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L’accroissement de la population âgée et le raccourcissement des durées d’hospitalisation sont d’importantes évolutions démographiques et sociétales de ces dernières décennies, nécessitant le développement des SP au domicile (90). Ainsi, le rapport de l’IGAS en 2017 préconise de rationaliser le recours à l’hôpital, de développer les SP à domicile pour répondre à l’attente des français et à l’augmentation attendue des situations de fin de vie complexes (77). Pourtant, notre système de santé reste ancré dans la culture hospitalière et associe peut être trop facilement l’hôpital comme lieu de recours « normal » quand le maintien à domicile paraît compromis (76). Une fin de vie au domicile ne serait pas souhaitable ?

Lorsqu’une sédation est envisagée au domicile, le MG doit évaluer sa faisabilité (91). Dans son analyse basée sur les données de l’INED, Pennec a montré que, si 29 % des médecins préféraient ne pas se prononcer sur les conditions du décès au domicile, 96 % de ceux ayant répondu ont estimé que les conditions étaient « dans l’ensemble, conformes aux attentes de la personne » (10). Dans notre travail, quelques enquêtés émettaient des réserves sur les conditions du domicile, certains ne seraient pas adaptés à la réalisation d’une SAD, par manque de sécurité ou de technicité. Ceci tient plus des représentations des MG puisqu’en pratique, tout est possible en termes de pratiques sédatives, même dans un domicile précaire.

Les principales difficultés à la SAD mises en avant par les MG interrogés étaient superposables à celles citées dans le rapport de 2018 du groupe de travail du CNSPFV constitué pour évaluer la façon dont s’est implantée en pratique la SPCMD deux ans après la loi Claeys-Leonetti. D’après ce rapport, si la loi affirme que la SPCMD doit être accessible à tous, y compris aux patients qui souhaitent mourir chez eux, « rien n’a été fait pour donner aux médecins généralistes les moyens pour que ce droit devienne effectif en ville : médicaments non disponibles, insuffisance de moyens logistiques, organisationnels et humains, manque d’information et de formation » (92).

Nous pouvons constater une certaine rigidité du cadre des recommandations de 2018 de la HAS, plutôt « hospitalo-centrées » et qui s’adaptent donc moins à la pratique du domicile. Elles ne sont d’ailleurs pas toujours appliquées au domicile (70). Nos participants exprimaient un manque de disponibilité pour des prises en charge jugées chronophages, et des difficultés à organiser la collégialité en ville ou la surveillance d’une SAD, en cohérence avec la littérature (66,68,70,72,93,94). Dans sa thèse en 2012, Dieumegard montrait que sur les 59 dossiers inclus de patients ayant bénéficié d’une SAD dans le cadre d’une HAD, seuls 25 mentionnaient une discussion collégiale lors de la prise de décision (95). Dans les travaux de Jacques et al. en 2013, près de 80 % des MG interrogés citaient comme frein principal limitant la mise en place d’une SAD, la difficulté à mettre en œuvre une procédure collégiale au domicile (66). Dans la thèse de Louvet-Monory en 2017, 35 % des situations de sédation étaient prises en charge par le MG seul, parmi lesquelles moins d’une sur deux étaient précédées d’une procédure collégiale. Cependant, les MG formés aux SP sollicitaient plus les réseaux de SP, et cette collaboration permettait aux pratiques des MG d’être plus conformes à la loi et aux recommandations. Le caractère inhabituel de la SAD et l’utilisation d’un médicament sorti de la réserve hospitalière seraient les principaux motifs d’une concertation collégiale entre médecins libéraux et médecins de SP (96). De plus, la médecine libérale n’est pas valorisée pour les actes réflexifs, pour le temps passé auprès des patients et des familles, pour coordonner la prise en charge, ni pour la réévaluation pluriquotidienne de la sédation préconisée dans les recommandations. Une meilleure rémunération des professionnels paraît légitime, comme le suggère Hery avec la création d’une cotation valorisant la coordination (50). Des voies possibles seraient la création d’un critère de ROSP, comme il existe déjà en Angleterre pour améliorer les SP et soins de fin de vie en soins primaires (97) et/ou la création d’un « forfait SP » comme déjà existant en France pour les patients suivis en affection de longue durée.

Quelques ajustements sont nécessaires à la prise en charge au domicile, cet espace intérieur, ce chez-soi rassurant, dans lequel fait irruption la maladie et dont l’intrusion des soignants bouleverse l’intimité (98). Au domicile, la personne malade a ses repères, son enracinement, ses codes singuliers et familiaux. Le patient et sa famille ont leurs propres ressources. Chaque intervenant du domicile quel qu’il soit, peut mobiliser et développer des compétences nouvelles. Comme l’ont rappelé nos enquêtés, au domicile, c’est le patient qui accueille le médecin ou l’équipe, à l’inverse d’un établissement de santé, ce qui modifie les rapports. Le manque de disponibilité du midazolam en ville était retrouvé dans la littérature (54,68,70,73,94,99) et sa délivrance nécessite des dispositions particulières. Les enquêtés étaient partagés sur le fait de rendre le midazolam plus facilement accessible en ville, craignant

un respect moindre des procédures collégiales, garantes de dérives pouvant se banaliser dans le huis-clos du domicile comme l’a évoqué Nicolas (100). Cet argument peut être limité par le fait que d’autres molécules comme le diazépam ou le clorazépate peuvent déjà être utilisées en ville par les MG. Serait-il envisageable de créer un protocole spécial d’utilisation du midazolam par les MG dans les situations de SP ? Prenons l’exemple du midazolam sous sa forme orale (Buccolam®) indiqué pour les crises convulsives aigues de l’enfant, à prescription initiale par les pédiatres et neurologues. Tout médecin peut le renouveler pendant un an et l’administrer en cas d’urgence. Une voie d’amélioration pourrait-elle être la création d’un motif exceptionnel de son utilisation pour les SP ?