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Chapitre 2 e : Contribution ministérielle de la femme aux premières heures du christianisme

2.4. La femme dans les écrits extrabibliques orthodoxes et hétérodoxes

L’examen de quelques textes extrabibliques nous permettra de circonscrire la contribution de la femme dans les premières communautés chrétiennes et hors de celles-ci. Si les premières années du christianisme naissant sont pleines de promesses, elles ne sont cependant pas exemptes de périls. Ainsi, l’une des premières tendances à se manifester dans le christianisme va être celle de l’ascétisme. En soi, l’ascétisme ne constitue pas un problème, mais le contact qu’a le christianisme avec les gnoses. Ce contact vient d’abord de ceux qui, forts des conceptions qu’elles véhiculent, ont joint l’Église. Ensuite le contact vient de la proximité qu’ont les membres des différentes communautés avec ces groupes hérétiques environnants. Tout cela n’est pas sans conséquence. Déjà, l’Évangile de Jean et sa première lettre nous en donnent un aperçu. L’insistance qu’ont les auteurs des écrits johanniques à défendre une saine anthropologie et le réalisme de l’Incarnation n’est pas fortuite. Une des conséquences du gnosticisme sera le rejet de la chair avec pour conséquence le mépris de la sexualité et de son exercice même légitime,

110. Cf. H. F. Von CAMPENHAUSEN, Kirchliches Amt und geistliche Vollmacht in den drei erstern Jahrhunderten,

mépris dont la femme fera les frais. L’Épître de Barnabé111 et la lettre de Clément112 ont vis-à-vis

de la sexualité un rapport qui n’est pas différent de la littérature chrétienne que nous qualifierions aujourd’hui de canonique. Il n’en va pas de même avec les écrits de Tertullien, par exemple, qui emprunte au gnosticisme son regard péjoratif sur la triade chair/péché/femme. Ce dernier en effet même avant la dérive montaniste va manifester un regard négatif sur la sexualité en général et la femme en particulier :

Ève, c’est toi, et tu l’oublies! La sentence de Dieu pèse ici-bas sur tout le sexe; il faut donc que le châtiment pèse sur lui. Tu es la porte du démon; c’est toi qui as brisé les sceaux de l’arbre défendu; toi qui as violé la première la loi divine; toi qui as persuadé celui que Satan n’osait attaquer en face; l’homme, cette auguste image de la divinité, tu l’as brisé d’un coup113

À la lumière de ces observations, nous ne serons pas étonnés de constater que très tôt dans l’Église naissante, apparaît l’ordre des vierges, des veuves et encore celle des ascètes. Congar dira : « Dès l’époque de Clément Romain [Clément 1er], et sans doute dès celle des Apôtres, il existait dans la communauté chrétienne des ascètes, des ―continents‖ et des vierges114. » Avec l’apparition du monachisme, les femmes trouvent une structure qui leur sera favorable au sens où elles trouveront un espace leur permettant de jouer un réel rôle dans une Église qui a déjà commencé à les exclure à cause, entre autres, des menstrues qui les affectent périodiquement. Denys, évêque d’Alexandrie (†264-265) va d’ailleurs, à la même époque, par le moyen d’une lettre à caractère canonique, enjoindre Basilide évêque de Ptolémaïs à écarter celles-ci de l’autel lorsqu’incommodé115. L’on remarquera au passage que ce deuxième canon récupère certains éléments de la première Alliance (le Saint des Saints, l’impureté rituelle contractée par la

111. PSEUDO-BARNABÉ, Épitre de Barnabé, XX, 1-2 in « Les écrits des pères apostoliques », dir. Dominique

BERTRAND, Paris, Cerf, 1991, p. 311 : « […] ils tuent des enfants (Sg 12, 5), font périr par avortement des créatures de Dieu. »

112. CLÉMENT de ROME, Épitre de Clément de Rome, XXXIII, VI in « Les écrits des pères apostoliques », dir.

Dominique BERTRAND, Paris, Cerf, 1991, p. 94 : « Et lorsqu’il eut achevé toutes ses œuvres, il les trouva bonnes et

les bénis en disant : ―Croissez et multipliez-vous‖ (Gn 1,28).

113. TERTULLIEN, De Cultu Feminarum I, 1-2, Paris, Cerf, 1971, coll. « Sources Chrétiennes » no 173, pp. 43-45 :

« Euam te esse nescis? Viuit sententia Dei super sexum istum in hoc saeculo: uiuat et reatus necesse est. Tu es diaboli ianua; tu es arboris illius resignatrix; tu es diuinae legis prima desertrix; tu es quae eum suasisti, quem diabolus aggredi non ualuit; tu imaginem Dei, hominem, tam facile elisisti »

114. Y.-M. CONGAR, Jalons pour une théologie du laïcat, 3e éd., Paris, Cerf, 1964, coll. « Unam Sanctam » n° 23, pp.

21-22.

