volonté de ne recevoir aucune femme chez elle et d’avoir un réseau uniquement constitué d’hommes, Mme Roland s’est volontairement éloignée de ses amies après de nombreuses années à échanger avec elles – nous pensons notamment à la volumineuse correspondance entretenue avec Sophie Cannet. Mais alors qu’elle se retrouve emprisonnée et qu’elle s’attèle à la rédaction de ses Mémoires, Mme Roland continue d’éprouver pour certaines d’entre elles de vifs sentiments. Par ces quelques lignes adressées à Agathe, nous voyons qu’elle continue d’entretenir cette amitié qui lui semble toujours aussi chère. Ainsi, le cadre intellectuel