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C. Reconnaitre la crise suicidaire

3. Facteurs de risque suicidaire

La capacité à reconnaître, évaluer et prévenir un passage à l’acte chez un individu exprimant des idées suicidaires est une tâche difficile pour le médecin. Le suicide, résultat de l’interaction de diffé- rentes variables, est d’un déterminisme complexe.

L’appréciation du contexte suicidaire, qui correspond à la recherche des facteurs de risque du sui- cide, est un axe essentiel de l’évaluation du potentiel suicidaire.

Les facteurs de risque suicidaire peuvent être classés selon plusieurs oppositions : psychopatholo- giques/socio-environnementaux, court terme/long terme, prédisposants/précipitants. Nous propo- sons ici de les décrire en distinguant facteurs de risque biographiques et psychopathologiques (126).

a) Facteurs biographiques - Les tentatives de suicide

La TS est considérée comme le facteur de risque de suicide le plus significatif.

Environ 1% des suicidants se suicident dans l’année, et le risque de suicide chez les suicidants serait de 10 à 14% sur la vie entière. Le professeur Walter, psychiatre ayant participé à l’élaboration de la conférence de consensus sur la crise suicidaire, décrit que 30 à 40% des suicidants récidive, généra- lement dans l’année qui suit le premier épisode (126). Par ailleurs, les antécédents familiaux de TS et de décès par suicide sont également un facteur de risque.

- Idées de suicide :

80% des sujets qui font une tentative de suicide ou se suicident expriment de telles idées dans les mois qui précèdent. Le risque de passage à l’acte est évalué, chez l’adolescent à 1% en l’absence d’idées suicidaires, à 14% en cas d’idées occasionnelles et à 41% en cas d’idées fréquentes.

- Le sexe masculin

Dans la majorité des pays, le suicide est plus masculin que féminin.

Figure 10 : Nombre de décès par suicide par an en France en fonction du sexe pour les années 2008 à 2011 (D’après les données du CépiDc)

0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 Nombre de décès par suicide 2008 2009 2010 2011 Années Femmes Hommes Total - L’âge

La personne âgée de plus de 65 ans et le jeune entre 15 et 30 ans représentent deux groupes à risque de suicide élevé.

64 - Le statut marital

Les personnes mariées ont le taux de suicide le plus faible (environ 25% inférieur à la moyenne), alors que les veufs et les personnes divorcées ont des taux significativement plus élevés (plus de deux fois le taux moyen).

- L’isolement

Tout ce qui renforce la solitude et la perte d’identité de la personne dans son contexte de vie accroît le risque suicidaire, comme les séparations, l’isolement socio-familial, la perte d’emploi ou la perte d’autonomie, la marginalité.

- Le statut professionnel

La fréquence des comportements suicidaires est plus élevée chez les sujets inactifs. La perte d’emploi peut parfois être considérée comme un facteur précipitant. L’aspect important dans la perte du tra- vail est la blessure narcissique et le sentiment de honte qui peuvent en résulter et qui favorisent l’apparition d’un état dépressif (124).

Plusieurs études ont fait état de liens entre l’évolution du taux de suicide et du taux du chômage mais les relations entre les deux apparaissent complexes. En effet, certains pays d’Europe comme l’Espagne, où le nombre de chômeurs est particulièrement élevé, ont un taux de suicide étonnam- ment bas comparé à la moyenne européenne. Pour beaucoup d’auteurs, les conséquences d’une perte d’emploi ou du chômage dépendent fortement du degré de vulnérabilité du sujet et de l’importance qu’il accorde à son travail.

Par ailleurs, certaines catégories professionnelles comme les vétérinaires, les pharmaciens, les den- tistes, les médecins et les fermiers, sont reconnues comme ayant un risque élevé de suicide (138). Il n’existe pas d’explication précise à cette constatation mais certaines causes comme l’accès aux moyens létaux, la pression professionnelle, l’isolement social ou les difficultés financières sont invo- quées.

- Certaines pathologies somatiques chroniques

Les études d’autopsies psychologiques retrouvent l’existence de maladies somatiques chez 25% des personnes décédées par suicide.

Certaines pathologies, et plus particulièrement les troubles neurologiques (sclérose en plaque, cho- rée de Huntington) et les cancers, sont entachées d’un risque suicidaire plus élevé (134). Ces affec- tions chroniques favorisent les conduites suicidaires d’autant plus qu’elles sont hyperalgiques, handi- capantes ou réputées incurables. De plus, il existe un nombre plus élevé de troubles psychiques et principalement de dépression, chez les patients atteints de troubles somatiques. Or, la dépression est un facteur de risque majeur du suicide…

- Les évènements de vie « négatifs »

Il existe un lien temporel entre certains évènements de vie et les tentatives de suicide. Cette liaison n’est pas considérée comme l’expression d’une causalité directe mais comme l’effet de facteurs pré- disposants et précipitants.

Des évènements de vie particuliers sont retrouvés chez 65% des patients dans les trois mois précé- dant le suicide, et chez 42% des patients, dans la dernière semaine (124). Parmi ces incidents, les conflits interpersonnels jouent un rôle prépondérant. On retrouve souvent une notion de rupture, comme la perte d’une relation affective. Les conflits au sein du couple, ou de la famille, constituent des facteurs de risque extrêmement fréquents. Chez les personnes âgées, le décès du conjoint est l’évènement le plus fréquent.