115. Épître de Denys, évêque d’Alexandrie à Basilide évêque de Ptolémaïs « Menstuous women ought not to come to

the Holy Table, or touch the Holy of Holies, [le Corps et le Sang du Christ], not to churches, but pray elsewhere. – 2nd Canon », in Nicene and Post-Nicene Fathers, 2nd series, Vol. XIV Ŕ The Seven Ecumenical Concils, New-York, Ed. by Philip Schaff & Rev. Henry Wallace, 2007, p. 600. Nous n’avons pas réussi à trouver une traduction française de cette lettre d’où l’usage de la traduction anglaise de celle-ci.

souillure des règles entre autres) pour les appliquer dans le vécu liturgique de l’Église. C’est d’ailleurs à cette époque que commence à poindre une vision du presbyteros comme hiereus; nous assistons ici à l’émergence de la sacerdotalisation des ministères.

Donc, les femmes au début du processus de structuration de l’Église vont, en particulier sur la côte levantine, perdre le peu qu’elles avaient acquis en liberté et en espace pour exercer certains rôles à l’intérieur de la communauté. Parallèlement à cette régression, s’observent des groupes hétérodoxes qui font notablement plus d’espace aux femmes. Le montanisme en est peut-être l’exemple le plus probant. Une autre gnose qui conforte l’égalité homme/femme est celle de Valentin qui affirmait d’ailleurs que le Christ, principe masculin, avait sa contrepartie féminine en la personne de l’Esprit Saint. Ici, les principes plutôt que d’être en opposition se complétaient et exprimaient le caractère plénier de l’Univers puisque les deux principes, également bons, auraient eu leur origine dans un unique principe asexué. Il faut cependant relever que la doctrine valentinienne affirmait que le principe féminin en dieu aurait été faillible témoignant ainsi, une fois encore, du regard péjoratif porté sur la femme. Certains écrits apocryphes vont aussi faire la promotion d’un espace de liberté plus grand pour celle-ci. L’Évangile de Marie-Madeleine, sur la base du privilège qui fut le sien – celui de voir en premier le Seigneur – constitue un exemple d’écrits gnostiques en ce sens.

Il est un autre champ de considération qu’il nous faut explorer pour visualiser la place occupée par la femme dans les Églises du premier et deuxième siècle, soit celui du prophétisme. Celui-ci va dans les premiers temps de l’Église occuper une place prépondérante. La Didachè116 traitera

de la prophétie et de son exercice en groupant celle-ci avec les ministères d’apôtres et d’enseignants. Le Pasteur dřHermas pour sa part va marquer une inquiétude vis-à-vis des faux prophètes tout comme l’avait fait La Didachè117 : « Ceux-là, dit-il, sont fidèles et celui qui est

assis dans la chaire est un faux prophète : il corrompt le jugement des serviteurs de Dieu, mais de ceux qui doutent, non des fidèles. » Ce que l’œuvre ne précise pas, c’est le genre associé au faux prophète. Le kérygme de Pierre va pour sa part faire cette distinction basée sur le sexe, il va situer

116. La Didachè, XI-XIII, in « Les écrits des pères apostoliques »..., pp. 58-61.

117. Le Pasteur dřHermas, Précepte XI, 1, in « Les écrits des pères apostoliques »..., p. 388. : « […] Ceux-là, dit-il,

sont fidèles, et celui-ci que est assis dans la chaire est un faux prophète : il corrompt le jugement, des serviteurs de Dieu, mais de ceux qui doutent, non des fidèles. – Οὒηνη, θεζί πηζηνί εὶζη, θαὶ ὁ θαζήκέλνπο; ἐπὶ ηὴλ θαζἑδπαλ ςεπδνπξζἡηο ἐζηὶλ; ὂο ἀπὁιιπζη ηὴλ δηάᾳνηαλ η῵λ δνύισλ ηνῦ ζενῦ η῵λ δηςύρσλ δἐ ἀπὁιιπζηλ, νὐ η῵λ πηζη῵λ. »

la vraie révélation prophétique dans la lignée d’Adam, de Moïse et de Jésus, mais il dira par contre que la femme proclame une prétendue connaissance qui conduira tous ceux qui la reçoivent dans l’erreur et dans la mort comme Adam l’expérimenta après avoir écouté Ève118. Strecker en ce sens dira:

Along with the true prophet there has been created as companion a female being who is as far inferior to him as metousia is to ousia, as the moon is to the sun, as fire to light. As a female she rules over the present world, which is like to her, and counts as the first prophetess; she proclaims her prophecy with all amongst those born of women119. (H. 3. 22)

Il importe peu que le document soit ou non considéré comme orthodoxe; son intérêt vient davantage du fait qu’il reçut audience auprès des Églises, du moins dans sa partie égyptienne où il fut peut-être invoqué pour amoindrir l’activité prophétique de la femme si ce n’est de la réduire à néant. Il est ici opportun de se rappeler que la circulation de ce texte était contemporaine à l’hérésie montaniste, ce qui n’est pas sans fournir un élément d’explication à la réceptivité dont le document a fait l’objet, surtout si l’on se rappelle l’agitation que provoqua dans les milieux orthodoxes l’éminente présence de Maximilla et de Priscilla. L’hérésie de manière générale, nous le constatons ici encore, tend comme toujours, à exagérer un ou des aspects au détriment de l’ensemble du corpus doctrinal.