• Aucun résultat trouvé

La Farsa del Colmenero de Diego Sánchez de Badajoz (avant 1554)

PIÈCES DU CORPUS

5.6 La Farsa del Colmenero de Diego Sánchez de Badajoz (avant 1554)

5.6.1 Présentation

De longueur moyenne (616 vers), cette pièce a vraisemblablement été composée pour la Fête-Dieu comme le laissent penser les nombreux passages doctrinaux qui mettent en exergue le Saint Sacrement de l’Eucharistie (v. 297-328, v. 359-392, v. 401-416, etc.).

Probablement commandée par la corporation des apiculteurs, d’où le titre qu’elle porte, cette Farsa met en scène un Apiculteur (Colmenero) qui se dispute

la vedette avec un Laboureur (Labrador), ainsi qu’un Moine (Frayle) qui assume principalement le rôle d’un personnage savant. Même si les trois personnages sont dotés d’un fort potentiel comique, la présence du Moine exégétique apparente cette pièce aux « farsas dialogales » de Diego Sánchez de Badajoz. Les passages comiques (essentiellement des disputes) alternent donc avec des passages plus sérieux, où la catéchèse est assumée principalement par le Moine, le personnage le plus savant.

5.6.2 Argument

Dans cette pièce qui ne met en scène que trois personnages, un Berger-Apiculteur, un Moine et un Laboureur, le premier personnage qui intervient est le traditionnel Pastor bobo présenté sous les traits d’un apiculteur. Dans la didascalie initiale, l’auteur prend soin de le rendre identifiable en le présentant muni d’un couteau à désoperculer, d’un camail (masque de protection de l’apiculteur), de rayons de miel et d’un récipient taché de lait de chaux destiné à recevoir le miel. L’incipit récité par le Berger-Apiculteur compte 184 vers, soit près du tiers des vers de la farsa. Dans ce long monologue, le Berger devenu Apiculteur adopte un ton moralisateur en s’attaquant essentiellement aux femmes et à leur toilette. La misogynie du Berger-Apiculteur entraîne l’irruption sur scène d’un Moine (v. 185) venu défendre la gent féminine. Il s’engage aussitôt une dispute entre le Moine et le Berger-Apiculteur ; c’est alors qu’intervient un Laboureur (v. 200), muni d’une faucille et vêtu d’une veste en peau, pour rasséréner les deux rivaux. Mais très vite, le Laboureur se met du côté du Berger-Apiculteur pour poursuivre la dispute avec le Moine (v. 241-272). S’ensuit une partie dialogique où le Moine assume le rôle d’un personnage savant pour répondre aux questions des deux rustres. Caractérisé par plusieurs longs développements doctrinaux à la charge du Moine, ce passage catéchétique de la pièce permet à ce dernier d’exposer au Berger-Apiculteur et au Laboureur la valeur symbolique de leurs professions (v. 297-568). À la fin de la pièce, les personnages se lancent dans une nouvelle dispute (v. 569-616) qui prend fin ex

abrupto lorsque le Berger-Apiculteur s’enfuit avec une outre de vin. Notons que

cette pièce de Diego Sánchez ne se termine pas par les Villancico et copla que l’on trouve habituellement à la fin des drames eucharistiques de l’auteur.

5.6.3 Références bibliques

Ne s’agissant pas d’une pièce biblique, la Farsa del Colmenero ne s’inspire pas spécifiquement d’un épisode des Saintes Écritures. Cependant, il ne manque pas d’y avoir, dans cette pièce, les nombreuses références bibliques dont le curé de Talavera a l’habitude de parsemer ses drames religieux.

Le miel, en premier lieu, est un aliment biblique par excellence, dont la douceur sert d’image d’un bout à l’autre des Saintes Écritures. Il convient tout à fait pour établir des comparaisons avec le pain eucharistique. En effet, la manne évoquée par l’auteur (v. 471) pour préfigurer le pain eucharistique était un aliment miraculeux au goût doux de miel et de coriandre comme l’indique le livre de l’Exode 16, 31 : « La maison d'Israël donna à cela le nom de manne. On eût dit de la graine de coriandre, c'était blanc et cela avait un goût de galette au miel »199.

La Terre Promise (actuelle Palestine) est décrite dans la pièce comme ruisselante de lait et de miel (v. 465-467), ce qui est en tout point conforme avec les Saintes Écritures. On lit dans Exode 3, 8 : « Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de cette terre vers une terre plantureuse et vaste, vers une terre qui ruisselle de lait et de miel, »200.

