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CHAPITRE 2 : Présentation des cas d’empoisonnement répertoriés au Québec dans le

B. La femme passionnelle

Les femmes pétitionnaires écrivent encore : « une malheureuse femme, dans l’égarement de la passion s’est rendue coupable d’un crime affreux66 ». Dans son article intitulé « Melodrama, Hysteria and Feminine Crimes of Passion in the Fin-de-Siècle », Ruth Harris dit du crime passionnel qu’il est un phénomène purement social et culturel67. Ce dernier est généralement évoqué pour consolider l’image de la femme « malade » en amour, mais également impuissante face à des sentiments qui lui font perdre la maîtrise de son corps. La criminelle passionnelle renforce le stéréotype de la femme, c’est-à-dire celui d’un être naturellement vertueux qui ne présente aucune menace pour la société puisqu’elle conserve une morale intacte et non déviante. L’utilisation sociale de ce stéréotype nous rappelle l’idéologie sexiste voulant que la femme, proche de ses sentiments, soit facilement déséquilibrée en raison de la faiblesse de son sexe.

Ce qui est pertinent dans le cas des pétitionnaires, c’est de constater que ce sont des femmes qui portent ce discours stéréotypé pour attirer la compassion et mieux assurer leur requête de commutation de la peine d’Eusébie Boutet. Les femmes qui s’expriment, ou celles qui l’on fait lors du procès, minimisent la violence d’Eusébie, comme le faisaient également les hommes lors du procès. C’est une autre manifestation du vrai social. Il faut dire aux représentants de l’ordre qu’ils sont en présence d’une femme chicanière et hystérique contrôlée par ses passions, mais qui est loin d’être dangereuse pour la société.

66 Voir ci extrait ci-haut.

67 Ruth Harris, «Melodrama, Hysteria and Feminine Crimes of Passion in the Fin-de-Siècle», History

87 - Je considère que c’est une chicane ordinaire de femmes68

- Nous vivions en bons voisins, mais quelques fois il y avait de la chicane parmi les femmes69 - Eusébie passe pour une femme chicanière […] elle était jalouse70

3.3.3 Marie McGaugh

Dans ce dernier cas étudié, rappelons-nous que l’empoisonneuse est une jeune fille célibataire, âgée de 22 ans, employée comme domestique au domicile d’un marchand canadien-français. Bien que nous pourrions croire que cette jeune fille n’a pas encore commencé à combler les rôles qui incombent à toutes les femmes de la société canadienne-française de l’époque c’est-à-dire, ceux d’être une épouse et une mère, sachons qu’être une domestique célibataire est un rôle classique et légitime et qu’il peut, au contraire, justifier toute une vie. Puisque nous ne sommes en présence ni d’une épouse ni d’une mère, tous motifs reliés à l’infidélité et à la jalousie, par exemple, sont ici à écarter. Marie McGaugh subit un procès pour infanticide par empoisonnement. Elle tue cet enfant dont elle est censée prendre soin dans le cadre de ses fonctions de domestique.

Lorsqu’elle étudie la domesticité féminine à Paris à la fin du XIXe siècle, Anne Martin-Fugier souligne le fait que les domestiques mécontentes de leurs maîtres manifestent généralement des réactions résignées plutôt que révoltées71. Elle ajoute que les affaires de meurtre sur la personne des maîtres ou de leurs proches sont rares et que, si les domestiques apparaissent sur le banc des assises, c’est souvent pour avoir tué leur propre enfant nouveau-né72. Jamais l’auteure ne fait référence à un cas d’infanticide commis par une domestique sur l’enfant de ses maîtres. Nous n’avons pour notre part identifié aucun cas s’apparentant à celui de Marie McGaugh. Son profil sociologique cependant concorde avec celui dressé par Marie-Aimée Cliche dans ses études sur les

68 BAC. RG13, vol. 1420, dossier 185A ; 1884-1898. Fonds du ministère de la justice. La Reine vs Eusébie

Boutet. Retranscription des témoignages de la couronne lors du procès : témoignage du beau-père d’Eusébie Boutet, François Tremblay, à propos de la chicane de la prisonnière et de Célina Guay portant sur un bouton, 14 octobre 1884

69 Ibid., témoignage de William alias Guillaume Tremblay, mari de Célina Guay, 13 octobre 1884 70 Ibid., témoignage de Joséphine Bouchard, 13 octobre 1884

71 Anne Martin-Fugier, La place des bonnes. La domesticité féminine à Paris en 1900, Paris, Éditions

Grasset & Fasquelle, 1979, p. 235.

72

88 mères infanticides : « Les personnes soupçonnées d’infanticide qui comparaissent devant le coroner ou le juge sont des jeunes filles dans 9 cas sur 10. Lorsque leur âge et leur métier sont indiqués, on constate que les trois quarts d’entre elles ont moins que 25 ans et gagnent leur vie comme servante73 ».

Marie McGaugh est la seule empoisonneuse de notre période à avoir avoué son crime. Les témoignages entendus dépeignent l’image d’une jeune fille innocente et émotive qui a agi sans connaître la portée de son geste. Ce sont donc des aveux candides qui marquent le début du procès de la jeune empoisonneuse lorsqu’ils sont relatés par Charles Abraham de Villiers, père de l’enfant, et David Dumas, commis marchand chez ce dernier.

Elle m’a avoué de plus que la raison qui l’a porté à empoisonner l’enfant était qu’elle voulait s’exempter de trouble et être plus libre de sortir et elle a dit qu’elle ne croyait pas qu’elle serait découverte que c’était une mauvaise pensée qui l’avait portée là74.

Samedi l’après-midi, le 27 jour de mai dernier, le jour qui a suivi la mort de l’enfant de M. De Villiers j’étais dans la grange avec Marie McGaugh, encore à couper des patates lorsque ladite Marie McGaugh se mit à pleurer, je lui demandais alors pourquoi elle pleurait, elle ne me répondit point, alors je lui redemandai de nouveau, elle me dit alors que c’était parce qu’elle avait empoisonné l’enfant […] Je lui dis alors pourquoi elle avait fait cela, elle me répondit que c’était pour s’en débarrasser qu’elle lui aurait donné trop d’attention et que ça l’avait empêché de sortir pendant l’été75.