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3.3 CHEZ AL FÂRÂBÎ :

3.3.5 Farabi et Avicenne

 

Avicenne (980-1037), repère un problème dans l’idée de l’intellect agent telle qu’elle est véhiculée ; pour lui, dire que l’intellect agent – qui est parfois assimilé à Dieu, agit en actualisant la puissance est insuffisant. En effet, cela reviendrait à dire que l’action divine n’est que première et temporaire (une fois la mise en acte effectuée, il n’est plus d’aucune utilité. C’est ce que remarque Ghassan Finianos qui écrit que « L’enjeu du problème n’apparaît

nulle part plus clairement qu’à propos de la critique qu’Ibn Sina a adressé aux mutakallimun, en leur reprochant d’avoir, en somme, pensé que l’univers a eu besoin du créateur seulement pour le faire exister, c’est à dire pour le

faire passer de l’être en puissance à l’être en acte » 86. Il y a donc un souci

d’ordre théologique dans la lecture qu’Avicenne aura d’Aristote. Il entend faire en sorte de revoir la lecture de Farabi afin d’accorder au mieux l’intellect agent au Coran.

Le tournant que prend la philosophie arabe à partir d’Avicenne c’est bien celui de la scolastique. Or, Avicenne constitue – avec Averroès, l’une des grandes figures de ce nouveau mouvement. Alain de Libera explique que « tout deux ont

relancé le débat philosophique autour du platonisme et de l’aristotélisme. Tout

deux ont servi de mentor à la scolastique latine. »87

.

Avicenne rompt avec la méthodologie farabienne, qui consistait en un système vertical de remontée progressive vers le Premier principe, grâce à la saisie des intelligibles. L’objectif d’Avicenne est différent ; il s’agit d’ « expliquer

                                                                                                               

86 Cf. Ghassan Finianos, De l’existence à la nécessaire existence chez Avicenne, presses

universitaires de Bordeaux, p. 175.

87 Cf. Alain de Libera, La querelle des universaux, de Platon à la fin du Moyen Age, p.177, Seuil /

l’origine des universaux à la jonction de l’empirique et de l’intelligible »88

. Il y a donc un véritable souci épistémologique chez Avicenne, il entend déterminer empiriquement la création des universaux. La volonté de faire communiquer la philosophie grecque et la religion musulmane – plus tard chrétienne pour la scolastique latin, est clairement énoncée. La question de la jonction est certainement la plus importante dans la mesure où l’homme est celui qui se trouve à la jonction du monde empirique – par son corps et ses sensations, et des intelligibles – de par ses facultés cognitives qui le différencient de l’animal.

Le terme qui marquera la philosophie avicennienne c’est le mot « intentio » (ma’qûl et ma’nâ en arabe). Pour Alain de Libera, la définition de ce concept peut se trouver dans le Ménon, à savoir « « ce que l’on a en vue » lorsque

l’on pense à quelque chose ou lorsqu’on parle de quelque chose, ce vers quoi

« tend » la pensée ou « se porte l’attention » »89

. C’est à partir de ce concept qu’il définira l’universel, non plus comme une entité absolument extérieure ni encore totalement intérieure au sujet, mais plutôt une intentio qui, elle, est partagée. Pour De Libera, cela s’explique par un universel tel que le Soleil (il est un) mais « rien

n’exclut de penser que l’intention de Terre et celle de Soleil s’appliquent à plus

d’une chose. »90

. Ainsi, comparer l’intellect agent au Soleil ne pose pas de problème d’individuation à partir du moment où Avicenne fait intervenir l’idée d’intention. Mais ce qui est le plus étonnant et que note De Libera c’est le fait qu’Avicenne ait bien lu la distinction entre l’intellect patient et l’intellect agent d’après Alexandre d’Aphrodise, mais la réfute. Il souligne en fait qu’il « limite

l’intellectualité de l’âme humaine au seul intellect patient »91

. Il réfute du même                                                                                                                

88 Cf. Alain de Libera, Ibid. p.178.

89 Cf. Alain de Libera, La querelle des universaux, p. 178, Seuil / Des travaux. 90 Cf. Alain de Libera, Ibid, p. 180.

coup les théories platoniciennes affirmant l’existence d’un « réservoir » d’intelligibles dans l’âme. Pour Avicenne, les intelligibles sont saisis par l’intellect humain par l’expérience, mais il n’y a même « pas de mémoire

intellectuelle ».

La noétique Avicennienne rompt donc à la fois avec les théories des Idées platoniciennes et avec la distinction des intellects aristotélicienne. Le cas de l’universel est réglé par le concept d’intention. Par cette double réfutation, Avicenne prend ses distances quant à la scolastique arabe que nous étudions.

3.4 IBN  BAJJÂ  ou  AVEMPACE  :      

Ibn Bajjâ, ou Avempace (nom latinisé) a lui aussi commenté les textes d’Aristote, en particulier ceux qui relèvent de la psychologie. Si pour beaucoup de textes il s’est inspiré des commentaires de Farabi, pour le De Anima, Charles Genequand remarque que l’ « on peut soupçonner, sans pouvoir le démontrer, que

c’est Alexandre d’Aphrodise, dont le De Anima est cité (…) ainsi que de Thémistius, plutôt que de l’œuvre originale du Stagirite, qu’il s’est servi, outre la

paraphrase des Parva Naturalia dont il sera question plus loin »92

.

Si pour les autres auteurs, la question de l’intellect était primordiale, Genequand note que pour Avempace, elle n’est que secondaire en ce qu’elle concerne la métaphysique, qu’il n’aborde pas dans son ouvrage. De plus, il note d’entrée que la conception d’Avempace de l’intellect agent et de l’intellect acquis comme appartenant à la même réalité, le distingue de ses prédécesseurs.

                                                                                                               

92 Cf. Charles Genequand, introduction à La conduite des isolés et deux autres épîtres, p.11,