La préfiguration eucharistique basée sur la célèbre métaphore filée du « grain de blé » : « Divino trigo sembrado, / de tierra virgen nascido, / etc. » (v. 361-392), est également présente dans la Farsa de Abraham (v. 91-105) de Diego Sánchez de Badajoz. Si cette image sert à évoquer métaphoriquement Jésus depuis sa naissance jusqu’à sa mort sur la croix, c’est aussi parce que dans la Bible, le blé est une céréale constamment mentionnée dans un sens symbolique.

199

Voir aussi Nombres 11, 7-8.

200 C’est dans des termes similaires que la Terre Promise est également décrite dans Lévitique 20, 24 ou dans Deutéronome 11, 19.

Elle était, par exemple, étroitement liée à la fête des Semaines, ou Pentecôte, où l’on présentait à Dieu comme offrande balancée deux pains à pâte levée faits avec de la farine de blé (Exode 34, 22 ; Lévitique 23, 17). Ces pains se prêtent tout à fait à une comparaison avec l’Eucharistie. Cette offrande servait à rendre grâce à Dieu qui avait permis la croissance du blé et la moisson. C’est cette même idée que l’on retrouve dans le passage suivant de la Farsa : « y ofrezemos los bodigos, / pues que Dios no da los trigos / y el manjar que nos conorta » (v. 268-270). De la même manière, les vers : « y con azotes trillado, / con mill injurias y enojos, ahechado y escojido » (v. 383-385), établissent une relation entre le vannage et le criblage du blé et les tribulations subies par Jésus. Le Christ compara d’ailleurs le criblage du blé à l’épreuve que ses disciples allaient subir après les tribulations qu’il était lui-même sur le point d’endurer (Luc 22, 31 : « Dijo también el Señor: Simón, Simón, he aquí Satanás os ha pedido para zarandaros como a trigo »).

L’allusion à l’épisode biblique où Samson trouva un essaim d’abeilles et du miel à l’intérieur d’un lion qu’il avait tué précédemment (v. 457-464) est tirée du passage des Juges 14, 5-9. Samson est une préfiguration du Christ dans la mesure où son courage est d’abord mis en évidence : « de aquel valiente Sansón » (v. 458), puis ensuite comparé à celui d’un certain Emmanuel : « ¡O, divino Hemanuel, / fuerte león del desierto » (v. 461-462). Emmanuel, dont la signification en hébreu est : « avec nous est Dieu », est un nom-titre appliqué à Christ le Messie (Ésaïe 7, 14 ; 8, 8 ; Matthieu 1, 23). Le fait de comparer le Christ à un lion fort permet d’insister sur son courage, car dans la Bible le lion est souvent synonyme de courage et de justice. Le Christ lui-même est comparé à un lion dans Révélation 5, 5, pour mettre en relief la justice qu’il exerce avec courage. De plus, l’évocation du nom Emmanuel dans la Bible est associée au miel, comme l’indique le passage suivant d’Ésaïe 7, 14-15 :

*…+C'est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d'Emmanuel. Il mangera du lait caillé et du miel jusqu'à ce qu'il sache rejeter le mal et choisir le bien.

Enfin, notons que la référence aux deux sœurs de Lazare, dans le passage suivant, s’inspire d’un épisode biblique relatif à la vie de Jésus, contenu dans le Nouveau Testament :

FRAILE contemplar es dulce miel, obrar es ganar con pena; son la Marta y Madalena: Marta gana trabajada, la hermana goza sentada,

ambas tienen gloria llena. (v. 307-312)

L’épisode en question est tiré de l’Évangile selon Luc 10:38-42. Dans ce passage, Jésus réside chez son ami Lazare à Béthanie, et alors que Marthe s’affaire pour préparer un repas au Seigneur, sa sœur Marie s’assied à ses pieds pour écouter son enseignement. Dans la tradition chrétienne, les deux sœurs illustrent donc la vie active et la vie contemplative. Notons que Diego Sánchez commet une erreur en nommant erronément la sœur de Marthe, Madeleine. Bien qu’elle s’appelle aussi Marie, il ne s’agit pas de Marie-Madeleine, nommée la Magdalène, car comme son nom l’indique, elle était originaire de la ville de Magdala. La sœur de Marthe, Marie, était, quant à elle, de Béthanie201.

Diego Sánchez fait donc un usage diffus de la Bible dans cette pièce qui n’est pourtant pas biblique. Parfois, les allusions sont très brèves, mais elles entretiennent toutes une relation étroite avec le thème de la pièce et elles témoignent de l’aspect catéchétique du théâtre de notre auteur.