Les évènements de vie prédisposants les plus étudiés sont les pertes précoces, la maltraitance dans l’enfance, les abus sexuels et les abus physiques. Les traumatismes vécus dans l’enfance et l’adolescence, comme les disputes parentales répétées, les pertes de relations très investies sur le

65 plan affectif jouent un rôle loin d’être négligeable. En fait, les relations entre ces chocs et les con- duites suicidaires peuvent s’expliquer par une perturbation du processus de structuration de la per- sonnalité. Ces traumatismes peuvent être à l’origine de problèmes d’intolérance à la rupture, à la frustration ou d’une incapacité à entretenir des relations stables avec les autres.

b) Les facteurs psychopathologiques

Comme nous l’avons vu précédemment, suicide et troubles mentaux sont fortement liés. Au cœur même des troubles psychiatriques en cause, certaines caractéristiques prédisposent plus ou moins à un acte suicidaire.

- L’épisode dépressif caractérisé

Dans le syndrome dépressif, le risque de suicide est permanent. Mais certaines caractéristiques de l’EDC sont associées à un risque suicidaire plus grand.

Unanimement, l’intensité de la dépression apparaît comme un paramètre important (124). Le risque suicidaire est d’autant plus important

– dans les formes avec caractéristiques psychotiques, surtout si les idées délirantes sont à thème de persécution, de culpabilité, d’indignité et si le discours du patient révèle des autoaccusations. – que la sémiologie dépressive comporte des caractéristiques mélancoliques. La mélancolie, que nous développerons plus loin, est une forme de dépression à risque suicidaire majeur et une urgence thérapeutique nécessitant une hospitalisation.

Le risque suicidaire n’est pas limité à un moment donné de l’évolution dépressive. Néanmoins, 40 à 70% des suicides surviennent dans la première année de la maladie, le trimestre suivant une sortie de l’hôpital étant le plus à risque. Ces constatations démontrent l’importance d’un suivi attentif et de la vigilance qui doit entourer un patient déprimé après son hospitalisation.

- Les addictions

L’alcoolisme accroît incontestablement le risque de comportement suicidaire. En effet, le risque suicidaire est huit fois plus élevé chez les alcoolodépendants qu’en population générale (139). La consommation abusive d’alcool a plusieurs implications en matière de conduites suicidaires (140). Son rôle est prédisposant quand cet abus est chronique. L’alcool entraîne progressivement le patient vers une aggravation d’un état dépressif ou agressif et provoque une rupture de ses liens sociaux et affectifs. Son rôle est précipitant lors d’une alcoolisation aiguë. Cette dernière facilite le passage à l’acte en atténuant les mécanismes naturels de protection contre les gestes autodestructeurs (effet désinhibiteur). L’alcool entraîne une action biphasique sur l’humeur : euphorisante en phase d’ingestion; puis, dépressogène en phase d’élimination. Les symptômes dépressifs peuvent égale- ment survenir en phase de sevrage. L’abstinence peut amener le patient à se confronter à ses limites et à ses difficultés d’adaptation à la réalité.

La prévalence des tentatives de suicide est significativement plus importante dans le groupe de patients abuseurs de cannabis qu’en population générale (25,8% vs 6,5%), surtout lorsqu’il existe un trouble psychopathologique associé. Ce risque est encore augmenté lorsque l’abus concerne plu- sieurs substances plutôt que le cannabis seul : plusieurs études suggèrent ainsi que les jeunes poly- consommateurs de tabac, d’alcool et de cannabis présentent davantage de pensées suicidaires (141).

- L’anxiété

Le risque suicidaire est plus élevé dans certains troubles anxieux comme les attaques de panique, surtout en cas de comorbidité dépressive ou alcoolique. La coexistence de plusieurs troubles psy- chiques accroît ce risque de suicide.

66 Fawcett et son équipe ont mené une étude longitudinale sur 954 patients déprimés pendant quatre ans (142). A partir des vingt-cinq suicides relevés, ils ont identifié des facteurs de risque à court terme du suicide, sur lesquels une action thérapeutique immédiate peut être effectuée. Parmi ceux- ci on retrouve : l’anxiété sévère, notamment l’existence de crise d’angoisse, et les excès de boisson.

Ces facteurs de risque peuvent également être classés dans une perspective pragmatique et préven- tive, en facteurs primaires, secondaires et tertiaires. Cette classification permet d’établir un degré d’alerte pour chacune de ces trois classes.

FACTEURS DE RISQUE PRIMAIRES

Ils ont une valeur importante au niveau individuel, une forte valeur prédictive du risque suicidaire et sont accessibles à une prise en

charge préventive. Troubles psychiatriques

Antécédents personnels de TS

Antécédents familiaux de TS et de suicide Intention suicidaire clairement exprimée Impulsivité

FACTEURS DE RISQUES SECONDAIRES

Ils sont observables dans l’ensemble de la population, sont peu modi- fiables et ont une faible valeur prédictive en l’absence de facteur de

risque primaire. Pertes parentales précoces

Isolement social (célibat, veuvage, chômage...) Difficultés financières

Evènements de vie « négatifs »

FACTEURS DE RISQUE TERTIAIRES

Ils ne peuvent être modifiés et n’ont aucune valeur prédictive en l’absence de facteurs primaires ou secondaires.

Sexe masculin

Sujets âgés et 15-30 ans

Périodes de vulnérabilité (phase prémenstruelle, périodes de fêtes…)

Les facteurs de risque que nous venons de décrire permettent d’identifier des populations à haut risque suicidaire. Toutefois, le haut risque est loin de la certitude et, à eux seuls, ces facteurs ne suffi- sent pas à justifier la mise en place de mesures de protection immédiate comme une hospitalisation. De plus ces éléments ne sont, dans la majorité, ni spécifiques ni exceptionnels pris isolément. C’est leur regroupement, leur association ou leur mode de survenue qui doit alerter le médecin, lui faire suspecter l’existence d’une crise suicidaire et le conduire à une investigation complémentaire.

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