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I.3 Les facteurs socioculturels de l’Epilepsie

I.3.3 Facteurs socioculturels réunionnais

Comme nous l’avons rapporté en début de ce chapitre, la Réunion, de part son histoire et ses différentes vagues de migration qui ont peuplé l’île, possède un mélange de cultures issues d’Europe, de Madagascar, d’Afrique Orientale, d’Inde… Et bien que le système médical « moderne » soit similaire au système médical métropolitain, il nous a semblé important d’aborder les rapports entre l’épilepsie et les facteurs socioculturels réunionnais, afin de mieux appréhender la QdV des adolescents avec épilepsie à la Réunion. Le sujet est vaste et nous ferons uniquement une approche des représentations de la crise, puis une approche du recours à la médecine traditionnelle à la Réunion.

I.3.3.1 la représentation de la « kriz »

Depuis une cinquantaine d’années, certains auteurs comme Jean Benoist ou Jacqueline Andoche, se sont intéressés à l’anthropologie médicale à la Réunion, c'est-à-dire à décrire les liens qu’ont la maladie et la médecine au travers des multiples cultures présentes à la Réunion. Cependant, lors de nos recherches, nous avons trouvé très peu d’articles anthropologiques et sociologiques traitants spécifiquement de l’épilepsie à la Réunion.

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Pierre Cellier dans une communication au colloque sur l’épilepsie à Saint- Pierre en 1986 présentait une « tentative méthodologique d’approche du phénomène de la « kriz » dans la société réunionnaise » (44) . Il reprenait notamment les expressions créoles du type « lu la tonm kriz », « li la gagn kriz » (il a eu une crise). Il propose d’inclure dans son étude le mot « kriz », qu’elle soit « maladie somatique ou psychosomatique ou qu’il s’agisse d’un comportement de transe socialisée liée à un événement particulier. »

Selon lui, « la « kriz » est une manifestation du corps et comme on le voit par les comportements qu’elle engendre, elle est socialisée, liée à la culture réunionnaise ; elle fait partie d’une perception syncrétique des relations trans- religieuses, qui constituent une dimension de la culture réunionnaise au-delà des clivages sociaux et ethniques. »

Il décrit deux comportements face à l’événement : l’un qui conduit le « patient » à l’hôpital, l’autre qui le mène dans le monde magico-religieux du sorcier malbar, chez l’exorciste ou encore chez quelque tisaneur qui lui donnera les « zérbaz » (herbes) ». Pierre Cellier poursuit : « Les sorciers vont traiter le signe physique comme un signe socioculturel adapté au groupe que le phénomène risque toujours de déstabiliser. »

Pierre Cellier rapporte deux entretiens avec des familles dont un enfant présente une épilepsie. Dans l’entretien avec la première famille d’un garçon de deux ans, la mère de confession catholique rapporte à l’anthropologue les propos suivants : elle croit possible qu’on ait jeté un sort à son enfant par méchanceté. Elle a consulté un guérisseur malbar qui a proposé des traitements à base de plantes et des « prières ». Elle n’a pas parlé de ces démarches au médecin neuropédiatre qui suit l’épilepsie de son enfant. Dans le deuxième entretien de la famille d’une adolescente de 16 ans présentant de nombreuses crises (dont probablement des crises psychogènes non épileptiques d’après les descriptions cliniques rapportées), la mère rapporte que les crises de sa fille sont secondaires à des conflits avec le père ou à des contrariétés, et qu’elles sont plus fréquentes en périodes prémenstruelles. Des pratiques magico-religieuses (cérémonie malbar, projet d’un voyage à Madagascar pour aller dans « l’eau sacrée »…) ont été proposées par la famille. La jeune fille montre une forte opposition à ses pratiques auxquelles elle ne croit pas.

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Pierre Cellier insiste sur l’importance de comprendre « comment cet état transforme les relations sociales du groupe familial et comment ces relations interfèrent dans la demande adressée au corps médical, pour que ce dernier adapte ses stratégies et ses réponses en accord avec la compréhension culturelle du milieu dans lequel est apparue la maladie »

I.3.3.2 Recours à la médecine traditionnelle à la Réunion

Dans une partie de son chapitre sur la Santé à la Réunion, Maryvette Balcou- Debussche (15) décrit le recours aux soins et à la médecine traditionnelle. Elle distingue deux types de pratiques différentes : Le recours aux « panseurs de la médecine créole », et le recours aux « prêtres guérisseurs. »

- La médecine traditionnelle créole prodiguée par les « panseurs » se transmet « de génération en génération à travers le cadre familial ». Elle est dépourvue d’objectifs commerciaux et est proposée dans un esprit d’humilité. Elle fait appel à « trois types de dons : avoir un secret pour faire des « passes », un autre pour dire des prières, et un autre pour soigner à l’aide de plantes médicinales ». Une grande partie de la connaissance des vertus médicinales des plantes est issues des populations originaires de Madagascar, retrouvant les mêmes types de plantes à leur arrivée sur l’île.

- Les « prêtres guérisseurs » sont des praticiens qui « ont emprunté à différents groupes ethniques leurs techniques en les dépouillant de leurs fondements culturels et religieux ». Ils sont « sollicités pour déterminer l’origine naturelle ou sorcellaire de certains symptômes ». Les pratiques thérapeutiques reposent sur une tradition liée au corps, à la religion et à la nature. Ils ont tendance à mélanger plusieurs pratiques religieuses, allant de l’hindouisme, au catholicisme, aux traditions africaines et malgaches. Ils font appel également à plusieurs éléments symboliques (l’eau, le feu, la terre, le vent…) et des états d’opposition (chaud/froid, pur/impur, liquide/solide…). On retrouve des actes à visée préventive tels que les purifications, et des actes curatifs.

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Bien que la médecine moderne reste le recours prioritaire aux soins pour la majorité des familles, notamment pour son « attractivité » et ses « résultats immédiats sur l’expression somatique des troubles », on observe chez certaines familles ayant un enfant malade l’association du recours à la médecine moderne et à la médecine traditionnelle. Jean Benoist décrit cette association dans son ouvrage Anthropologie médicale en société créole (5). Il explique la place importante de la médecine traditionnelle dans la société réunionnaise, celle-ci permettant « de maintenir en même temps le contact avec le corps malade, avec l’individu inquiet, avec la société perturbée ». Il décrit une médecine traditionnelle complémentaire de la médecine moderne, qui s’adapte et évolue en fonction des changements sociaux, des progrès de la médecine moderne et des demandes des patients. « Elles seules sont capables d’accéder au lourd fardeau que supporte le malade quand il s’interroge sur le sens de son mal.» Il distingue dans la pratique des médecines traditionnelles « l’efficacité technique » due au principe actif du traitement, « l’efficacité des rituels » qui implique une action physiologique qui met en relation le psychique et l’organique (avec notamment l’effet placebo) et « l’efficacité qui implique le champ social ».

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